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HAÏTI - Après l’assaut de la prison, Ariel Henry se refuse encore à ne serait-ce que partager le pouvoir
Victoria Korn
lundi 11 mars 2024, mis en ligne par
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4 mars 2024.
Dix personnes au moins sont mortes après que des bandes armées ont attaqué la principale prison de Port au Prince et provoqué la fuite de plus de 3500 prisonniers, au milieu de la vague de troubles persistants qui secoue Haïti et le refus du premier ministre Ariel Henry de se retirer pour permettre une sortie politique à la crise grave.
L’assaut de la nuit du samedi à permis la fuite de 3597 prisonniers, un peu plus de 97% des 3696 détenus de la prison qui est la plus importante de la capitale haïtienne, a fait savoir le Collectif des avocats pour la défense des droits humains.
Tandis que le chaos s’emparait de son pays, Henry se rendait au Kenya y chercher des soutiens pour déployer des agents de la police kenyane en Haïti, mesure désespérée après trois tentatives avortées pour obtenir que les Nations Unies envoient une mission multinationale, alors que le Conseil de sécurité a autorisé l’envoi de cette mission au début de l’année dernière.
La recrudescence de la violence de la part des bandes criminelles a décidé le gouvernement haïtien à déclarer un état d’urgence de 72 heures – jusqu’à mercredi – et le couvre-feu de six heures du soir à cinq heures du matin sur une partie du pays – dans le département de l’ouest en raison de la dégradation de la sécurité, particulièrement dans la zone métropolitaine de Port au Prince – afin de contrôler la situation.
Avec cette annonce du couvre-feu, le gouvernement espère « rétablir l’ordre et prendre les mesures appropriées pour reprendre le contrôle de la situation ». Les autorités ont reconnu que le pays souffre « d’une dégradation de la sécurité », annonce faite après des mois d’affrontements entre les bandes.
Selon les Nations Unies, plus de 800 personnes sont mortes en janvier, dans une guerre interne qui décime cette nation caribéenne appauvrie. La violence expulse aussi des dizaines de milliers d’Haïtiens et la principale destination de cette diaspora est la République dominicaine qui partage avec Haïti cette île de la Caraïbe.
Lujis Abinader, le président dominicain a déclaré que ces engagements d’aide n’ont été que des mots. « L’effondrement de Haïti » serait une menace pour nous et la région, a-t-il ajouté.
Port au Prince est soumis depuis jeudi à des attaques violentes par des bandes qui affirment qu’ils veulent la démission du premier ministre Henry. Les bandes regroupées sous le slogan « Vivre ensemble » , organisent des attaques coordonnées à Port au Prince contre des endroits stratégiques comme la prison, l’aéroport international et plusieurs bâtiments de la police. Quatre policiers au moins sont morts et des dizaines de personnes blessées.
De voleurs, des assassins, des délinquants de droit commun, des chefs de bande et aussi les coupables de l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 étaient incarcérés à Croix des Bouquets, une prison située à quelques rues du Palais National. « On a dénombré de nombreux cadavres de détenus », a déclaré Pierre Espérance, directeur du Réseau national de défense des Droits humains.
Entre le soir du samedi et le matin du dimanche des policiers « ont tenté de repousser l’assaut du Pénitencier national et de la prison Croix de Bouquets », a signalé le gouvernement haïtien par un communiqué dans lequel il a dénoncé le « déchaînement de criminels très bien armés qui veulent à tout prix libérer les détenus , incarcérés pour surtout pour enlèvements, assassinats et autres délits graves et qui n’hésitent pas à exécuter des civils et incendier et saccager des biens publics et privés ».
L’annonce du couvre-feu a été faite après les attaques de la coalition des bandes, « Vivre ensemble », dirigée par le tout puissant (ex policier d’élite) Jimmy Cherizier, connu sous le nom de « Barbecue », ainsi que les incendies et les mise à sac des lieux publics, qui ont entrainé un déplacement massif de personnes tentant de fuir la violence, l’absence de cours (les écoles recommandent que le lendemain les élèves ne se présentent pas en cours), et l’arrêt de l’activité du principal hôpital public de la ville.
Barbecue a déclaré que cet assaut était destiné à faire prisonnier le chef de la Police haïtienne et a affirmé que son but est de renverser le président provisoire. Le gouvernement qui a reconnu que la violence « met en danger la sécurité nationale » ne parvient pas à faire face à la situation bien qu’il ait mobilisé toute la force publique pour qu’elle tente de rétablir l’ordre, il a demandé que le cessez-le-feu soit respecté et arrêtés les fauteurs de trouble.
Henry ne lâche pas le pouvoir
Le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a demandé « qu’on agisse rapidement » en Haïti, lors de sa participation au Sommet de la Communauté des Caraïbes [1], au cours duquel lequel ont été annoncés des accords politiques concernant ce pays dévasté par la violence. « En Haïti il nous faut agir vite pour soulager la souffrance d’une population déchirée par la violence », a déclaré Lula.
Le premier ministre d’Antigua-et-Barbuda, Gaston Brown, a annoncé que Henry a accepté de « partager le pouvoir » avec l’opposition selon un accord qui préparerait la voie à des élections d’ici un an. Henry gouverne Haïti depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, et, selon un accord souscrit alors, il devait remettre le pouvoir le 7 février dernier.
« Henry s’est engagé à servir d’intermédiaire honnête et à partager le pouvoir », a ajouté Browne. Mais ce n’est pas la première fois qu’il fait une promesse de ce genre. La dernière fois ce fut le 1er janvier, lors d’un discours à l’occasion du deux cent vingtième anniversaire de l’indépendance de Haïti, sans qu’il l’ait respectée, en dépit de plusieurs tentatives de médiation.
« L’opposition est en passe de s’unir […] et il faut seulement que le gouvernement s’organise, se réunisse et précise les détails », a déclaré Browne. « Il ne s’agit pas uniquement d’un groupe provisoire pour le partage du pouvoir pour gouverner Haïti mais de questions de renforcement institutionnel, de rétablissement de la machine électorale, des institutions démocratiques et, en même temps, de fixer une date définitive […] pour les élections présidentielles » a-t-il ajouté.
« On dépense beaucoup de ressources en entrainement et en recrutement », a fait remarquer Irfaan Ali, le président du Guyana, en rappelant que des alliés internationaux tentent de « transférer des fonds pour soutenir les forces multinationales » qui agiront dans ce pays pour aider à combattre les bandes. Le Conseil de sécurité de l’ONU, a voté, en octobre dernier, pour une mission qui devait être sous le commandement du Kenya mais qui s’est heurtée à des obstacles judiciaires à Nairobi.
Même si le Bénin a annoncé mardi qu’il enverra en principe deux mille hommes à Haïti, pour qu’ils participent à cette mission, Brown a estimé que les États-Unis, la France, le Canada doivent « avoir un minimum d’obligation morale pour être les premiers à proposer une solution et non un groupe de pays en développement qui assumerait le sacrifice de pertes de vie »
Les prisonniers et la presse
Les prisonniers échappés ont dénoncé à la presse les mauvaises conditions de vie dans la prison civile de Port au Prince, où au moins les trois quarts des prisonniers sont en attente de jugement. « Nous sommes mal nourris dans cette prison, ont dit douze prisonniers à l’intérieur de la prison. On nous donne des aliments blancs (moisis) », a déclaré un prisonnier d’une soixantaine d’années.
« Nous ne pouvons pas acheter d’eau. L’eau que nous buvons est celle qui nous sert à nous laver. C’est cette eau sale que nous buvons », a t-il ajouté. Un autre prisonnier qui s’est présenté comme Jameson Raphael, trente ans, nous a dit « il y a eu beaucoup de morts » et « de nombreux prisonniers sont morts y compris hors de la prison », après l’assaut.
Parmi les prisonniers qui ont décidé de ne pas sortir de l’enceinte de la prison se trouvent les mercenaires colombiens accusés d’avoir participé à l’assassinat du président haïtien, Jovenel Moise, en 2021. L’un d’entre eux a déclaré « Je ne me suis pas échappé car je n’ai pas de compte à rendre. Je vis un karma, seul Dieu sait ce que je vis et ce qu’il m’a été donné de vivre. Ici je fais face parce que je suis innocent », a-t-il déclaré à la presse.
Ce dimanche les prisonniers étrangers ont été transférés vers « d’autres installations ». La Chancellerie de Colombie a précisé dans un communiqué que « le transfert des Colombiens prisonniers s’est fait après l’envoi d’un message diplomatique au gouvernement haïtien, dans lequel il était demandé que soit particulièrement protégées l’intégrité physique et la sécurité des Colombiens privés de liberté dans ce pays ».
Victoria Kron est une journaliste vénézuélienne, analyste des sujets touchant à l’Amérique centrale et aux Caraïbes. Elle est associée au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAEwww.estrategia.la).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/03/04/haiti-asaltan-la-carcel-y-ariel-henry-se-niega-siquiera-a-compartir-el-poder/.
[1] La CARICOM, communauté du bassin des Caraïbes est actuellement composée de 15 membres : Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Barbade, le Belize, la Dominique, la Grenade, le Guyana, Haïti, la Jamaïque, Montserrat, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le Suriname et Trinité-et-Tobago – NdlT.