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BRÉSIL - Le gouvernement de Lula redoute la possibilité d’un coup d’État

Fernando de la Cuadra

vendredi 29 mars 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

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28 mars 2024.

L’historien carioca Carlos Fico a affirmé, dans presque tous ses écrits concernant le processus politique brésilien et le coup d’État de 1964, que les Forces armées ont toujours tenté de justifier légalement leurs interventions et à cette fin elles cherchent l’appui des spécialistes du domaine constitutionnel pour appuyer légalement l’intervention militaire [1].

En réalité, il y a un certain temps déjà, l’information avait filtré de ce que certains juristes connus élaboraient un document qui donnerait une base légale à l’ingérence frustrée des Forces armées destinée à empêcher que le président élu Lula da Silva accède au pouvoir le 1er janvier 2023.

Le ministre de la justice, Anderson Torres, serait chargé d’établir le support juridique des mesures insurrectionnelles qui devraient être adoptées. Le document connu comme « Minute du coup d’État » a été reçu par Bolsonaro en novembre 2022, quelques jours après qu’il a perdu au second tour des élections face au candidat Lula da Silva, du Parti démocratique « Brazil da Esperanza ».

Ce texte lui a été remis par l’ex-assesseur Filipe Martins et par l’avocat Amauri Saad, membres de haut rang du comité des civils et des militaires qui projetaient – après l’échec dans les urnes – d’interrompre l’itinéraire électoral établi par la Constitution.

Cette minute décrèterait la détention de certains ministres du Tribunal suprême fédéral (STF), tels qu’Alexandre de Morais et Gilmar Mendes, ainsi que celle du Président du Sénat, Rodrigo Pacheco. En outre, on annulerait les élections et on appellerait à l’organisation d’un procès à une date ultérieure indéterminée. Après quelques modifications du texte par l’ex président Bolsonaro, ce dernier a convoqué les Commandants en chef de l’Armée et de la Marine et le Ministre de la Défense d’alors, pour demander le soutien des Forces armées à ce projet.

Selon la propre déclaration postérieure à la Police fédérale du Commandant en chef de l’Armée, le général Feire Gomes, lui, se serait opposé à cette initiative et avait prévenu Bolsonaro en personne qu’il n’adhérait pas à ces idées de rupture institutionnelle et que, au cas où aurait lieu cette opération insurrectionnelle, il se verrait dans l’obligation de l’arrêter. Une telle déclaration semble peu crédible, d’autant qu’après cet avertissement le général Freire Gomes a été vu dans d’autres réunions amicales en compagnie du Président Bolsonaro et des autres commandants.

Après la découverte de la Minute originelle du coup d’État, un second document a été découvert qui prévoyait l’instauration de l’État de siège en application de la Garantie de la Loi de l’Ordre (GLO), une mesure qui serait appliquée par les Forces armées en cas de besoin pour assurer la « restauration de l’État démocratique de droit au Brésil »

Toute cette trame secrète pour imposer à la Nation un état d’exception, a été planifiée pendant deux mois au Palais d’Alvorada, à l’initiative du candidat battu qui ne se montrait pas en public mais qui conspirait dans l’ombre. Ce que nous savons maintenant et qui a été révélé, est dû au fait que le ministre Alexandre de Moraes a décidé d’en finir avec le secret des transcriptions obtenues par la Police fédérale au cours des interrogatoires des commandants des Forces armées et d’autres militaires haut gradés qui se sont vus impliqués dans cette tentative de coup d’État.

Néanmoins il est inexplicable que, précisément alors que la conspiration putschiste est totalement déclassifiée, dénoncée et que les principaux responsables risquent d’être condamnés par la justice, le gouvernement, contrairement à ce qu’on pouvait attendre, ait décidé d’adopter une posture d’une extrême prudence et même de crainte excessive en raison des conséquences possibles que pourraient avoir les procès des mentors du coup d’État manqué, l’ex-président Jaire Bolsonaro en tête.

Dans ce contexte, Lula a suspendu tous les actes concernant la commémoration des soixante années du Coup d’État militaire qui devait avoir lieu le 1er avril et qui étaient programmée de longue date. Au cours de cette cérémonie le gouvernement se proposait de demander pardon publiquement aux victimes de la dictature instaurée en 1964. Sous le slogan « À soixante ans du Coup d’État, 1964- 2024, sans mémoire pas d’avenir », le ministère des droits humains était en charge de la coordination interministérielle pour célébrer la lutte des militants poursuivis, torturés et exécutés par le régime militaire.

Ces activités d’un symbolisme fort, de réparation historique, ont été interdites par le président Lula dans le but d’éviter des affrontements avec les Forces armées, précisément dans la conjoncture actuelle des investigations et des condamnations des actions insurrectionnelles perpétrées par Bolsonaro et ses complices au sein des casernes.

Quelques jours auparavant Lula avait déjà prévenu certains de ses coreligionnaires du Parti des Travailleurs qu’il ne souhaitait pas « raviver les cicatrices du passé », déclaration remise en cause par de nombreux militants qui ont souffert dans leur chair de la répression et de la violence déclenchées par le régime d’exception qui a sévi jusqu’en 1985 [2].

Des organisations des Droits humains et de la Société civile ont très mal accueilli les déclarations du président et, dans un communiqué à l’intention de l’opinion publique, plus de cent cinquante organisations réunies par la Coalition Brésil, Mémoire, Vérité, Justice, Réparation et Démocratie, ont qualifié d’inappropriées les déclarations de l’Exécutif et ont déclaré que se remémorer cette date ne signifie pas remuer le passé mais suppose de débattre de l’avenir du pays. « Condamner fermement le coup d’État de1964 est une façon de réaffirmer l’engagement de punir aussi les Coups d’État du présent et les tentatives éventuelles dans le futur ».

Pour la même raison, il est presque impossible de dissocier les attaques putschistes du 8 janvier de l’an dernier, du sentiment d’impunité qui protège encore les auteurs du putsch de 1964. La mémoire dans ce cas n’a pas besoin de faire de grands efforts pour constater que nombre de ses protagonistes de cette sombre période de l’histoire du Brésil soutiennent actuellement les attaques putschistes de certains secteurs des Forces armées et de groupes d’extrême droite.

Il est certain que les quatre ans de gouvernement de l’ex-capitaine ont accru le pouvoir des militaires à des postes stratégiques de l’appareil d’État, ce qui a accru le pouvoir des défenseurs du putschisme au sein des forces militaires. Bolsonaro a réactivé chez les militaires un désir de pouvoir qui a toujours été présent même si parfois, en raison des circonstances politiques, il demeurait latent ou larvaire.

Craignant que ce désir de pouvoir des militaires puisse s’exprimer à tout moment, la gestion actuelle de Lula à leur égard a été extrêmement conciliatrice dans le but de se les rallier. En raison des évènements antérieurs le gouvernement octroie de nombreux avantages aux Forces armées tels que l’augmentation du budget pour l’achat d’équipements et de matériel de guerre, des ajustements de salaires, des plans de prévisions et de santé exclusifs et un ensemble d’autres gratifications pour ses membres.

Pour ce qui est du domaine des droits humains le gouvernement a abandonné, après en avoir débattu, la création du Musée de la mémoire et des droits humains, initiative du ministre des droits humains, Silvio Almeida. Cette idée a surgi après que le ministre Almeida a été impressionné par son expérience chilienne, la visite du Musée de la mémoire et des droits humains, lors de son séjour en septembre de l’an dernier à Santiago, pour la commémoration du cinquantième anniversaire du coup d’État au Chili.

Enfin, la Commission pour la justice et la vérité créée au cours de la présidence de Dilma Roussef, et qui a été supprimée durant le gouvernement de Bolsonaro, n’a pas encore été rouverte par le gouvernement actuel, contrairement à ses engagements de campagne. Ceux qui avaient l’espoir que le troisième mandat de Lula pourrait établir un nouveau cadre de relations avec les Forces armées, renforçant son caractère professionnel et institutionnel hors de la politique intérieure, devront se résigner à voir leurs aspirations frustrées car la menace que continuent à représenter les militaires en tant que « pouvoir modérateur » va continuer à menacer telle une épée de Damoclès la démocratie et la vie de Brésiliens.


Fernando de la Cuadra est docteur en sciences sociales, éditeur du blog Socialisme et Démocratie et collaborateur du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/03/22/la-trama-golpista-despierta-los-miedos-del-gobierno-lula/.

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[1Carlos Fico, Além do golpe : versões e controvérsias sobre 1964 e a ditadura militar [Au sujet du coup d’État versions et controverses sur 1964 et la dictature militaire], Rio de Janeiro, Editora Record, 2004 ; “Ditadura militar brasileira : aproximações teóricas e historiográficas” [Dictature brésilienne : approche théorique et historiographiques], Revista Tempo e Argumento, Florianópolis, vol. 9, núm. 20, 2017, pp. 5-74.

[2Selon les chiffres recueillis par la Commission nationale de la vérité, en 2014, le nombre d’exécutés politiques dans ces années-là (1964-1985) est de 191 morts et le nombre de disparus s’élève à deux cent dix personnes. Les corps de 33 disparus ont été découverts plus tard, ce qui donne un total de 434 personnes assassinées. Les estimations de personnes torturées s’élèvent à plus de 20 000.

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