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CHILI - À Codelco, la maintenance a été externalisée et le four de fonte a été monté à l’envers

Mauricio Becerra

mardi 23 juillet 2024, mis en ligne par Dial

L’entreprise publique chilienne Codelco, abréviation de Corporación Nacional del Cobre, est le premier producteur mondial de cuivre. Ce texte de Mauricio Becerra, publié sur le site d’El Ciudadano (Chili) le 30 avril 2024 pointe les aberrations de la politique d’externalisation des activités.


L’action en justice pour un montant de 12,8 milliards de pesos [1] annoncée par le Conseil de défense de l’État (CDE) pour fraude fiscale à Codelco trouve son origine dans l’externalisation de la maintenance d’un four fondamental pour la fonte du cuivre. Alors que cette tâche avait toujours été réalisée par les travailleurs de Codelco, le « service » qui a coûté à l’entreprise presque 9 millions de dollars, n’a pas respecté les délais de livraison et les ouvriers de l’entreprise publique ont dû achever la réparation. Au cours de ces travaux, ils ont découvert aussi que le four avait été monté à l’envers.

Le Conseil de défense de l’État (CDE) portera plainte pour un montant de 12,8 milliards de pesos pour une fraude fiscale survenue à Codelco en 2017, lorsque les services de maintenance du four Flash, jusque-là assurés par les travailleurs de l’entreprise publique, ont été confiés par contrat à l’entreprise Outotec.

D’après les révélations du média en ligne Interferencia, la plainte du CDE s’est basée sur un audit réalisé par la Commission chilienne du cuivre (Cochilco), qui a montré que les dirigeants de Codelco devaient choisir entre deux options : une méthode traditionnelle d’un coût de 3,8 milliards de pesos [2] pour laquelle le personnel de Codelco apporterait sa participation ; ou bien l’externalisation totale du service, pour un montant de 12,445 milliards de pesos, vendu par l’entreprise dont les capitaux étaient alors canadiens, en tant que « prestation intégrale ».

Une plainte déposée en décembre 2020 par les syndicats miniers de Chuquicamata fait aussi état d’une perte de 128 219 178 dollars du fait du retard de 80 jours dans la réparation du four, à laquelle s’ajoute la paralysie de la fonte de concentrés de cuivre pour un montant de 788 625 000 dollars.

Tout a commencé en 2017 lorsque la maintenance du four Flash de Chuquicamata a été externalisée. Lors de l’appel d’offre trois concurrents se présentèrent : Outotec, Hatch et Steel. Cependant, lors de ce processus déjà il y eut des irrégularités, car bien que les deux dernières aient présenté leurs propositions avant la date limite fixée (30 janvier 2017), c’est Outotec, dont sa proposition avait été envoyée hors délai qui fut choisie.

Dès le premier jour décidé pour le début de la maintenance, le désastre a été permanent. Comme les fours devaient être éteints pendant le moins de temps possible, la date du 15 juillet 2017 avait été fixée pour les remettre à l’entreprise chargée du nettoyage. Mais personne n’est venu, ils se présentèrent trois jours après.

Ensuite un retard de 42 jours fut annoncé pour la finalisation de la maintenance, ce qui fut réglé par l’intervention des travailleurs de Codelco qui parvinrent à réduire ce retard à 25 jours.

Malgré ce retard Outotec fit une réclamation pour travaux supplémentaires auprès de Codelco et négocia un paiement de 8,15 milliards de pesos et la fin du contrat.

L’audit de Cochilco a calculé que le retard de quatre mois dans la remise du travail achevé correspondait à un coût de plus de 8,4 milliards de pesos.

Le CDE a déposé plainte auprès du bureau du procureur du Centre Nord, estimant que Codelco avait enfreint plusieurs réglementations, telles que des changements et des avis jamais intégrés au livre d’œuvres, l’émission d’états de paiement sans disposer de la documentation légale requise et l’absence de facturation d’une amende de 2,134 millions de pesos à l’entreprise pour n’avoir pas réalisé les travaux convenus.

Contrat sous la direction du gérant du groupe Luksic à Codelco

Un acteur décisif dans la décision de passer contrat avec Outotec est l’homme qui était alors Responsable de la maintenance du secteur de Chuquicamata et qui refusa que le nettoyage soit assuré par les travailleurs de l’entreprise publique, au prétexte que l’entreprise ne disposait pas « du personnel nécessaire pour exécuter le plan de maintenance », selon ce qu’indique le rapport du CDE.

Le contrat avec Outotec a été conclu en 2017, alors que Nelson Pizarro était directeur de Codelco. Il avait été nommé par Sebastián Piñera [3] et avait une longue carrière dans la direction d’entreprises minières privées.

D’après un profil établi par l’économiste Julián Alcayaga, Pizarro avait travaillé en tant que directeur général d’Andina (1990-1994) et de Chuquicamata (1995-1998) à Codelco. À Andina, selon un article d’El Mercurio cité par Alcayaga, on l’appelait « mains-ciseaux », après qu’il a réduit la dotation de 30% en moins d’un an et demi, et fermé l’hôpital et le cinéma. Des 9500 travailleurs actifs dans la mine principale de Codelco à l’arrivée de Pizarro, il n’en restait plus que 7700 à la fin de son passage à la direction.

Il fut ensuite directeur général de la compagnie minière Los Pelambres (1998-2003), avant de devenir vice-président d’Antofagasta Minerals. Après quoi il allait intégrer Lumina Coppers (2006), sans pour autant abandonner la vice-présidence d’Antofagasta Minerals. « C’est un homme du groupe Luksic » résume Alcayaga.

Investissements tardifs et externalisation des services

La plainte devant le CDE a été déposée par les syndicats de travailleurs 1, 2 et 3 de Chuquicamata, en décembre 2020.

À cette occasion ils ont accusé l’entreprise d’avoir mis 200 jours à effectuer la réparation, au lieu des 60 jours prévus.

L’interruption dans le processus de raffinement a entraîné une baisse sévère de la production. Les travailleurs ont fait valoir que jusqu’à début 2018 on parvenait à fondre 1,728 million de tonnes annuelles de cuivre, sur les deux lignes productives : le four Flash était capable de produire une moyenne d’environ 90 tonnes à l’heure et le convertisseur Teniente 10 tonnes supplémentaires.

Les syndicats ont estimé que l’impossibilité de fondre a conduit à une perte de 300 millions de dollars.

Les raisons principales avancées par les syndicalistes pour expliquer l’échec du processus de maintenance du four Flash sont un investissement tardif de la part de l’entreprise publique de cuivre et l’externalisation des travaux d’entretien.

Dans un document de décembre 2018, intitulé Fonte problématique de concentré, les syndicats font état de ce que la maintenance réalisée l’année antérieure après l’externalisation de l’entretien a duré 85 jours et que les travailleurs « ont fait ce travail pour moins de la moitié de ce que facture un tiers ».

Concernant le manque d’investissement ils ont demandé « pourquoi Codelco n’avait pas investi dans la fonte de concentré à Chuquicamata afin de conserver les deux lignes de fusion et absorber la majeure partie du concentré de la zone, rappelant que la plus-value se trouve dans les cathodes de cuivre raffiné et non dans la vente de concentré. »

Ils ont ensuite demandé de « décider si la politique nationale était de vendre du concentré ou des cathodes de cuivre ».

Comme l’a constaté El Ciudadano, l’an passé à nouveau, le principal produit exporté par le Chili a été les concentrés miniers, dépassant de 6,4% le cuivre raffiné, principal métal d’exportation du pays. D’après les chiffres annuels du Rapport du commerce extérieur correpondant à l’année 2023, le concentré de cuivre brut a représenté 41,3% du total des produits miniers exportés (Franco à bord 23,5054 milliards de dollars) tandis que le cuivre déjà raffiné représente à peine 34,9% (Franco à bord 22,0574 milliards de dollars).

Un four monté à l’envers

Le four est indispensable au raffinement des concentrés de cuivre, basé sur le procédé de fusion Flash, qui consiste à mettre en suspension la charge de minerais secs dans un flux d’air enrichi en oxygène. Ce four était capable de produire en moyenne environ 90 tonnes de cuivre de haute qualité par heure avant la conclusion du contrat avec Outotec.

La maintenance du four Flash était réalisée tous les cinq ans et ne prenait que quelques de jours. Cependant, le retard d’Outotec a paralysé les deux lignes de fusion de Chuquicamata entre les mois de juillet et novembre 2017.

Un premier délai prévu de 55 jours n’a pas été respecté et a été allongé de 22 jours supplémentaires. Cependant, du fait des pertes économiques résultant de l’arrêt du fonctionnement du four, comme les choses tardaient encore et qu’on n’en voyait pas la fin, les travailleurs de Codelco durent intervenir : ils durent non seulement terminer la maintenance mais découvrirent aussi que le four avait été monté à l’envers.

« Nous nous demandons pourquoi faire appel à des prestataires extérieurs si le personnel de l’entreprise présente toutes les garanties et dispose d’une plus grande expérience ; pour le brûleur ordinaire, les intervenants engagés ont demandé six jours nous le faisons en un jour et demi », a fait remarquer à cette occasion le dirigeant du syndicat no 1, Freddy Paniagua.

En plus du coût payé à une entreprise extérieure pour une tâche que les travailleurs de Chuquicamata pouvaient effectuer, le temps pendant lequel le four Flash n’a pas fonctionné a entraîné une perte financière que les travailleurs ont estimé alors à 48 millions de dollars.

Ils ont calculé en outre que cette année-là on avait produit 68 640 tonnes de cuivre de moins.

L’année suivante, en août 2019, un accident sur le four Flash a blessé quatre travailleurs qui se sont retrouvés en contact avec des poussières métallurgiques à haute température dans la chaudière du four.

L’action en justice du CDE a été exploitée par les grands médias dans leur campagne de dévalorisation de Codelco. S’ils ont mis en avant les pertes financières de l’entreprise publiques, ils ont omis de mentionner le dépôt de plainte initial des syndicats de mineurs et les causes objectives des pertes de l’entreprise publique, que sont le manque d’investissement dans les entreprises publiques et, avant tout, l’externalisation à un coût très supérieur des tâches que les travailleurs de Codelco ont toujours pu réaliser eux-mêmes. Voilà une forme d’encouragement à l’investissement privé, de plus en plus présent dans les activités du premier producteur mondial de cuivre, qui laisse une facture de plusieurs millions, a paralysé la fonte de concentré et fini par monter un four à l’envers.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3710.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : El Ciudadano, 30 avril 2024.

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[112,9 millions d’euros – note DIAL.

[23,8 millions d’euros – note DIAL.

[3Sebastián Piñera a été président du Chili entre 2010 et 2014 puis entre 2018 et 2022 – note DIAL.

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