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DIAL 2715

COLOMBIE - Une population noire harcelée au nom de la sécurité “démocratique”

Commission Interecclésiale Justice et Paix

mardi 16 mars 2004, mis en ligne par Dial

Les communautés du Cacarica, région située au sud de la frontière avec le Panama, sont composées d’une population d’origine africaine. Elles ont été déplacées en 1997 lors de l’opération « Génesis » menée par l’armée colombienne. Elles durent ainsi vivre dans des conditions particulièrement difficiles de campement dans la ville de Turbo, dans la région de l’Uraba. Grâce à l’accompagnement effectué par la Commission interecclésiale Justice et paix, elles ont pu regagné la région du Cacarica à partir de février 2000, en se regroupant en deux villages dans des zones humanitaires. Dénommées Cavida - Communautés en autodétermination pour la vie et la dignité – elles observent une stricte neutralité qui les conduit à refuser l’entrée de leur territoire à tous les acteurs armés, qu’ils appartiennent à la guerilla, aux paramilitaires ou à l’armée régulière. Elles n’en sont pas moins l’objet d’agressions fréquentes de la part des acteurs armés, notamment des militaires colombiens. C’est ce que montre le texte ci-dessous rédigé par la Commission interecclésiale Justice et paix, le 26 janvier 2004.


Des militaires du bataillon mobile XVIIéme Brigade ne cessent de harceler, intimider, menacer et dénoncer les descendants des populations africaines du Cacarica et leurs accompagnateurs nationaux et internationaux, sous couvert de mise en place d’une politique de sécurité « démocratique ».

Au cours de la visite de l’évêque catholique Thomas Gumbleton de Detroit, Etats-unis, membre honoraire de notre Commission Justice et paix, visite qui a duré quatre jours, les unités militaires, au seul motif de sa présence, l’ont insulté, se sont moqués de la solidarité internationale et du rôle des personnes accompagnatrices, ainsi que du nouvel emplacement humanitaire Esperanza en Dios où se reconstruit actuellement l’espace de vie et de protection de la population.

A plusieurs reprises, les unités militaires ont violé les lieux de vie de la communauté Cavida - Communautés en autodétermination pour la vie et la dignité -, pourtant délimités et signalés comme il se doit. Elles ont accusé les jeunes et des membres de Cavida d’être des guérilleros, elles ont menacé et intimidé les adultes descendants des populations africaines accusés d’être des guérilleros, elles ont causé des dommages aux biens de première nécessité, elles ont intimidé par des menaces les habitants pour leur faire restituer un fusil prétendument dérobé à un militaire de la XVIIéme Brigade, vol dont on veut faire porter la responsabilité aux membres de Cavida.

Des militaires ont installé deux M-60 dont une face à la Mission de Justice et paix, et d’autres dans le Centre de santé et ils ont encerclé tout l’espace humanitaire avec des hommes en armes. Au petit matin les militaires ont investi le Centre communautaire de Battage et saccagé la balle de riz, ils ont chapardé dans la station émettrice communautaire. Des militaires ont tiré sur un jeune de Cavida au prétexte qu’ils le jugeaient « suspect ».

Pendant une heure, les habitants de Cavida en appelèrent aux chefs militaires qui conduisent l’opération depuis le 13 mai, pour exiger le respect, une observance sans réserves des droits humains et humanitaires. La seule réponse a consisté en menaces, dénonciations, pressions psychologiques, destruction de biens de première nécessité. Lors de l’échange verbal, les militaires annoncèrent que deux nouveaux groupes anti-guerrilla étaient en route vers Vida Nueva. L’un d’eux indiqua que si on le dénonçait, il s’allierait aux paramilitaires pour faire ce qu’il estimait devoir faire. Les membres de Cavida exigèrent que leur soit présenté l’ordre d’arrestation qu’il disait détenir pour arrêter un jeune de la communauté, ordre qu’à aucun moment il ne présenta. Un participant à Cavida qui a guidé la visite des délégations de femmes du Réseau œcuménique des organisations et des Eglises chrétiennes fut accusé par un militaire d’être responsable des rapports qui mettent en cause la XVIIéme Brigade cantonnée dans le Cacarica. Un des militaires indiqua qu’il n’était pas vrai que la communauté soit en possession du fusil, mais la personne de Cavida était cependant priée de se taire.
Pendant ce temps, des groupes armés camouflés de type paramilitaire restent présents sur la base de San José La Balsa à l’intérieur du territoire collectif du Cacarica à moins de deux heures et demi à pied, à moins de 30 minutes par embarcations fluviales militaires, sans qu’aucune intervention gouvernementale de quelque type que ce soit ait eu lieu.

Interprétation

La mise en place sur le terrain de l’opération « Génesis » a commencé il y a presque 7 ans, le 24 février 1997. Elle a été à l’origine du déplacement de plus de 10 000 descendants d’Africains du Bas Atrato parmi lesquels les habitants du Cacarica. Aujourd’hui les modalités d’action sont restées identiques. S’il n’y a pas à ce jour destruction et dégâts irréparables au sens strict, il y a un harcèlement, que l’on peut qualifier de systématique, de la population civile depuis le 13 mai, qui correspond à l’envoi d’un détachement d’unités militaires de la XVIIéme Brigade, sous couvert de protection des occupants de Esperanza en Dios.

De fait, le déroulement des événements montre que la cible militaire des opérations psychologiques a été la population civile. Il montre aussi que les modalités employées, qui incluent la tromperie, le mensonge, les montages médiatiques et juridiques accompagnés d’interventions de terrain, sont la nouvelle forme de contrôle et de répression, bien évidemment illégitime car dirigée contre des populations civiles.
Fourberie, tout est fourberie. Face à l’absence de vérité, il faut rendre crédible le mensonge.

Des accusations de camp de concentration des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie- Armée populaire), seul subsiste le mensonge.

Les membres de Cavida et de Justice et paix font procéder à des assassinats et des disparitions forcées ; ils gardent des armes dans des caches ; ils font du trafic de drogue ; ils ont miné les alentours des zones humanitaires. Mensonge que tout cela, rien que mensonge… sauf à continuer à inventer et fabriquer des preuves, sauf si de prétendus « témoins » continuent à répéter un texte imposé et mal appris.
Voici maintenant une nouvelle invention : non seulement les zones humanitaires sont bourrées de guérilleros, mais s’ajoute l’accusation de vol d’un fusil à un membre de la XVIIéme Brigade, ce qui justifie une attaque de la vie privée familiale et collective. Ils utilisent la population comme bouclier dans leurs actions d’encerclement.

La façon dont s’exprime la politique de sécurité « démocratique » telle qu’elle est appliquée dans le bassin du Cacarica est profondément mise en question et discréditée. Le comportement des membres de la XVIIéme Brigade lors du déroulement des opérations psychologiques qu’ils mettent en avant et qu’un fonctionnaire du gouvernement national a qualifié officiellement ainsi, produit des résultats néfastes au regard des critères et des principes de l’Etat de droit. L’affirmation pacifique des droits, la création d’alternatives aux modèles de guerre d’Etat et de guerre de guerilla, basées sur la mise en application de la distinction et de la différence entre combattants et non-combattants n’est pas respectée. C’est intolérable.

Désaveu public local et national, menaces de mort et dénonciations, destruction des biens de première nécessité, attentats à l’arme à feu contre des jeunes, mise à disposition de moyens pour détruire le « Réseau de la vie », pression pour se lier au réseau de coopérants et de paysans soldats [1], tout a pour origine une même volonté de destruction du projet communautaire et de mise sous contrôle de la population aux fins de soutenir la dynamique de développement de l’agro-industrie.

En même temps, les structures paramilitaires dans les localités donnent l’impression d’exercer sur les personnes et les biens un contrôle sans contre-pouvoir d’aucune sorte. Elles conservent des bases comme celles de La Balsa dans le Cacarica avec des extensions vers les bassins du Salaqui et du Truando où des populations impuissantes assistent à l’anéantissement de leurs ressources naturelles. Sous prétexte de guerilla, la militarisation régulière ou irrégulière semble justifier l’illégalité de la destruction des ressources naturelles.

Les limites quelles qu’elles soient volent en éclat. La répétition d’une certaine mentalité de « vengeance » collective institutionnalisée fait son chemin.

On ne fait pas de différence entre population civile et guerilla. Ou entre accompagnateurs et terroristes manipulateurs. La solidarité internationale de l’Eglise catholique est considérée comme invasion, complicité, guerilla, terrorisme. Cela va jusqu’à insulter un évêque de l’Eglise catholique comme Mgr Thomas Gumbleton. On ne fait pas de différence. Depuis le 13 mai c’est le même comportement et la même façon d’agir. Du moins y a-t-on gagné une chose : l’absence d’hypocrisie. Ni la visite de la Commission interaméricaine des droits humains au Cacarica ni celle de délégations internationales en provenance des Etats-Unis n’ont conduit à un changement d’attitude. Aucun conseil n’a été pris en compte ni respecté.

La population de Cavida, de la zone humanitaire Esperanza en Dios a été la cible de l’opération militaire. Les abus d’autorité ne sont soumis à aucun contrôle et à ce train-là l’intégrité et la vie des personnes subiront des dommages irréparables et aucune, absolument aucune, des autorités de l’Etat n’exercera un contrôle sur ses agents.

Il est clair que cesse la pratique de la mémoire, de la vérité, de la justice lorsque la force régulière de l’Etat a la volonté de nier, de dissimuler, la fin au nom de laquelle elle détruit, contrôle et discrédite même le droit. La force prétend dissimuler et nier l’affirmation du droit à la vérité, à la justice, à la réparation totale. La vérité de gens qui affirment leur droit à ce que l’on reconnaisse que les déplacements n’ont été ni une invention ni un châtiment divin mais la mise en place de stratégies militaires régulières ou irrégulières, vérité que l’on prétend nier et ensevelir au moyen de l’impunité et de nouvelles pratiques pénales alternatives.

La proposition des zones humanitaires (...) se heurte à une politique de sécurité « démocratique » qui ne garantit pas les droits des populations appauvries, qui ne fait rien face à l’exploitation illégale des ressources forestières et à la volonté de faire triompher des modèles agro-industriels comme celui de Palma Aceitera, qui sont des projets à travers lesquels ceux qui appartenaient à des structures armées illégales se « réintégreront » dans la vie « civile ».

Bien évidemment, de victime affirmant son droit, on se transforme en criminel et en bourreau.

On veut que, de propriétaires collectifs, ils se transforment en déracinés, dépossédés, sans territoire.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2715.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Commission interecclésiale Justice et paix, 26 janvier 2004.

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