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DIAL 2681

BRÉSIL - L’héritage de Dom Hélder Câmara : “Meilleur que le pain est son partage”

Rogéria Araujo et Bete Barbosa

samedi 1er novembre 2003, mis en ligne par Dial

La grande figure de Dom Hélder Câmara, disparue il y a 4 ans restera celle d’un géant de l’Église brésilienne et, plus largement de l’ Église latino-américaine. L’article ci-dessous retrace les grandes lignes de son orientation et informe sur les perspectives prometteuses d’une publication de son oeuvre écrite qui fut considérable. Article paru dans ADITAL, sous la signature de Rogéria Araujo, journaliste à ADITAL, avec la collaboration de Bete Barbosa, secrétaire du groupe Église nouvelle et Rejane Menezes, journaliste de l’Institut Dom Hélder.


Saint François, Gandhi, Martin Luther King. Dom Hélder Câmara est mis sur le même plan que ces noms placés sur le podium des grands hommes qui ont fait beaucoup pour l’humanité. L’archevêque émérite de Récife et Olinda est mort il y a 4 ans, le 27 août, dans la capitale du Pernambouc mais il a laissé vivant - et bien vivant - un héritage qui est un repère, une ligne de partage des eaux dans l’histoire de l’Église catholique et qui , jusqu’à ce jour, continue de porter de bons fruits.
Avec ses 72 ans de sacerdoce, « l’homme fragile » venu de l’État de Ceará – comme on le désigne dans plusieurs publications – a eu une force qui a resplendi dans le monde entier où il a joué véritablement le rôle de porte-parole du peuple, des pauvres, des exclus, des prisonniers politiques, des persécutés et de tous ceux dont les droits civiques avaient été violés ou simplement oubliés.

Les amis, laïcs et religieux, qui ont vécu avec Dom Hélder font ressortir que la question sociale a toujours été sous-jacente à son travail habituel depuis qu’il était prêtre. « Il a été attentif à cet appel de Dieu, non seulement pour changer sa vie personnelle, mais pour changer le monde et faire de l’Église une Église spécialement des plus pauvres, des petits. Depuis qu’il était prêtre, sa tâche était auprès des personnes les plus pauvres, ce qui, à l’époque, n’était pas commun. Il visitait les favelas, allait dans les communautés… » affirme le P. Marcel Barros qui a travaillé avec lui durant 8 ans comme secrétaire pour les questions œcuméniques, dans les années 70.

De son ordination, à 22 ans, jusqu’à l’épiscopat, à 55 ans, Dom Hélder a cherché à donner d’autres valeurs à l’Église, faisant le lien entre la religiosité, la foi, et les autres éléments de la vie de la cité – ce qui en a fait la cible de vives attaques, surtout durant le régime militaire.

Spécialement durant cette période, à plusieurs reprises, ses sermons, souvent considérés comme ses véritables discours, ont été interprétés par les forces politiques comme subversifs, incitant à la rébellion, parce qu’il mettait en relief la conscience du peuple, la liberté d’expression et des thèmes toujours d’actualité et objets de polémique comme la réforme agraire.

Au temps de la dictature, il a été l’objet d’accusations graves, il était appelé « l’Évêque rouge » par allusion au communisme ; sa maison, en réalité la sacristie de l’Église des Frontières à Récife, a été mitraillée ; il était interdit à tout organe de presse, de mentionner son nom.
Mais tandis qu’il était réduit au silence au Brésil, sa parole courrait librement par le monde. C’est alors qu’il fut projeté sur la scène internationale et il était toujours invité à parler des droits humains en divers pays. Dom Hélder est passé par tous les continents mais toujours il a voulu qu’il soit clair qu’il n’était pas communiste. Mais, audacieux et courageux, il citait Fidel Castro comme un exemple pour le peuple : « Nous sommes victimes de l’incompréhension. Je crois qu’au début, Fidel Castro ne pensait absolument pas être communiste. Sans doute, il avait amour et soif de justice » déclarait-il au Jornal do Comercio en 1966.
« Il y en a qui disent que le prophète est celui qui prévoit l’avenir. Mais le prophète est celui qui annonce la vie, qui annonce les choses belles et positives et qui a le courage de dénoncer ce qui est faux. Et c’est ce qu’il a fait. Il l’a fait à Fortaleza, à Rio de Janeiro, à Pernambouc, dans le Nordeste, au Brésil, en Amérique latine, dans le monde. Il a voyagé dans les 5 continents du monde, parlant et défendant les valeurs humaines. Et, dans ce temps spécial que fut la dictature militaire, qui fut une chose très lourde, il a eu le courage de demeurer un prophète et de dénoncer ce qui était faux » souligne le Père Jean Pubben qui a célébré les messes, quotidiennement , durant les 5 dernières années de la vie de l’archevêque émérite.

(…)

Dom Hélder et la naissance d’une Église nouvelle

Pour beaucoup, l’archevêque est considéré comme le pionnier d’un nouveau modèle d’évangélisation au Brésil. À Récife, Pernambouc, le groupe Église nouvelle, l’Institut Dom Hélder, le Mémorial Dom Hélder, sont quelques initiatives qui essaient de maintenir vivant cet héritage qu’il nous a laissé.

Le P. Marcel Barros affirme qu’il est impossible de penser aujourd’hui à une théologie de la libération, aux travaux des Communautés ecclésiales de base (CEB), aux activité pastorales populaires, sans faire apparaître l’impulsion décisive semée au long des temps par Dom Hélder.

« Je pense que Dom Hélder nous a enseigné une nouvelle manière d’être pasteur, d’être évêque, d’être ministre de Dieu. Un Dieu non pas tout-puissant, important, mais un Dieu qui est amour. Il a été 21 ans archevêque de Récife et, durant tout ce temps, il n’a jamais exercé ce ministère à partir du pouvoir ; ce n’était pas quelqu’un qui commandait, qui était autoritaire, mais bien quelqu’un qui servait les personnes avec grand dévouement et miséricorde. Plus que tout, il veillait à l’égalité » dit le P. Marcel (...)

Le philosophe et docteur en théologie Inacio Strieder, qui est aussi un défenseur des idées de l’archevêque, fait remarquer que, dès le début de son sacerdoce dans l’État de Ceará, il a montré dans son action pastorale qu’il voulait un christianisme différent du traditionnel. Il voulait un christianisme qui ne soit pas seulement un christianisme cultuel, mais un christianisme vécu au quotidien. Un christianisme qui ait des conséquences pratiques.

« Il s’est distingué dans la lutte pour un christianisme incarné dans le monde comme le Christ s’est incarné au milieu des hommes. Il ne discriminait personne, il a promu l’œcuménisme, il a fait l’option préférentielle pour les pauvres ; il a organisé les diverses activités pastorales même dans le domaine de la justice et des droits humains. La théologie devait être au service des hommes. Une théologie et une pastorale incarnées dans la réalité. Il ne comprenait le christianisme que comme cela, un christianisme de vie. C’était cela qui caractérisait Dom Hélder. Une Église qui va au peuple et non une Église qui attend que le peuple vienne à elle », témoigne Strieder.

Institut pour la publication des œuvres inédites de Dom Hélder

Dom Hélder était poussé sans cesse à écrire. Doué d’une verve littéraire bien à lui, il a écrit des poèmes, des méditations et une abondante correspondance durant le Concile Vatican II (1962-1965) sous forme de circulaires envoyées de Rome à son équipe à Rio puis à Récife. C’est ce matériel, riche en spiritualité et en valeurs historiques, qu’une équipe cordonnée par le professeur et historien Luis Carlos Marques a commencé d’étudier avec acharnement depuis le mois de mai de l’an passé dans une salle située à quelques rues de l’Église des Frontières où Dom Hélder demeura depuis le 18 mars 68 jusqu’à sa mort, le 27 août 1999.

L’idée est partie de l’Institut Dom Hélder ; elle a pour but de préserver l’héritage laissé par l’archevêque émérite de Récife et Olinda. Le matériel complet et inédit, pour plus de 90%, prend en compte à ce jour 17 000 pages de manuscrits et les recherches continuent. Selon l’historien, il est difficile de fixer une date pour le lancement du premier livre de la série, mais l’intention est que le premier volume, les Lettres du Concile, soit lancé le 27 août de l’année qui vient, pour le cinquième anniversaire de la mort de Dom Hélder.

« Je voudrais terminer la préparation de ces 290 lettres du Concile d’ici deux mois pour partir ensuite, avec ces lettres sous le bras, rencontrer quelqu’un qui s’engagerait à publier une collection et pas seulement un livre » déclare Marques.

Dom Hélder a réussi à publier quelques livres en dehors du Brésil. Mais ici, au pays, la majeure partie de son œuvre est inédite. Ce qui a été publié éventuellement durant la vie de Dom Hélder, ce furent quelques-unes de ces méditations qui ont servi pour ses livres de spiritualité ; ainsi qu’un matériel réutilisé composé de choses qu’il avait organisées pour faire des livres. Il est difficile d’en faire le compte ; mais, par exemple, des 7 500 méditations, 100 ou 150 au maximum furent publiées. Des lettres circulaires, rien. Elles sont inédites.

L’équipe, formée pour le moment par cinq stagiaires, étudiants de l’Université fédérale de Pernambouc, fait des photocopies numériques de tous les documents qu’elle nettoie, désinfecte et met dans des dossiers de papier neutre pour créer les meilleures conditions de conservation. Avec ces images en haute résolution, ajoute l’historien, il ne sera plus nécessaire de manipuler les originaux qui sont très fragiles.

« Nous avons beaucoup de poèmes et méditations, mais, pour le moment, le plus significatif, c’est l’ensemble des circulaires. Le premier volume sera composé des 290 lettres du Concile. Au total, j’imagine que la collection sera de 6 ou 7 volumes de 1 000 pages. Mais nous savons que la publication d’un si grand volume au Brésil est compliquée » a expliqué Luiz Marques.

Une grande partie des écrits a été livrée par les assistantes de Dom Hélder qui, avec beaucoup d’affection, ont gardé tout ce qui se rapportait aux documents de l’archevêque. Comme il y a beaucoup de documents, Marques affirme que tout ne peut pas être publié mais que tout, d’un point de vue historique, est très important. Il a déclaré : « C’est un matériel de grande valeur historique qui ne servira pas forcément pour la publication des œuvres complètes. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2681.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : ADITAL.

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