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DIAL 2638
VENEZUELA - L’opposition poursuit le combat. Le gouvernement marque des points. Les deux continuent à se faire face.
Aram Aharonian et Humberto Márquez
jeudi 1er mai 2003, mis en ligne par
La Constitution vénézuélienne prévoit qu’un référendum à mi-mandat présidentiel peut être révocatoire si certaines conditions sont remplies. L’opposition, dont les deux principaux leaders sont hors jeu, et qui a dû terminer la grève, semble s’être désormais ralliée à cette perspective. Une nouvelle centrale syndicale est en train de se constituer pour faire contrepoids au syndicat pétrolier qui, en union avec la chambre patronale, a mené une grève qui a appauvri le pays. Enfin, le gouvernement du Venezuela a octroyé un premier paquet de devises à des importateurs 70 jours après avoir suspendu la liberté de change. Cette dernière mesure n’avait pas manqué d’exaspérer le secteur privé, en guerre ouverte contre le président Hugo Chávez. Textes en date d’avril 2003 en provenance d’ADITAL (sous la signature de Aram Aharonian, président de l’Association latino-américaine pour la communication sociale) et d’IPS (sous la signature de Humberto Márquez).
L’opposition a besoin de signatures pour exiger un référendum de destitution
Le président vénézuélien, Hugo Chávez, a lancé à l’opposition le défi « de convoquer un référendum » pour le relever de ses fonctions, référendum prévu par la Constitution, compte tenu du fait que, le 19 août, le président arrivera à la moitié de son mandat. Il a rappelé que, pour cela, l’opposition a besoin de réunir les signatures nécessaires.
Dans son émission dominicale « Allô Monsieur le président », Chávez a refusé de reconnaître les signatures obtenues par l’opposition à la suite de l’Appel du 2 février, en prétendant que « ces signatures n’ont aucune valeur et ne sont que des faux ». Il a rappelé que c’est le nouveau Conseil national des élections que doit désigner l’Assemblée nationale, qui doit fixer les règles du jeu.
En pleine campagne, le chef de l’État s’est insurgé contre les critiques et a assuré que son gouvernement avait fait « énormément de choses » pour « les enfants de la rue », en ajoutant que sa bonne gestion en la matière était corroborée par les chiffres des Nations unies, que « le peuple le reconnaissait » et que plus d’un million d’enfants, qui avaient déserté l’école, étaient de nouveau scolarisés.
Tout en soulignant les « succès » de sa gestion, Chávez a affirmé qu’il « administrera une correction » à ses adversaires dans l’éventualité d’un référendum de destitution : « Nous avons accompli en quatre ans plus que tous les gouvernements antérieurs réunis, qui n’ont fait que mener le pays à la ruine. » Il a parlé entre autres choses de la concession de titres de propriété à des paysans et de crédits pour l’acquisition de machines agricoles.
Il s’est félicité de « la réhabilitation et la construction » d’écoles et de centres d’aide sociale dans tout le pays, en vantant les plans officiels destinés « à renforcer l’industrie nationale, la petite et la moyenne entreprise », et à créer « un nouveau tissu industriel pour démocratiser la production » vénézuélienne. « En juin, nous nous lancerons dans la distribution de 112 000 tonnes d’aliments par mois, qui profiteront à un tiers de la population, c’est-à-dire à huit millions d’habitants, surtout aux plus démunis », a-t-il renchéri.
Il a affirmé que les critiques continues contre son gouvernement, qualifié par l’opposition « d’incapable, d’autoritaire et de corrompu », font partie d’une « vieille stratégie » adoptée par ses adversaires devant l’éventualité d’un référendum de destitution.
Chávez s’est dit « réconforté » par le fait que ce sont ses détracteurs qui ont « opté pour la voie constitutionnelle » avec la décision prise par la Coordination démocratique [1] de tout faire pour que le référendum de destitution puisse avoir lieu.
De son côté, l’ex-candidat à la présidence, Francisco Arias Cárdenas - coorganisateur, avec Chávez, de la tentative de coup d’État de février 1992 et aujourd’hui dans l’opposition -, a indiqué qu’il compte sur le référendum pour régler la crise vénézuélienne bien que, a-t-il remarqué, le gouvernement et Chávez n’y soient pas favorables.
Arias Cárdenas, réinstallé à la présidence du parti Unión. a affirmé : « Pour que le référendum aboutisse pour de bon à une destitution, nous devons nous armer, nous et tous les Vénézuéliens, d’énergie, de courage, d’optimisme et de confiance dans l’existence d’une véritable occasion de sortir de l’impasse. Sachons la saisir, en renonçant pour toujours aux raccourcis et aux déviations qui ne mènent nulle part, et ayons la certitude que nous allons commencer à bâtir une nouvelle nation. »
Adital, avril 2003
Une nouvelle centrale syndicale prend ses distances avec l’opposition
Avec le soutien des puissants syndicats de travailleurs du pétrole, de la fonction publique et des industries de base, une nouvelle organisation syndicale s’est constituée pour faire contrepoids à la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV) qui, alliée à l’organisation patronale, a contribué à une grève politique et au sabotage de l’industrie pétrolière en décembre et janvier derniers.
Les fondateurs de l’Union nationale des travailleurs du Venezuela (UNTV) ont affirmé que leur organisation sera une nouvelle référence pour la classe ouvrière. En effet, la CTV, qui rassemble à peine 12 % des travailleurs du pays, les a trahis en appuyant les dirigeants du patronat qui ont essayé de renverser le président en titre, Hugo Chávez, lors du coup d’État d’avril 2002 comme à l’occasion du mouvement de grève et de sabotage de la fin de l’année.
Le président de la CTV, Carlos Ortega, s’est exilé au Costa Rica en avril dernier pour se soustraire aux accusations d’incitation au crime et au coup d’État. La création de l’UNTV signifie une attaque personnelle contre Ortega, ancien dirigeant qui avait perdu les élections de base dans son propre syndicat.
Franklin Rondón, président de la Fédération des employés de la fonction publique et dirigeant de la nouvelle fédération, a affirmé que tout va être fait pour constituer, le plus vite possible, une « table de dialogue » à laquelle le gouvernement et les représentants des ouvriers et des patrons puissent discuter de la situation des travailleurs et d’une éventuelle hausse des salaires.
La CTV, qui a soutenu le coup d’État, est liée au vieux parti Action démocratique (AD) et aux centrales internationales CIOSL (Confédération internationale des organisations syndicales libres) et ORIT (Organisation régionale interaméricaine des travailleurs) de tendance social-démocrate. Au sein de la nouvelle organisation de travailleurs qui promet d’être indépendante du gouvernement, sont représentés les nouvelles classes de la population qui appuient les réformes sociales du gouvernement actuel, et des groupes de gauche et nationalistes avec leurs revendications de classe.
« La politique politicienne retorse et favorable aux patrons suivie par la CTV, tant pendant le coup d’État du 11 avril qu’au moment du sabotage de l’industrie pétrolière en décembre et janvier derniers, a eu pour conséquence un abandon total de la lutte syndicale qui avait unifié durant des années des milliers de syndicats et de corporations à la recherche de meilleures rémunérations et conditions de travail pour les travailleurs », a dénoncé José Ramón Rivero, dirigeant des travailleurs de l’aluminium.
Rivero a indiqué que la nouvelle centrale ouvrière est issue des syndicats de base de tout le pays et que ses principales caractéristiques se sont façonnées au fil des discussions quotidiennes dans les usines et les milieux de travail.
« Les ouvriers vénézuéliens participent massivement à ce projet, ce qui prouve la nécessité de pouvoir compter sur un organisme sérieux qui les défende contre les abus de leurs patrons et qui veille à l’amélioration des conditions de travail, des qualifications et des rémunérations qu’attendent tous les hommes et toutes les femmes qui se rendent utiles au secteur public comme au secteur privé du pays. » Il a ajouté : « Les membres des coopératives, les travailleurs de l’économie informelle, les dirigeants syndicaux des entreprises publiques ainsi que des associations et corporations de professionnels, à qui a été refusée jusqu’à présent toute possibilité d’intégrer la CTV, auront à y jouer leur rôle et pourront y apporter des idées. »
La nouvelle centrale bénéficie du soutien de quelque 50 syndicats, dont Fedepetrol (environ 18 000 membres), le syndicat de la sidérurgie Sutiss (8 000 travailleurs), ainsi que ceux des industries de l’aluminium, de la métallurgie, du secteur forestier, des mines, de l’électricité, et d’autres organisations qui représentent les employés de la fonction publique. Rivero a conclu : « Au niveau national, le soutien que nous recevons augmente très rapidement et nous pensons que, d’ici peu de temps, nous aurons été rejoints par 2 500 des 3 000 syndicats existant dans le pays, ce qui représente 84 % des travailleurs du Venezuela. »
Adital, avril 2003
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Des dollars au compte-gouttes pour les
entreprises
Quelques entreprises importatrices de produits alimentaires ont reçu entre mardi 25 et mercredi 26 mars 9,5 millions de dollars.
Ce sont les premières entreprises à avoir obtenu un accès à des monnaies étrangères depuis la restriction des changes imposée le 22 janvier, période qui a vu naître un organisme d’État chargé d’appliquer ce régime, la Commission d’administration des devises.
Le gouvernement a décidé d’instaurer un contrôle des changes, qui s’est transformé en une interdiction prolongée de l’achat et de la vente de devises, parce que la grève décrétée par les patrons et les syndicats en décembre et janvier contre Chávez s’est accompagnée d’une fuite de capitaux, qui n’a pas été compensée par des entrées de devises à cause de l’interruption des exportations de pétrole. Mais, dans ce pays où 60 % de ce qui est consommé vient de l’extérieur ou est élaboré avec des produits importés, « le secteur privé est à moitié paralysé et 15 % des entreprises ont mis la clé sous la porte pendant le premier trimestre », a affirmé Albis Muñoz, présidente de la principale centrale patronale, Fedecámaras.
« Avec ce blocage des changes, nous sommes face à la destruction de l’économie. Le gouvernement a décrété la ruine du pays », a affirmé Muñoz, qui a fait partie des promoteurs de la grève de deux mois décidée pour obtenir la démission de Chávez ou la convocation d’élections anticipées. Tous les jours ou presque, des représentants des commerçants ou des industries de l’alimentation, du médicament, de l’agro-industrie, des secteurs de la chimie, de la métallurgie, de la mécanique, de l’automobile et du tourisme dénoncent le risque d’un effondrement d’entreprises si la restriction des changes se prolonge ou si l’allocation de dollars demeure insuffisante.
Des entreprises et des secteurs jugés non prioritaires ont été exclus des premières listes de bénéficiaires de devises, bien que la Commission ait procédé à des ajustements pour y ajouter quelques branches d’activité, comme l’automobile et les intrants destinés à la presse périodique. La filiale vénézuélienne de General Motors a fermé ses portes du 23 mars au 21 avril, faute de matériel pour ses chaînes de montage, et a suspendu son plan d’investissements pour cette année. « Le retard dans l’allocation de devises nous a fait du tort », a reconnu le président de la société, Peter Friedrich. La société Ford ne travaille que trois jours par semaine.
L’an passé, le Venezuela avait prévu d’affecter en moyenne 1 170 millions de dollars par mois aux importations et transferts privés à l’étranger. Mais la Commission des devises a prévenu qu’elle ne disposera que de la moitié de cette somme, environ, pour les mois à venir. « Nous n’attribuons pas des devises à la légère », a déclaré Chávez lors de son émission radiotélévisée hebdomadaire « Allô Monsieur le président », lequel a donné pour consigne à la Commission des devises de « ne pas attribuer un seul dollar aux insurgés », faisant allusion aux initiateurs de la grève de contestation.
Les exportations de pétrole rapportent à l’État plus de 80 % de ses recettes en devises. De même, les dollars gagnés par les particuliers en contrepartie de leurs exportations et de leurs bénéfices nets doivent obligatoirement être échangés à la Banque centrale, organisme émetteur et de réserve.
Francisco Mendoza, président de l’Association des exportateurs, déplore que la Commission des devises « change ses règles tous les 15 jours ». Les règlements successifs ont eu pour effet de durcir les conditions à remplir par les entreprises qui sollicitent des dollars, entreprises qui doivent être à jour de l’impôt ou bien apporter des garanties en bolivars, la monnaie nationale.
L’économiste indépendant Alexander Guerrero a expliqué à IPS que « selon les professionnels, chefs d’entreprise et opposants politiques, l’aversion de ce gouvernement pour les principes du libre-échange engendre une autarcie ruineuse en laquelle je vois la facture à payer par les chefs d’entreprises pour leur conduite politique pendant la grève ».
Luis León, économiste de la société de sondages Datanálisis a déclaré à IPS que le président Chávez « ne comprend, en politique, que le langage de l’affrontement, ce qui incite à penser qu’il veut mener la vie dure aux secteurs d’activité qui se posent en adversaires ». « Il est vrai, a admis le ministre de l’agriculture, Efrén Andrades, que ce contrôle des changes a été instauré non seulement en réponse à une situation économique, mais aussi dans un climat politique tendu. »
Outre le contrôle des changes, le gouvernement a décrété un contrôle des prix sur des centaines de produits alimentaires et de médicaments, et sur quelques autres biens et services, ce qui a permis de ramener l’inflation de 3,4 % en février à 0,8 % en mars. Chávez a déclaré ce mercredi 2 avril lors d’une rencontre avec de petits patrons : « Tout comme j’ai décidé un contrôle des changes et des prix, je demande et j’exige que la Banque centrale réglemente les taux d’intérêt, parce qu’ils sont trop élevés, et qu’ils atteignent plus de 40 % pour les emprunts. »
D’autre part, la restriction des changes a fait réapparaître des propositions de troc ou de paiement en devises nationales, notamment de chefs d’entreprises de Colombie (principal partenaire commercial du Venezuela dans des secteurs non traditionnels) qui ont facturé à leurs acheteurs vénézuéliens pour 350 millions de dollars non encore encaissés. La présidente de la Chambre de commerce Colombie-Venezuela, María Luisa Chiappe, a proposé la semaine passée de recourir à la solution du troc mais, devant les problèmes pratiques que cela pose, elle est revenue à l’idée de payer les achats avec des pesos colombiens et des bolivars par l’intermédiaire d’une banque en activité dans les deux pays. L’idée plaît à Chávez qui, à l’occasion d’une rencontre avec des chefs d’entreprise brésiliens, a dit souhaiter que des entreprises du Brésil fournissent des services d’ingénierie et de construction de routes et de ponts au Venezuela, services qui seraient payés en pétrole brut.
IPS, avril 2003
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2638.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : ADITAL et IPS, avril 2003.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Nom donné au regroupement de l’opposition.