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DIAL 2639

ÉQUATEUR - La longue marche des femmes indigènes

Kintto Lucas

jeudi 1er mai 2003, mis en ligne par Dial, Kintto Lucas

L’émancipation des peuples indigènes d’Équateur a fait un pas en avant remarquable lors des dernières élections et avec la nommination de quelques ministres choisis dans leurs rangs. Les femmes indigènes ont à conquérir une double libération : comme indigènes et comme femmes. Une des figures de proue en est aujourd’hui Nina Pacari, membre du nouveau gouvernement. Article de Kintto Lucas, Quito, 7 mars, paru dans IPS.


En Équateur, des femmes maires, députées et ministres sont l’exemple du rôle prépondérant politique et social, joué par des femmes indigènes ; mais la majorité d’entre elles n’est pas encore concernée par ces avancées.

« Comme l’a dit Dolores Cacuango, nous, les indigènes, nous sommes comme la paille du paramo [1] : on l’arrache et elle repousse » a déclaré la dirigeante Blanca Chancoso, coordinatrice du Forum social mondial en Équateur, en se référant à l’une des leaders autochtones les plus importantes de l’histoire du pays. « Et avec la paille du paramo, nous ensemencerons le monde », a-t-elle ajouté.

Pour Nina Pacari, ministre des affaires étrangères, de l’ethnie quichua, la participation de la femme est une construction de plusieurs siècles. Elle a expliqué à IPS : « Notre participation dans les communautés, dans leurs révoltes, dans leur organisation s’est peu à peu consolidée. Maintenant l’Équateur doit s’habituer à voir dans les espaces de décision des indigènes et des femmes qui n’ont pas perdu leur identité ni leur engagement dans les secteurs qu’ils représentent. »

Sur les 12,5 millions d’Équatoriens, 3,5 millions sont indigènes, répartis en 11 ethnies. La principale est l’ethnie quichua qui vit dans la région andine et en Amazonie, appelée aussi Oriente.

Les indigènes équatoriens participent depuis 1996 aux élections à travers le mouvement Plurinational Pachakutik Nuevo Pais, un mouvement où ont aussi leur place des organisations non gouvernementales, des écologistes et des groupes de femmes.
L’histoire de Nina Pacari est un symbole. Elle est née en 1961 à Cotacachi, au nord de la province septentrionnale d’Imbabura. Elle est avocate, a dirigé des luttes pour les terres et a été dirigeante de communautés territoriales de la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur. En 1997 elle a été nommée présidente du Conseil national de planification des peuples indigènes et noirs, créé pour définir des politiques d’État pour ces peuples. En novembre de cette année-là, elle a été élue à l’Assemblée nationale constituante qui a rédigé la Constitution en vigueur aujourd’hui, promulguée en 1998. Une fois députée, en août 1998, elle a été élue vice-présidente du Congrès national législatif, charge qui n’avait jamais été exercée auparavant par une indigène. « Pour le mouvement indigène, c’est un fait historique parce que jusqu’à présent pas un seul camarade et encore moins une femme indigène n’a exercé une responsabilité quelconque au parlement » disait Nina Pacari à cette occasion.

Ce fait a ébranlé la base de la société équatorienne. « L’Équateur n’était pas habitué à voir une indigène à la tête d’un pouvoir aussi important que le pouvoir législatif », a-t-elle expliqué.

Dans le gouvernement mené par Lucio Gutiérrrez, la vice-ministre du bien-être social, Lourdes Tibán, est elle aussi indigène.

Rosa Rodríguez, la spécialiste des thèmes du développement et des relations hommes-femmes, a insisté : « Les femmes ont gagné des espaces de plus en plus importants pour créer des conditions d’égalité et développer une pleine participation à la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays en construisant leur citoyenneté. »
Mais cette avancée ne concerne pas encore la majorité des femmes autochtones du pays, a estimé la chercheure qui a réalisé divers travaux sur la participation et la citoyenneté de la femme indigène équatorienne, sous l’angle de la relation hommes-femmes. Elle a argumenté : « C’est un processus permanent d’exclusion ; la situation des femmes indigènes a été marquée par une double discrimination, ethnique et sexuelle. C’est pourquoi les progrès dans la participation publique ne concernent pas encore la majorité des femmes. » Elle a donné comme exemple que 53 % des indigènes sont analphabètes, ce qui est un obstacle pour leur développement et leur participation politique.

Malgré leur accès très limité à l’éducation formelle, les femmes ont eu un rôle prépondérant dans les processus de formation indigène, comme porteuses des connaissances ancestrales des cultures andines. Rosa Rodriguez a argué : « Les générations ont appréhendé la langue et la culture à travers les femmes. Elles sont le germe de la résistance culturelle. Il est intéressant de constater que la majorité des éducateurs bilingues sont des femmes. »

Les indigènes ont été bercés dans des traditions, des coutumes, des récits, des normes, tout ce qui constitue les cultures des peuples d’Abya Yala, c’est-à-dire l’Amérique, selon Vicenta Chuma, coordinatrice de l’École des femmes leaders Dolores Cacuango. « C’est chez nous que l’histoire officielle a rencontré la plus grande résistance ; nous avons maintenu, cachées au creux de notre châle, la langue et la culture que le peuple quichua a générées au cours des siècles », ajouta Chuma.
La leader Nina Pacari, récemment nommée à une fonction diplomatique au Pérou, a rappelé le passé de la communauté indigène, lorsque les hommes et les femmes avaient les mêmes responsabilités. « Nos ancêtres racontent que l’homme et la femme partageaient également l’autorité et les fonctions de caciques. La preuve en est que nos dieux sont hommes et femmes : c’est le cas de la Lune, des montagnes [2], de la Pachamama », a-t-elle relaté.
Selon Rosa Rodríguez, à partir de l’introduction des valeurs du monde européen, cette forme de relation hommes-femmes s’est brisée, s’est réduite progressivement au domaine privé, perdant ainsi la possibilité de participer aux sphères de décision.

« A partir des processus de migration de l’homme vers la ville dans les années 70 et 80, la femme indigène a assumé de nouveau un plus grand rôle dans l’organisation communautaire, dans les comités de lutte pour la terre et pour l’eau, dans la production et l’éducation », a continué Rosa Rodríguez. Mais beaucoup d’hommes font encore obstacle à l’avancée des femmes indigènes à des postes de représentation.

« A Guamote (province du centre de Chimborazo), nous les femmes leaders, nous nous sommes préparées depuis 1984 et depuis lors nous sommes dans ce processus. Cependant il y a encore quelques camarades qui ne veulent pas reconnaître la valeur de nos apports, de notre pensée », a assuré la conseillère indigène María Naula.

La tradition est riche en exemples. Dans les premières décennies du XXème siècle, Dolores Cacuango et Tránsito Umaguaña fondèrent les premiers syndicats agricoles du pays et les premières écoles bilingues quichua-espagnol. Ces deux femmes indigènes légendaires ont participé à la fondation de la Fédération équatorienne des Indiens, la première à avoir une ambition nationale : elles furent poursuivies et emprisonnées à cause de leurs activités.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2639.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, 7 mars 2003.

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[1Hauts plateaux andins semi-désertiques couverts d’une herbe rare : l’ichu.

[2Qui sont à la fois masculin et féminin.

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