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DIAL 2952 - Dossier Chiapas

MEXIQUE - Processus de paix, processus de guerre. Brève histoire du conflit du Chiapas : 1994-2006

SiPaz

samedi 1er septembre 2007, mis en ligne par Dial

Dans ce « dossier Chiapas », on trouvera d’une part (voir ci-dessous) un long article présentant les évolutions du conflit depuis 1994, et, d’autre part, un bref texte évoquant des changements récents dans la stratégie militaire d’occupation de la région. L’article publié ici a été publié en français sur le site du SiPaz, Service international pour la paix – Chiapas.


Le conflit actuel du Chiapas n’est pas apparu du jour au lendemain : il correspond à l’aboutissement d’un processus d’organisation ample et complexe face à une situation d’historique injustice.

En ce qui concerne les antécédents de ce conflit, on peut identifier différents facteurs :

 1.- Le conflit du Chiapas se fonde sur le paradoxe d’un État riche mais avec une des populations les plus pauvres de la nation. Dans un État générant 35% de l’énergie électrique du pays, 34% des maisons n’ont pas l’électricité. Dans une zone riche en pétrole, en ressources naturelles et agricoles, près de 60% de la population survit à peine avec un salaire minimum. 60% des enfants en âge scolaire ne peuvent aller à l’école et le taux d’analphabétisme atteint 30%. Seuls 57% ont accès aux canalisations d’eau potable. [Ces chiffres datent de 1994 mais des statistiques plus récentes indiqueraient les mêmes tendances]

 2.- Une situation de forte discrimination raciale (bien que la population indigène représente quasiment 30% de la population totale et la quasi-totalité de la population de la zone dite ‘de conflit’)

 3.- Du fait des caractéristiques du néolibéralisme et de la mondialisation qui tendent à renforcer l’exclusion, trois autres facteurs ont renforcé le taux déjà élevé de marginalisation de la population paysanne et indigène :

  • la chute des prix du café en 1989 ;
  • la réforme de l’article 27 de la Constitution en 1992 (qui, en facilitant la commercialisation des terres, a signifié un affaiblissement du système ‘ejidal’, structure fondamentale de l’organisation communautaire indigène) ;
  • la signature du Traité de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique entré en vigueur le 1er janvier 1994.

 4.- Le groupe qui a donné naissance à l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) commence son action dans la Forêt lacandone avec un profil de guérilla traditionnelle à partir de 1983. Comme le sous-commandant Marcos l’a expliqué dans des écrits postérieurs, le contact avec les communautés indigènes a élargi les perspectives du mouvement. Cela explique le fait que, bien que son noyau militaire soit relativement limité, sa force réside dans le vaste appui social dont il bénéficie.

1994

Le 1er janvier 1994, l’EZLN déclare la guerre au gouvernement fédéral et à son armée, et parvient à occuper divers chefs-lieux de l’État du Chiapas parmi lesquels San Cristóbal de Las Casas, Las Margaritas, Altamirano et Ocosingo. Ses revendications principales étaient « travail, terre, logement, alimentation, santé, éducation, indépendance, liberté, démocratie, justice et paix » (Première Déclaration de la forêt lacandone). Les zapatistes affirment avoir opté pour la voie armée face au peu de résultats obtenus par les formes pacifiques de protestations.

Après 12 jours de guerre, dont le bilan varie entre 145 (selon la version gouvernementale) et 1000 morts (selon les zapatistes), le gouvernement décrète un cessez-le-feu unilatéral sous la pression de la société civile nationale et internationale, et entame un premier dialogue avec l’EZLN dans la cathédrale de San Cristóbal de Las Casas. L’évêque de San Cristóbal, Samuel Ruiz, sert de médiateur. Pour prouver sa bonne volonté, le gouvernement libère les prisonniers zapatistes et l’EZLN livre son unique otage, le Général Absalón Dominguez, ancien gouverneur du Chiapas.

En juin, après une vaste consultation de ses bases, l’EZLN rejette les propositions du gouvernement nées du dialogue de la Cathédrale (propositions rejetées par 98% des votants) parce qu’elles ne répondaient pas à leurs revendications. Elle décide de maintenir le cessez-le-feu et d’ouvrir une étape de dialogue avec la société civile. Par le biais de la Seconde Déclaration de la forêt lacandone, elle convoque la Convention nationale démocratique à laquelle 6000 représentants d’organisations populaires de tout le Mexique prennent part en août.

D’autre part, le gouvernement fédéral ne parait pas disposé à dialoguer plus en profondeur avec un mouvement rebelle qu’il cherche à minimiser ou ignorer. Pour obliger le gouvernement à les prendre au sérieux, les zapatistes rompent l’encerclement imposé par l’armée fédérale et prennent sans recourir à la violence 38 chefs-lieux municipaux, qu’ils transforment en municipalités autonomes et rebelles. Le conflit du Chiapas ressemble toujours plus à une pierre dans la chaussure du gouvernement, d’autant plus que nous sommes en période électorale (pour la présidence de la République) et que la situation économique est chaque jour plus alarmante. À la fin de l’année, au milieu des rumeurs et craintes d’instabilité, une des crises financières les plus graves de son histoire récente éclate au Mexique.

1995

En janvier, une réunion entre le commandement général zapatiste et le ministre de l’intérieur, Esteban Moctezuma Barragán est organisée. On décide la date de la réunion suivante : ce sera le 9 février.

Au lieu des représentants du gouvernement, c’est l’armée mexicaine qui se présente et lance une vaste offensive militaire. Cependant elle ne réussit pas à capturer les dirigeants zapatistes qu’elle prétendait arrêter. Pour certains, ceci constitue une erreur de calcul de la part du gouvernement qui continue de considérer l’EZLN comme un mouvement d’indigènes manipulés qui disparaîtra une fois décapité. Les zapatistes ne répondent pas à la provocation. Cependant, l’armée mexicaine parvient à s’installer dans un grand nombre de communautés.
cf
En mars, le Congrès approuve la « Loi pour le dialogue, la conciliation et la paix digne au Chiapas ». Ce texte instaure la reprise des dialogues de paix, la suspension des opérations militaires contre l’EZLN et la suspension des mandats d’arrêts lancés contre ses supposés dirigeants. Une commission composée de législateurs de tous les partis politiques représentés au Congrès, la COCOPA (Commission de concorde et de pacification) est constituée pour faciliter les négociations.

Une première rencontre a lieu entre les zapatistes, la CONAI et la délégation du gouvernement à San Miguel, municipalité d’Ocosingo. La négociation se prolongera pendant plusieurs mois en dépit de multiples interruptions dans un village des Hauts-Plateaux du Chiapas, San Andrés Larráinzar, que les zapatistes ont rebaptisé Sacamch’en des Pauvres. Les négociations devaient se réaliser dans le cadre de six tables de travail : Table 1 : Droits et cultures indigènes, Table 2 : Démocratie et justice, Table 3 : Bien-être et développement, Table 4 : Conciliation au Chiapas, Table 5 : Droits de la femme, Table 6 : Fin des hostilités.

En août et septembre, l’EZLN lance une consultation nationale et internationale pour définir l’avenir de sa lutte. Plus d’un million de personnes répondent, la majorité appuyant la conversion de l’EZLN en une force politique d’un nouveau genre. Depuis les premiers jours du soulèvement, les zapatistes ont commencé un dialogue ouvert avec la société civile à tous les niveaux. Ce dialogue a été et continue d’être une de ses plus grandes forces et protection.

1996

Début janvier, l’EZLN annonce la création du Front zapatiste de libération nationale (FZLN), nouvelle force politique non partisane, indépendante et pacifique (Quatrième Déclaration de la forêt lacandone). Un Forum national indigène convoqué par l’EZLN réunit plus de 300 représentants autochtones de 35 peuples indiens. Les participants décident de former le Congrès national indigène (CNI).

Les Accords de San Andrés sont signés le 16 février. Ils contiennent les résultats des négociations concernant le thème des Droits et culture indigène (Table 1). En mars, le débat sur le thème « Démocratie et justice » commence. La délégation gouvernementale n’y participe quasiment pas, cherchant à éviter que ce thème ne prenne une importance nationale ou constitutionnelle comme cela avait été le cas lors de la table précédente. Durant cette période, la répression augmente dans tout l’État : arrestation de zapatistes présumés, actions de groupes paramilitaires (‘Chinchulines’ et ‘Paix et justice’), persistance de la militarisation, autant d’éléments qui accroissent plus encore les difficultés de la négociation.

En septembre, l’EZLN décide de se retirer des négociations tant que les conditions nécessaires pour donner crédibilité au processus ne seront pas remplies : libération de tous les prisonniers supposément zapatistes, une Commission du gouvernement dotée d’une capacité de décision politique réelle et qui respecte la délégation zapatiste, l’installation de la Commission de suivi et de vérification (COSEVER), des propositions sérieuses et concrètes pour la Table portant sur ‘Démocratie et justice’, et la fin du climat de persécution militaire et policière contre les communautés autochtones.

En novembre, les parties sont d’accord pour que la COCOPA prépare un projet de loi visant à intégrer dans la Constitution les accords déjà signés. Les parties accepteront l’initiative dans sa totalité sans aucune observation ni correction, ou elles la rejetteront. En décembre 1996, l’EZLN accepte le texte ; le gouvernement au contraire présente des modifications qui changent substantiellement le projet de loi de la COCOPA.

1997

En janvier, l’EZLN accuse le gouvernement d’avoir rompu le processus de dialogue en présentant une contre-proposition au projet de loi de la COCOPA. Elle refuse de reprendre les négociations avant que ses conditions ne soient respectées. Durant toute l’année, l’EZLN organise de grandes manifestations pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il respecte les Accords de San Andrés. La plus spectaculaire est la marche de 1111 zapatistes vers la ville de Mexico. Ces manifestations restent sans succès : le gouvernement paraît avoir décidé de laisser « pourrir » la situation. Le conflit acquiert toujours plus les caractéristiques d’une guerre de basse intensité par le biais de laquelle le gouvernement chercherait à :

  • désorienter l’opinion publique nationale et internationale (discours de paix, travail social de l’Armée, limitation des affrontements d’armée à armée, rumeurs, utilisation des moyens massifs de communication, limitation des possibilités d’observation internationale, etc.) ;
  • maintenir les communautés dissidentes encerclées, sans information, du fait de la présence militaire et paramilitaire ;
  • terroriser la population civile, possibles bases de soutien de l’EZLN grâce à des actions sélectives et « exemplaires » et à miser sur le fait que cela empêchera une plus grande « contagion » de l’insurrection à d’autres parties de la société ou du pays ;
  • « diviser pour mieux régner » et polariser aux niveaux inter et intra communautaires, par exemple au travers d’actions de répression ou d’intimidations à l’encontre des organisations sociales.

Le gouvernement semble miser sur le fait que l’EZLN va perdre sa légitimité dans cette guerre d’usure prolongée qui recouvre des dimensions politiques, militaires, économiques, juridiques et informatives. Parallèlement, la CONAI et le diocèse de San Cristóbal font l’objet de campagnes de diffamation et de critiques.

Une vague de violence se déchaîne dans tout l’État : de la zone Nord (nombreuses actions du groupe ‘Paix et justice’ et attentat contre les évêques de San Cristóbal) à Chenalhó, culminant à Acteal avec le massacre de 45 personnes. Le nombre de déplacés augmente significativement : près de 4000 dans la zone Nord et environ 10000 dans les Altos.

1998

En 1998, le décalage entre les discours de paix et les politiques de force mises en œuvre par le gouvernement s’exacerbe une fois de plus. Le processus de paix paraît définitivement dans l’impasse quand les propositions de réforme constitutionnelle concernant le thème des Droits et culture indigène se multiplient : une du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le parti du pouvoir avec une initiative reprise par le président Zedillo et une autre du Parti d’action nationale (PAN). De cette manière, la possibilité que l’initiative de réforme constitutionnelle de la COCOPA (texte accepté par l’EZLN) soit prise en compte par le Congrès s’éloigne. Face à cette impasse, la CONAI s’auto-dissout (en juin). L’évêque Samuel Ruiz explique qu’il a pris cette décision face aux attaques du gouvernement à l’encontre de sa personne, du diocèse de San Cristóbal et de la CONAI. La COCOPA parvient difficilement à remplir ses fonctions et encore moins à jouer un rôle significatif : cette structure se voit parfois limitée voire paralysée par les intérêts propres aux partis politiques.

Pendant ce temps, la militarisation reste élevée : la CONAI et les organisations des droits humains parlent alors de plus de 70000 militaires, le tiers des forces armées mexicaines (si ce chiffre peut avoir été moins important, on ne peut nier la disproportion de cette présence). Les opérations policières et militaires de grande ampleur se multiplient contre les municipalités autonomes zapatistes (Flores Magón en avril, Tierra y Libertad en mai, Nicolas Ruiz et San Juan de la Libertad en juin). Le prétexte pour intervenir, même s’il a un fondement légal, aboutit à la détention de dizaines de personnes (ce qui est contraire à la Loi pour le Dialogue). Les zapatistes n’ont répondu de façon violente que dans un seul cas (San Juan de la Libertad, municipalité de El Bosque), avec un bilan de 8 morts.

Au Chiapas, le nouveau gouverneur Albores Guillen lance une grande offensive pour rétablir « l’Etat de droit » à travers différentes campagnes : Accord étatique pour la réconciliation au Chiapas, plan de remunicipalisation et loi « d’Amnistie et de désarmement des groupes civils dans l’État du Chiapas ». Ces initiatives sont sévèrement critiquées par l’opposition car elles ne prennent en compte l’EZLN et peuvent créer plus de divisions.

Face à ces offensives juridiques, militaires et légales, l’EZLN reste silencieuse durant de nombreux mois avant de se lancer dans un nouvel effort de plus grand dialogue avec la société civile. Elle annonce une consultation nationale sur le projet de loi indigène présenté par la COCOPA sur la base des Accords de San Andrés. Elle cherche ainsi à rompre le cercle dans lequel le gouvernement veut la maintenir : depuis le début du conflit, il a tenté de présenter le problème comme limité au seul Chiapas.

1999

Cette tendance à régionaliser au maximum le conflit se renforce en 1999. Le gouvernement paraît prétendre résoudre les causes de ce conflit en promouvant le développement économique… sans dialoguer avec les zapatistes. Dans le même sens, le gouverneur Roberto Albores Guillen présente son projet de loi sur les Droits et la culture indigène auprès du Congrès du Chiapas. L’initiative est fortement critiquée par les partis d’opposition et les organisations sociales, car elle passe outre les Accords de San Andrés et tout le processus de consultation qui a permis de parvenir à leur élaboration. Le gouvernement peut cependant donner l’impression à certains qu’il essaye effectivement de répondre à la situation de conflit.

En mars, l’EZLN démontre qu’elle reste un acteur avec lequel il faut compter au travers de la consultation nationale « pour la reconnaissance des peuples indiens et pour la fin de la guerre d’extermination » organisée conjointement par les zapatistes et la société civile. Plus de 2,5 millions de Mexicains y participent.

En réponse, au printemps, de nombreuses campagnes pour discréditer les zapatistes et leurs sympathisants sont menées depuis le Chiapas : la Une des journaux parle de supposés zapatistes rendant leurs armes. En fait, ils ne l’étaient plus ou ne l’avaient jamais été et ces remises d’armes se font en échange d’appuis économiques de la part du gouvernement.

Les autorités de l’État et fédérales prétextent l’application de la Loi sur les armes à feu et explosifs, la lutte contre le trafic de drogues, l’arrestation de délinquants et la protection réclamée par certains habitants pour justifier l’entrée de forces militaires et policières dans les communautés zapatistes.

Mais tant au niveau national qu’international et malgré ses discours de bonne volonté, le gouvernement a du mal à convaincre. Le plus frappant est la fréquence des visites de représentants de l’ONU toujours de plus haut niveau dont les commentaires reprennent le thème du Chiapas ou l’impunité des groupes paramilitaires.

Le 30 décembre, le Vatican annonce le transfert de l’évêque coadjuteur, Raul Vera, à Saltillo, au nord du Mexique. L’évêque Samuel Ruiz avait présenté sa renonciation en novembre, mais elle n’avait pas encore été acceptée. Le transfert de Raul Vera, qui devait succéder à Mgr Ruiz et continuer dans la même lignée, et l’incertitude après coup, génèrent certaines craintes dans les milieux proches du diocèse.

2000

Toute analyse quant à l’an 2000 doit être réalisée dans le cadre d’un contexte électoral (tant à l’échelle fédérale que de l’État). Les espoirs de parvenir à des avancées significatives en direction de la paix avant la fin du sexennat du président Zedillo semblaient d’entrée de jeu minimes. Les élections représentent durant plusieurs mois un élément d’incertitude et d’instabilité, en particulier dans le contexte explosif du Chiapas.

Les élections fédérales du 2 juillet marquent un changement historique pour le Mexique. Après 71 ans au pouvoir, le PRI perd la présidence face au leader de l’opposition (centre-droit), Vicente Fox. À la différence de ce qui était prévu, peu de plaintes pour fraudes ont été présentées (bien qu’il y en ait eu quelques-unes en zones rurales). Le Président Zedillo et le candidat du PRI reconnaissent la victoire de Fox quelques heures à peine après l’annonce des résultats. Le PAN (dont Fox était le candidat) obtient également le plus grand nombre de sièges à la Chambre des députés.

Quelques semaines plus tard, Pablo Salazar, candidat d’une coalition de partis de l’opposition, est élu gouverneur du Chiapas le 20 août, un autre revers inattendu pour le PRI qui a également dominé le monde politique du Chiapas pendant plusieurs décennies.

Les mois avant la prise de possession des nouveaux gouvernements (en décembre) correspondent à un temps de latence et transition, entre expectatives, débats et définitions. Au Chiapas, la tension augmente à plusieurs reprises, en particulier en octobre, suite à l’arrestation de 11 personnes de l’UCIAF, une scission de ‘Développement, paix et justice’, un des groupes accusés d’être paramilitaire.

A partir de la prise de possession de Fox en décembre, on observe un changement significatif en comparaison avec l’administration antérieure : il place le thème du Chiapas comme l’un des premiers de l’agenda national et il ordonne le retrait de 53 barrages militaires.

Après plusieurs mois de silence et sans avoir pris part aux élections, les zapatistes réalisent une conférence de presse reconnaissant que les nouveaux gouvernements pourraient constituer une opportunité pour le processus de paix. Ils demandent trois signes de la part du gouvernement avant de reprendre le dialogue : le respect des Accords de San Andrés, la libération des prisonniers politiques et la fermeture de 7 bases militaires situées dans la zone d’influence zapatiste. Ils annoncent une Marche à Mexico pour défendre le projet de réforme constitutionnelle rédigé par la COCOPA sur la base des Accords de San Andrés.

Fox répond : il présente le projet de loi de la COCOPA le 5 décembre et il ferme petit à petit les différentes positions militaires exigées par les zapatistes. Au niveau du Chiapas, Pablo Salazar montre lui aussi sa bonne volonté en libérant des dizaines de prisonniers zapatistes.

2001

Durant les premiers mois de l’année, le gouvernement de Fox continue de répondre à certaines des conditions exigées par les zapatistes pour reprendre le dialogue : libération des prisonniers zapatistes et retrait de certaines positions militaires. En avril, l’armée évacue les communautés indigènes de Guadalupe Tepeyac, la Garrucha y Río Euseba, remplissant ainsi l’une des trois conditions posées.

Fin février, les zapatistes réalisent leur marche jusqu’à Mexico pour défendre auprès du Congrès la réforme sur les droits et la culture indigène élaborée par la COCOPA en 1996. Après avoir reçu le soutien populaire de milliers de personnes lors de leur passage par 12 États, l’EZLN parle devant la Chambre des députés. Un moment prometteur pour le processus de dialogue… En avril cependant, le Congrès approuve une loi sur les droits et la culture indigène que l’EZLN considère comme une trahison dans la mesure où elle ne reprend pas certains aspects importants des Accords de San Andrés ou du projet de loi de la COCOPA. Le texte de loi approuvé, même s’il représente une avancée, restreint significativement le concept d’autonomie indigène : il ne considère pas les communautés et les peuples indiens comme des entités de droit public, pas plus qu’il ne reconnaît leurs droits à un territoire, à l’utilisation et la jouissance des ressources naturelles ou encore l’association de communautés et municipalités. Les zapatistes rompent le dialogue avec le gouvernement et retournent à la stratégie du silence.

Les Congrès des États du Mexique caractérisés par une forte population indigène (Morelos, Chiapas, Guerrero, Hidalgo, San Luis Potosí, Oaxaca) rejettent cette loi. De leur côté, les organisations et communautés indigènes présentent auprès de la Suprême Cour de justice de la nation 330 recours constitutionnels contre la réforme approuvée ainsi que plusieurs demandes auprès de l’OIT. En dépit des polémiques, cette loi est promue en août.

Lors d’une tournée en Europe, le président Fox déclare : tout est paix et tranquillité au Chiapas. Il donne pour exemple le retour des déplacés. Entre août et décembre, quatre retours de l’Organisation civile Las Abejas ont certes été réalisés. Las Abejas affirment cependant que ces retours ont été « forcés » : les conditions de vie étaient intolérables et on leur avait retiré la quasi totalité de l’aide humanitaire. Ils dénoncent par ailleurs que les paramilitaires de la zone sont toujours armés et que plusieurs coupables du massacre d’Acteal restent impunis.

L’EZLN de son côté se maintient en résistance, exerçant l’autonomie par la voie des faits et rejetant toute aide de la part des gouvernements de l’État et fédéral. Cette option génère des conflits permanents entre bases de soutien zapatistes et d’autres organisations indigènes (auparavant alliées) qui ont choisi d’accepter les programmes sociaux et économiques du gouvernement.

A la fin de l’année, le PRI obtient à nouveau la majorité au sein du Congrès de l’État et des différentes municipalités.

2002

En mars, le gouvernement présente le Plan officiel pour le développement des peuples indigènes, qui laisse de côté plusieurs aspects-clés du projet de loi de la COCOPA et annonce en revanche la mise en place de programmes gouvernementaux. Les zapatistes et la majorité des organisations indigènes rejettent ces mesures et misent sur la construction de l’autonomie par la voie des faits, depuis la base de leurs communautés.

Jusqu’à la fin de l’année, l’EZLN reste silencieuse, protestant ainsi contre l’approbation de la réforme constitutionnelle en matière de droits indigènes. Trois processus parallèles auraient pu modifier ce scénario nouvellement paralysé :

  • Mi février, 168 députés présentèrent à nouveau le projet de loi de la COCOPA auprès du Congrès fédéral, « pour réparer l’erreur d’avoir approuvé (…) une réforme qui n’a pas répondu aux demandes des peuples indigènes. » Cette initiative n’a pas prospéré du fait de la composition du pouvoir législatif (sans changements depuis l’approbation de la loi et jusqu’à la fin du premier semestre de 2003).
  • En mars, l’OIT accepte la réclamation des syndicats et organisations sociales présentée contre la réforme indigène approuvée. Même si une résolution contraire à la réforme n’aurait pas un caractère coercitif, elle pourrait questionner plus encore sa légitimité, et constituer une sanction morale. Ce processus n’est pas encore terminé.
  • Finalement, l’expectative la plus grande avait trait à la décision de la Suprême Cour de justice de la nation quant aux plus de 300 controverses constitutionnelles présentées contre la loi approuvée. Elle s’est prononcée en septembre, validant cette loi.
    Tout au long de l’année, la résistance zapatiste et la construction de l’autonomie se poursuivent au milieu de tensions inévitables avec les autorités locales officielles, et avec les organisations auparavant alliées et désormais en conflit pour le contrôle politique et du territoire. Entre juillet et août, le Chiapas connaît une préoccupante escalade de la violence et plusieurs dirigeants zapatistes civils sont assassinés dans les municipalités autonomes de la Forêt. À partir du second semestre, un autre vecteur de tension est la menace d’expulsion violente des communautés situées dans la Réserve de la biosphère Montes Azules.

2003

Le 1er janvier, plus de 20 000 indigènes des bases de soutien zapatistes « prennent » la ville de San Cristóbal. L’EZLN rompt le silence et condamne les trois principaux partis politiques pour avoir trahi le fond des Accords de San Andrés avec la loi indigène approuvée. Au cours des mois suivants, elle rend public un « Calendrier de la résistance », 12 documents par le biais desquels le sous-commandant Marcos présente une radiographie des luttes qui existent dans le reste du Mexique (en reprenant la même route que la Marche de la couleur de la terre avait suivie).

En mai, après plusieurs mois de tension suite aux menaces d’expulsion, le gouvernement de l’État du Chiapas et les dirigeants lacandons signent une trêve pour ne pas réaliser d’expulsion des communautés de la Réserve de la biosphère Montes Azules. Même si à partir de cela, la violence diminue, les discours contradictoires de la part des différentes instances gouvernementales contribuent à maintenir la tension dans la zone.

En juillet, plusieurs actions violentes ont lieu au Chiapas durant les élections législatives en particulier à San Juan Cancuc, Zinacantán et Chenalhó. À échelle fédérale, on enregistre le plus fort taux d’abstentionnisme dans l’histoire récente du pays.

Parallèlement, l’EZLN annonce une série de changements quant à son fonctionnement interne et sa relation avec la société civile nationale et internationale (sept documents qui forment la « Treizième stèle »). Pour mettre en place l’autonomie établie dans les Accords de San Andrés, lors d’un acte célébré à Oventik, le commandement de l’EZLN annonce la disparition des Aguascalientes, la création des Caracoles et des Comités de bon gouvernement. Chacun des 5 Comités de bon gouvernement (JBG) est formé par un ou deux délégués de chacun des Conseils autonomes de la zone, couvrant ainsi les 30 Municipalités autonomes rebelles zapatistes. Le projet zapatiste semble plus que jamais de résistance et non pas militaire, et opte pour une attitude proactive de désobéissance civile en se proposant d’assumer des fonctions de gouvernement de manière toujours plus explicite.

A Oventik, l’EZLN annonce le retrait des barrages et des péages sur les routes et chemins sous leur contrôle, comme un geste de bonne volonté en direction des communautés non zapatistes. L’EZLN continuera cependant à fonctionner dans le cadre de la défense des municipalités autonomes.

La création des JBG marque le début d’une nouvelle étape de recomposition des relations à l’intérieur et à l’extérieur des territoires zapatistes. En dépit du message conciliateur lancé aux non-zapatistes, la redéfinition de ces territoires n’est pas allée sans générer des tensions avec d’autres acteurs sociaux, en particulier autour des thèmes de redéfinition territoriale et l’administration de la justice du fait de la pluralité existante dans les dits territoires.

À échelle nationale, les représentants du Congrès national indigène s’engagent à suivre l’exemple des zapatistes, en promouvant l’autonomie indigène dans tout le pays, et en défendant les droits des peuples indiens dans la pratique.

Face à cela, le discours du gouvernement fédéral a cherché à affirmer que les comités de bon gouvernement peuvent s’intégrer dans la Constitution, grâce à la dernière réforme constitutionnelle qui reconnaît l’autonomie indigène.

A 20 ans de la fondation de l’EZLN et à près de 10 ans du soulèvement armé du 1er janvier 1994 au Chiapas, les perspectives de reprise d’un processus de négociation semblent toujours plus lointaines quand chacune des deux parties dans le conflit répond à une stratégie, une conception du temps et des intérêts clairement différenciés.

2004

Dix ans après le soulèvement armé zapatiste, force est de reconnaître qu’en dehors du Chiapas, beaucoup pensent que le conflit dans cet État est soit résolu soit dissolu, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Cependant, ce conflit persiste parce que les causes qui l’ont généré persistent, ceci dans un contexte de guerre ‘intégrale d’usure’ qui se caractérise par une absence de confrontation directe mais le maintien de plusieurs stratégies militaires, politiques et économiques qui continuent à acculer les zapatistes et génèrent de nombreux conflits communautaires.

Le dixième anniversaire du soulèvement armé zapatiste a marqué le début de l’année 2004. Cette célébration a donné lieu à différentes analyses sur le chemin parcouru par les zapatistes au long de cette dernière décennie. En ce sens, on peut souligner l’importance des néozapatistes dans la chute du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) après 71 ans au pouvoir ainsi que leur rôle dans le renforcement du mouvement indigène à échelle nationale. On peut également souligner l’impact de leur lutte dans la naissance du mouvement altermondialiste, contraire au néolibéralisme et qui cherche à développer de nouvelles alternatives face à ce modèle.

Dans la zone de conflit, les Comités de bon gouvernement zapatistes ont œuvré comme des gouvernements autonomes régionaux. Un des aspects les plus notables est leur travail de médiation et résolution des conflits communautaires non seulement entre zapatistes, mais aussi avec des secteurs de la population non zapatistes. Le niveau de conflit a diminué de manière significative en 2004, même si la tension se maintient, en particulier du fait de la constante présence militaire dans la zone. Dans son bulletin L’occupation militaire au Chiapas : le dilemme du prisonnier, le Centre d’analyses politiques, sociales et économiques (CAPISE) informe de l’existence de 91 campements militaires dans la zone ‘de conflit’. Il analyse également l’impact de la présence militaire sur le respect des droits collectifs des peuples indigènes.

Le plus grand nombre de conflits communautaires a eu lieu autour des services publics comme l’eau, l’électricité, la réalisation d’œuvres publiques et du fait de la décision des zapatistes de maintenir leur propre organisation autonome parallèlement au système de gouvernement ‘officiel’. Pendant toute l’année, la résistance au paiement de la lumière électrique a généré un des plus grands mouvements de désobéissance civile (non zapatiste), en dépit du programme ‘Tarif vie meilleure’, par le biais duquel le gouvernement de l’État cherchait à mettre fin au non-paiement des factures d’électricité. Ce programme a cependant augmenté le nombre des conflits entre la population et la Commission fédérale d’électricité qui a effectué des coupures d’électricité de manière constante et a continué à augmenter ses tarifs.

Au mois d’avril, dans la municipalité de Zinacantán (région des Hauts-Plateaux), les zapatistes de la zone ont souffert l’agression la plus violente depuis 1994. Des membres du Parti révolutionnaire démocratique (PRD) avaient coupé l’eau aux zapatistes de la communauté de Jechvó : des représailles dues au fait que les zapatistes autonomes n’apportent plus la coopération économique liée aux postes de responsabilité communautaires traditionnels. La violence a entraîné plusieurs blessés et 125 familles déplacées qui n’ont pu revenir chez elles que plusieurs semaines plus tard, alors que la division se maintient entre les deux groupes.

La Réserve de la biosphère Montes Azules a représenté une zone de tension constante et fait l’objet de nombreuses polémiques. Le gouvernement maintient une politique de conservation de l’environnement à tout prix et son projet d’expulsion des communautés considérées « irrégulières » (majoritairement de l’EZLN et de l’Association rurale d’intérêt collectif indépendante et démocratique - Union des unions). Certaines ONG comme « Maderas del Pueblo del Sureste » (‘Bois des peuples du Sud-Est’) et le Centre de droits humains Fray Bartolomé de Las Casas ont continué à exiger une analyse intégrale de la problématique environnementale de la Réserve sans pour autant oublier les facteurs sociaux-économiques qui ont conduit autant de personnes à l’habiter.

En octobre, l’EZLN a annoncé la ‘reconcentration’ de plusieurs de ses villages installés à Montes Azules. Ceci constitue un repositionnement des bases de soutien zapatistes, du fait de la dispersion et de l’éloignement par rapport aux Caracoles zapatistes. Une plus grande proximité leur permettra de les organiser et les protéger davantage.

D’un autre côté, le ‘Projet de développement social intégral et soutenable de la forêt lacandone’ (PRODESIS) a été lancé et sera cofinancé par le gouvernement de l’État (16 millions d’Euros) et l’Union européenne (15 millions). Destiné aux microrégions qui entourent Montes Azules, il est présenté comme un instrument qui devrait permettre d’éradiquer la pauvreté par le biais de la formation et la planification des acteurs de la région, ainsi que par la mise en place de projets de développement. Le PRODESIS a été durement remis en question par les ONG vu qu’il représente le même modèle de conservation de l’environnement imposé depuis les hautes sphères, sans consulter les communautés au préalable.

Dans l’État du Chiapas, on a pu observer des fortes régressions concernant le respect des garanties individuelles et des droits humains. En février la loi dite ‘Loi muselière’ a été mise en place. Elle augmente durement les sanctions pénales pour délits contre l’honneur, ce qui limite le droit à la liberté d’expression et d’accès à l’information. Il faut encore ajouter à cela d’autres réformes législatives qui visent à un plus grand contrôle provoquant la limitation d’espaces de participation sociale et de moyens pour protester ou pour dénoncer des situations d’injustice, comme la loi anti-maras (bandes de jeunes), la loi de bioterrorisme, la loi de fiscalisation, etc. D’un autre côté, le président de la Commission de l’État du Chiapas a été destitué, ce qui a remis en question la véritable autonomie de cet organisme chargé de vérifier le respect des droits humains de la part des autorités.

Amnesty International, dans son rapport 2004, a affirmé que les efforts du gouvernement fédéral pour permettre le respect des droits humains restaient insuffisants. En décembre, cet organisme a également publié un rapport spécial intitulé « Abus non entendus à Guadalajara : la résistance à éclaircir les violations des droits humains ne fait que perpétuer l’impunité ». Il dénonce les arrestations arbitraires et les tortures affligées aux manifestants qui ont protesté contre le Sommet d’Amérique Latine et de l’Union Européenne à Guadalajara en mai dernier.

En septembre, le président Vicente Fox a présenté son rapport de gouvernement pour 2001 au milieu de fortes protestations de la part de l’opposition au sein du Congrès, et de manifestations de différents secteurs sociaux dans les rues de Mexico. De manière parallèle, et dans le cadre du premier anniversaire de fonctionnement des Comités de bon gouvernement, l’EZLN a publié une série de communiqués intitulés « Lire une vidéo ». Ce rapport répond aux critiques reçues et reconnaît deux limitations importantes : le peu de participation des femmes et l’influence que la structure politico-militaire zapatiste continue à avoir sur les gouvernements autonomes civils. Il rend aussi compte d’avancées en matière de santé, éducation, alimentation, terre, logement et autogouvernement.

En octobre, les élections municipales ont eu lieu au Chiapas. Il convient de noter que l’EZLN n’a fait aucun obstacle au bon déroulement de ces élections, après avoir négocié avec l’Institut fédéral électoral (IFE). Suite au processus électoral, les acteurs ont commencé à se repositionner dans les différents chefs-lieux. On peut remarquer une perte d’identité des partis politiques du fait d’alliances ou parce que certains candidats n’hésitent pas à passer d’un parti à l’autre pour pouvoir maintenir leur quota de pouvoir.

L’affaiblissement de la démocratie partisane et la perte de prestige de la part des autorités sont de plus en plus forts, tant au Chiapas qu’à échelle nationale. L’agenda de toute la classe politique tourne autour de la dispute des prochaines élections présidentielles (2006). Face à ces luttes entre partis politiques, plusieurs mouvements sociaux ont lancé en novembre le premier Dialogue national pour un projet de nation avec liberté, justice et démocratie afin d’unir les résistances contre le modèle néolibéral.

2005

En janvier, dans le cadre d’une visite au Chiapas, le président de la République Vicente Fox a affirmé que l’EZLN était un sujet qui « dans la pratique, appartenait déjà au passé, alors que tout le monde regarde vers l’avant ». Ces mots ont mis en évidence que l’EZLN n’est pas le problème majeur du gouvernement, davantage préoccupé par le contexte préélectoral, le pouvoir croissant du trafic de drogues et d’autres affaires de loi de plus haute priorité pour son administration.

En janvier encore, au moment de la prise de possession des nouvelles autorités municipales, des manifestations se sont produites, ainsi que des blocages de routes et des affrontements à Oxchuc, Tila et Sabanilla, entre autres. À Tila (zone Nord), les deux partis concurrents, le PRI et l’Alliance PRD-PT, ont proclamé leur victoire. Le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire a fini par déclarer le PRI vainqueur. Les opposants ont alors décidé d’occuper la place de la mairie. Le 15 février, plus de 800 policiers ont délogé avec violence les manifestants. 54 personnes ont été arrêtées. Le prêtre de Tila a fait remarquer que les tensions s’étaient ravivées d’elles-mêmes dans la région suite aux problèmes postélectoraux et à la réactivation du groupe paramilitaire ‘Paix et justice’.

En février, le Centre de droits humains Fray Bartolomé de las Casas a rendu publique une dénonciation pour violation des droits humains dans la zone Nord du Chiapas, plainte qui avait été présentée à la Commission interaméricaine des droits humains en octobre 2004. Le centre a dénoncé l’impunité persistante, bouillon de culture de nouveaux conflits : les structures paramilitaires n’ont pas été démantelées ni désarmées, les responsables matériels et intellectuels des exactions n’ont pas été punis et l’on n’a pas dédommagé les victimes. Quelques jours après l’opération policière de Tila, le centre a qualifié la détention de Samuel Sánchez Sánchez, fondateur et dirigeant de ‘Paix et Justice’ de « tardive et insuffisante ».

A échelle nationale, le 7 avril, la Chambre des Députés a décidé de lever son immunité au chef du gouvernement du District fédéral de Mexico, Andrés Manuel López Obrador, et de lui retirer ses fonctions afin qu’il réponde à un processus pénal pour délit présumé. Cette action a été jugée comme politique visant à empêcher López Obrador, leader du PRD et favori des sondages, de participer aux prochaines élections présidentielles. Le rôle joué par Vicente Fox, son parti, le PAN et par le PRI ont été fortement remis en question dans cette affaire. Fin avril, face à une pression populaire massive, le processus a finalement été suspendu.

Le 20 juin, l’EZLN s’est déclarée en Alerte rouge, ce qui a signifié la fermeture des structures autonomes civiles (les Caracoles) et le regroupement des insurgés zapatistes. Parallèlement, l’armée zapatiste a annoncé la rupture de tous les contacts existant entre la structure civile zapatiste et les institutions gouvernementales de l’État du Chiapas.

Quelques temps avant l’Alerte rouge, on a pu observer d’étranges regroupements de bases militaires et policières au Chiapas, fait sans précédent depuis 2001. Le jour même de la déclaration de l’Alerte rouge, le ministère de la défense nationale communiqua qu’il avait réalisé une opération de destruction de 44 pieds de marihuana en territoire zapatiste. Il s’est rapidement avéré que cette opération s’était déroulée en dehors de la ‘zone de conflit’, dans des municipalités sans présence zapatiste. Le ministère de l’intérieur a alors été amené à démentir ses propos.

Plusieurs communiqués ont été publiés suite à l’Alerte rouge (levée le 11 juillet) :

  • Annonçant une restructuration politique et militaire à l’intérieur de l’EZLN ;
  • Clarifiant que l’Alerte rouge avait été une « mesure de prévention » pour protéger un processus de consultation interne (il faut rappeler qu’une autre consultation zapatiste en février 1995 avait coïncidé avec une offensive militaire pour détenir le commandement zapatiste) ;
  • Informant qu’après un processus de consultation en assemblées communautaires, l’EZLN avait décidé de lancer « une nouvelle initiative politique de caractère national et international » qu’elle expliquerait à travers la Sixième Déclaration de la forêt lacandone (« Sexta »).

La « Sexta » propose la création d’un nouveau « front large de lutte », impulsé par le biais d’un voyage à travers tout le pays afin de forger des alliances avec d’autres groupes politiques et sociaux, indiens, ouvriers, paysans, étudiants et populaires ; l’idée est de créer conjointement un « programme national de lutte, mais un programme qui soit clairement de gauche, c’est-à-dire, anticapitaliste » et de pouvoir aboutir à une nouvelle Constitution. La Sexta propose également d’organiser une rencontre intergalactique comme celle de la Realidad en 1996.

Alors que les principaux partis réalisaient des élections internes pour nommer leurs candidats aux élections présidentielles, l’EZLN lança ‘l’Autre campagne’, rompant toute relation avec les partis politiques. Après ce que les zapatistes appellent la « trahison » législative de 2001, lorsque le Congrès approuva une réforme institutionnelle différant des Accords de San Andrés, elle considère que rien ne peut être négocié avec « ceux d’en haut », les institutions et les partis politiques. Cette prise de position de la Sexta par rapport aux partis a généré une polémique et dans certains cas une rupture. Selon l’EZLN, décider de voter pour le « moins pire » n’est pas une option. La Sexta n’appelle cependant pas à l’abstention.

Face à la crise de la démocratie représentative, et en rupture avec les institutions, le zapatisme propose, plus qu’une stratégie, une méthodologie construite par et pour ceux « d’en bas », une méthodologie fondée sur l’écoute : l’Autre campagne. Plusieurs réunions entre l’EZLN et la société civile ont été organisées au Chiapas pour préparer le lancement de l’Autre campagne à travers le pays. Lors de la première session plénière en septembre, 2069 personnes sont venues au Caracol de La Garrucha.

2006

Les élections présidentielles ont eu lieu au Mexique le 2 juillet. La marge de différence extrêmement limitée existant entre les deux premiers candidats n’a pas permis de nommer un vainqueur ce jour-là. Finalement, l’Institut fédéral électoral (IFE) a donné la victoire à Felipe Calderón (PAN) sur Andrés Manuel López Obrador (Coalition pour le bien de tous) avec une marge de différence inférieure à 1% et au milieu d’accusations de fraude. Plusieurs recours légaux furent présentés au Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la fédération et finalement rejetés par celui-ci.

López Obrador convoqua plusieurs mobilisations massives qui paralysèrent Mexico pendant plusieurs mois et qui culminèrent en septembre au moment de la Convention nationale démocratique (CND) durant laquelle il fut nommé « président légitime » devant des centaines de milliers de personnes.

Après une campagne électorale caractérisée par de nombreuses irrégularités, le 20 août, Juan Sabines Guerrero (représentant la Coalition pour le bien de tous, ceci alors qu’il était maire de la capitale du Chiapas pour le PRI peu avant le début de la campagne) a gagné les élections au poste de gouverneur, également avec une marge étroite.

Le 1er janvier, le délégué Zéro (sous-commandant Marcos) a commencé la tournée nationale prévue dans le cadre de l’Autre Campagne. En mai, à San Salvador Atenco, État de Mexico, des milliers de policiers ont expulsé un groupe de paysans qui manifestaient contre la construction d’un supermarché à l’endroit où ils vendent leurs fleurs. Ceci a dégénéré en un affrontement violent qui provoqua la mort de deux personnes et l’arrestation d’une centaine d’autres. La police a été accusée de plusieurs violations des droits humains y compris du viol de dizaines de femmes. Face à ces faits, le sous-commandant Marcos a déclaré une « alerte rouge au Chiapas » et a suspendu sa tournée nationale qui reprit en octobre.

En mars, le ministre de l’intérieur a affirmé qu’il n’existe plus un état d’exception du fait du conflit armé. Il a informé qu’actuellement l’armée mexicaine limitait ses activités aux besoins que requiert un État-frontière. Les ONG locales rapportent cependant la présence de 70 camps militaires permanents dans les seuls territoires indigènes du Chiapas.

Les conflits se maintiennent principalement du fait de problématiques agraires non résolues. Dans la communauté Choles de Tumbala, 30 familles zapatistes ont été expulsées en août. En novembre, dans le village de Viejo Velasco (forêt lacandone), une attaque armée de centaines de membres de la dite Communauté lacandone est perpétrée contre 17 familles autochtones qu’ils accusent d’avoir envahi leurs terres. Bilan : 4 morts et 4 personnes disparues (possiblement exécutées).

En 2006, au moins 20 cas de menaces et harcèlement se sont présentés contre des activistes et défenseurs des droits humains au Chiapas.

Dans l’État de Oaxaca, le mouvement enseignant de Oaxaca a mobilisé plus de 40 000 enseignants en un ‘sit in’ prolongé qui reçut le soutien d’amples secteurs sociaux de cet État. Cette manifestation qui commença par des demandes syndicales finit par incorporer l’exigence de la renonciation du gouverneur du PRI, Ulises Ruiz. L’Assemblée des peuples de Oaxaca (APPO) a été formée. On a dénoncé de nombreuses violations des droits humains contre ce mouvement de la part de forces policières (de Oaxaca et fédérales), parmi lesquels plusieurs assassinats et disparitions, ainsi que différentes arrestations irrégulières.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2952.
 Source (français) : SiPaz, Service international pour la paix – Chiapas. Texte revu par Dial.

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