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DIAL 2380
COLOMBIE - La paix est possible - Les négociations avec l’Europe devraient inclure un accord préalable sur le respect des droits humains
Hector Torres
jeudi 1er juin 2000, mis en ligne par
Dans une interview accordée à DIAL le 15 mai à Santa Fe de Bogotá, Hector Torres, directeur de la revue Utopías (revue d’inspiration chrétienne, ouverte au secteur populaire) donne son point de vue sur l’évolution possible du conflit qui sévit en Colombie. En dépit d’une aggravation des violences (cf. DIAL D 2375), les conditions lui semblent favorables pour l’établissement de la paix. Au moment où la Colombie s’apprête à négocier une aide européenne dans le cadre du Plan Colombie (cf. DIAL D 2374) l’auteur invite l’Europe à poser comme condition préalable le respect des droits humains.
On constate en Colombie une aggravation de la situation en ce qui concerne les violences, massacres, enlèvements, interventions des guérilleros, des militaires et des paramilitaires. Dans ce contexte-là, peut-on espérer un changement dans les années qui viennent ? Quelle est votre analyse à ce sujet ?
Je suis assez optimiste parce que je crois qu’une bonne partie des violations des droits de l’homme se fait dans le contexte de la guerre, et actuellement il y a des dialogues - pas encore de négociations - entre les groupes guérilleros les plus forts du pays (les FARC, l’ELN [1]) et le gouvernement. J’ose dire que la guérilla a compris qu’il n’y a plus d’espace pour la lutte armée en Colombie, et même dans le monde. Je crois que les guérilleros sont arrivés à se rendre compte que la guérilla n’est plus un projet historique valable et donc qu’ils doivent, non seulement dialoguer, mais négocier avec le gouvernement. Actuellement depuis une année, il y a des conversations pratiquement jour après jour entre le gouvernement et les FARC. On est arrivé déjà à plusieurs choses. D’une part, de chaque côté, a été nommée une commission pour mener les pourparlers et, plus encore, il y a un mois, le gouvernement a demandé au président de la Conférence épiscopale de Colombie de faire partie de cette commission et lui, Mgr Alberto Giraldes Jaramillo, a accepté. Donc à petits pas, on est arrivé déjà à faire du chemin.
Il y a des choses, par exemple, incroyables : dans la zone qu’on appelle la zona de despeje [2], on a construit une maison, un centre de rencontres, et là, il y a même des responsables de la Bourse de New York qui sont venus parler avec la guérilla.
Est-ce le signe que la guérilla veut se transformer en mouvement politique ?
Oui, les FARC ont dit plusieurs fois déjà qu’elles veulent négocier avec le gouvernement et parvenir à la vie publique démocratique. C’est pourquoi elles ont lancé un mouvement qui actuellement est clandestin, et qui s’appelle Movimiento bolivariano. C’est la préparation d’une sorte de parti politique, de mouvement politique ou de force politique pour le jour où on arrivera à signer les accords de paix.
Pensez-vous que l’ELN va suivre le même chemin ?
Oui. Parce que c’est un groupe faible. Il est actuellement assez affaibli et je crois qu’il est arrivé aussi à la même conclusion : il doit négocier le plus tôt possible.
Est-ce que, dans cette évolution, il n’y a pas une force d’opposition importante représentée, entre autres, par les paramilitaires ?
Oui et non. Les paramilitaires se définissent toujours par rapport à la guérilla. Le chef de paramilitaires, Carlos Castaño, a toujours dit, dans des interviews publiques ou privées : « nous sommes là seulement pour nous opposer à la guérilla, pour éviter que la guérilla avance. Si la guérilla se démobilise, nous aussi. » Espérons que c’est la vérité et que lorsque la guérilla signera des accords avec le gouvernement, les paramilitaires disparaîtront. Je l’espère.
Les paramilitaires eux-mêmes sont un ensemble assez diversifié, je pense...
Oui. Parce qu’il y a les paramilitaires qui ont été créés par les narcotrafiquants, il y a les paramilitaires qui ont été organisés avec l’aide de l’État parce qu’il y avait une loi qui permettait l’organisation de paramilitaires - cette loi n’existe plus mais elle a existé. Il y a aussi les paramilitaires qui ont été organisés par les grands propriétaires terriens ou par les grands commerçants de la ville ou par les industriels, etc. Donc leur origine est assez diverse. Et il y a des paramilitaires qui ont une organisation nationale mais il y a aussi des paramilitaires qui fonctionnent au niveau régional ou même local.
On peut donc envisager qu’il y aura des négociations, mais croyez-vous que le gouvernement actuellement a la liberté politique ou une base suffisante pour mener ces négociations ?
Oui. Il y a actuellement une crise assez forte en Colombie, entre autres choses, à cause de la corruption des fonctionnaires de l’État et de la classe politique, et quand on fait des sondages, on constate que le Président - même si on le critique (et il a actuellement une image assez basse dans l’opinion publique) a toujours l’appui de la population pour la question de la paix. Tout le monde veut qu’il y ait une négociation.
Dans cette perspective-là, que peut-on attendre des pays étrangers, des États-Unis bien sûr, mais aussi de l’Europe ?
D’abord une solidarité, disons, humanitaire. Il est important de savoir que les pays d’Europe, et même les Américains veulent, souhaitent, désirent qu’il y ait la paix en Colombie. Je crois qu’il a un petit mouvement de solidarité vis-à-vis de la Colombie à cause de la guerre, à cause de la violation des droits de l’homme, à cause des violations du droit international humanitaire. Mais, évidement, la paix ne peut se faire que s’il y a de l’argent pour reconstruire le pays. Et cette reconstruction va être assez coûteuse et elle prendra pas mal d’années. Je prends un exemple : l’ELN a détruit au moins 350 pylônes d’énergie électrique et la réparation coûte vraiment très cher. Il y a aussi les places et édifices qui ont été détruits par les FARC avec leur système de bouteilles de gaz... Il y a beaucoup de destructions, ce qui ne fait qu’augmenter la misère et la pauvreté de la population. Donc, négocier la paix, cela veut dire aussi avoir beaucoup d’argent pour résoudre les problèmes importants de pauvreté, de misère, d’infrastructure... Je crois que la seule solution c’est d’avoir non seulement la solidarité mais aussi l’appui économique des pays qui le peuvent : l’Europe, le Canada, les États-Unis, le Japon.
Pensez-vous que l’appui économique de l’Europe doive être conditionné par certaines exigences ?
Oui. Je crois qu’une condition fondamentale c’est le respect des droits de l’homme de la part de l’État. La même condition vaut pour la guérilla : il faut insister pour que la guérilla aussi respecte les droits de l’homme.
D’autre part, il faut aussi conditionner l’aide à une utilisation transparente de ces fonds, parce que, tout le monde le sait, en Colombie, il y a une corruption assez grande de la part des fonctionnaires d’État.
Troisième condition : qu’il y ait une forte participation de la société civile, surtout là où des projets seraient financés avec cette aide. Au moins, ces trois choses-là.
Mais, évidemment il faut aussi une transformation de l’État, il faut une réforme de la Constitution. Encore une fois, on doit exiger que l’État soit beaucoup plus démocratique et qu’il y ait beaucoup plus de participation réelle de la population dans les grandes décisions, qu’il s’agisse de décisions nationales ou de décisions régionales ou même locales.
La Conférence des commissions européennes Justice et paix
La délégation de la Conférence des commissions européennes Justice et paix a déclaré au cours d’une conférence de presse à Santa Fé de Bogota, le 15 mai 2000 :
“Nous demandons aux gouvernements européens et aux institutions européennes dans le contexte des accords entre la Colombie et l’Union européenne, et particulièrement face aux prochaines négociations en rapport avec le Plan Colombie, qu’ils soient coresponsables des accords globaux sur les droits humains et le droit humanitaire international. À ce propos, nous rappelons que 53 États ont signé la déclaration de la 56ème session de la Commission des droits humains des Nations unies.
Nous insistons pour que, au cours de ces négociations, soit mise sur table la véritable situation de la Colombie. C’est-à-dire que ne soient pas prises des solutions faciles face à la situation complexe du pays (comme ce serait le cas en donnant une aide humanitaire ou militaire) : toutes les relations économiques et politiques ont pour condition le respect des droits humains et du droit humanitaire international.”
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2380.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Utopias, mai 2000
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Respectivement : Forces armées révolutionnaires de Colombie, et Armée de libération nationale (NdT).
[2] Il s’agit de la “zone démilitarisée”, grande comme la Suisse, désormais sous le contrôle des FARC suite à un accord de celles-ci avec le gouvernement qui a retiré son armée de cette zone. Une autre zone démilitarisée vient d’être négociée avec un autre mouvement de guérilla, l’ELN (Armée de libération nationale) (NdT).