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DIAL 2440

COLOMBIE - Quand disparaît l’espoir

Angélica Montes

mardi 16 janvier 2001, mis en ligne par Dial

Angélica Montes, de l’université de Cartagena, donne son point de vue sur le conflit colombien. Cette lettre, datée de juin 2000, est parue en version espagnole dans L’Ordinaire latino-américain, juillet-septembre 2000 (IPEALT, Université de Toulouse-Le Mirail).


En Colombie, la guerre est une constante à laquelle nous sommes soumis de façon permanente, payant ainsi les erreurs politiques que les stratèges et les intellectuels de ce pays, (ajoutées à l’impuissance, devenue indifférence, de nombreux citoyens anonymes) ont commis depuis toujours.

Dans ce climat d’horreur, nous qui sommes protégés, je devrais plutôt dire retranchés, dans les villes, il nous est épargné de mourir comme des combattants, même si la mort dantesque nous arrive par bribes à la télé ou par les récits d’autres personnes.

La guerre de guérilla en Colombie est tellement pleine de rumeurs, d’absurdités, que nous avons fini par oublier comment tout cela a commencé : Marquetalia 1964, les actions d’un groupe de plus de 48 paysans exerçant leur droit à la légitime défense de leurs intérêts, qui ont dégénéré dans l’illégalité et l’illégitimité des FARC et de l’ELN [1] qui, retranchés dans un discours quelconque, remplis de mythes gauchistes largement dépassés, maintiennent en échec plus de 33 millions de Colombiens. Marquetalia 1964, l’absence d’un vrai gouvernement démocratique et juste dégénéra en un système politique faible, manichéen, inopérant, corrompu et dépourvu de la confiance de plus de 33 millions de Colombiens.

Aujourd’hui, 36 ans plus tard, alors que le conflit est ausculté, analysé et largement thématisé, au-delà des frontières (par exemple, la façon dont va évoluer l’avenir économique, politique et social du pays préoccupe beaucoup les défenseurs des droits humains, et les congressistes nord-américains connaissent mieux le célèbre Plan Colombie que les Colombiens eux-mêmes), le plus grand problème, selon moi, est l’absence certaine d’une issue négociée à la guerre.

Nous sommes passés, avec un nombre incalculable de cadavres, d’un affrontement sur fond politique et social revendiqué par les guérillas paysannes des FARC et de l’ELN (qui mobilisèrent la plus grande armée paysanne de l’histoire de l’hémisphère occidental, si l’on fait exception de quelques épisodes de la révolution mexicaine) qui demandaient alors une réforme agraire, à ces mouvements de guérillas métamorphosés qui ont fait de la Violence une institution économique, leur source et leur soutien financier, et auxquels se sont joints les paramilitaires (AUC) dirigés par des gens comme Castaño (je ne veux pas suggérer que ce type de mouvement armé a des origines différentes mais il mérite une analyse particulière).

Indépendamment du fait de savoir si les rangs de ces deux guérillas sont alimentés par des jeunes des villes ou des campagnes, s’ils sont convaincus ou pas du changement politique par la lutte armée, s’ils ont rejoint leurs rangs volontairement ou non, aussi bien les FARC que l’ELN méconnaissent tout principe humaniste ; il n’y a pas de semaine sans qu’il y ait un génocide local, dont la caractéristique commune est la sauvagerie destructrice, cruelle et injustifiée de leurs hommes armés, boycottant ainsi les idéaux qui ont fait la gloire de la gauche démocratique marxiste.

Face à ce spectacle, pour ceux d’entre nous qui sympathisons avec les idéaux politiques de la gauche, il semble peu probable que les couleurs révolutionnaires qui flottent fièrement dans le Caguán et au sud de Bolívar, contiennent un projet politique sérieux, « sauf au sens habituel mais banal de lutte pour le pouvoir et pour la reddition du gouvernement à des conditions imposées par la guérilla » [2] dans sa recherche stratégique du pouvoir.

Les luttes de Manuel Marulanda, alias « Tiro Fijo » (FARC), de « Gabino » (ELN) et de Carlos Castaño (AUC), -dont les raisons sont plutôt personnelles et locales, et je ne me sens représentée ni par leurs exigences, ni par leurs méthodes et stratégies - sont plus historiques. Les raisons qui les ont conduits dans les montagnes ne sont plus les mêmes que celles qui les font rester dans leurs fortins technologiques et militaires et qu’ils appellent avec une fausse humilité des « campements ». En effet, tout simplement, il n’y a plus aujourd’hui de paysans pour faire la réforme agraire, car « comme au Moyen-Âge, les paysans se pressent pour aller dans les villes en quête de sécurité » [3]. Il n’y a pas non plus de prolétaires car dans les villes il n’y a plus d’emploi ; il n’y a plus de riches, ceux qu’il y avait sont partis ; ici, seulement restent ceux qui comme nous vivent, souffrent et subissent ce pays, ceux qui comme nous n’en partiront pas, parce que nous n’avons pas de chéquier, donc nous n’avons que le choix de nous joindre à la chaîne humaine qui parie sur la pacification et la reconstruction de la Colombie.

Carlos Guillermo Peña, anthropologue à l’Université nationale, disait dans un article publié dans le journal de l’Université que « une histoire comme celle de la Colombie peut être un bouillon de culture particulièrement propice à la montée des discours fascistes. Le culte aux victimes de la violence, converties en héros éphémères pour avoir été sacrifiées dans un conflit juste, continue à influencer la construction de nos projets nationaux » [4], ainsi, pour les groupes armés, la crise de la nation est le symbole qui montre la nécessité d’un ordre nouveau qui se cristallisera dans une communauté nationale épurée et rajeunie et qui émergera des décombres d’un système étatique en pleine banqueroute morale et politique.

Aujourd’hui, je suis plus sûre que jamais de ces paroles-là, quand je vois et écoute ces trois hommes, de plus en plus perdus dans ce dangereux mélange d’arrogance et d’optimisme, sans soutien idéologique, des assassins professionnels et sauvages (différents de l’image du noble bandit de la tradition paysanne qui, de façon invariable, faisait ressortir sa modération dans le meurtre), des vengeurs qui rendent tout un chacun victime de leur dessein personnel, en justifiant la liste de leurs homicides – directs ou indirects - par une histoire familiale tragique et sanglante, comme l’a fait Castaño, ou par la recherche d’une Colombie meilleure, plus démocratique et libérée des oligarchies et de la corruption politique, comme le déclarent à tue-tête et avec orgueil « Tiro Fijo » et « Gabino ».

Je ne me suis jamais déclarée aussi sceptique qu’aujourd’hui, et je rejoins ceux pour qui le désespoir est le lieu commun. Même la présence de Cano, un personnage qui me semble quelque peu lucide au milieu de tant d’obscurité politique dans laquelle se trouvent les FARC, ne me semble pas positive. Le dit « Mouvement bolivarien » [5], dont on a chargé cet intellectuel, est né marqué du sceau de l’autoritarisme pour le malheur de tous. Car si les FARC ne croient pas que dans ce pays puisse exister une démocratie tant que le destin politique sera entre les mains des partis traditionnels de droite, si elles ne font pas non plus confiance aux éventuelles garanties que leur offrirait l’État dans le cas d’un projet de réinsertion (quoiqu’ils aient même raison après l’extermination et la persécution des membres de l’Union patriotique, bras politique des FARC, qui a essayé de s’ouvrir légalement un espace sur la scène politique du pays) et si elles ne semblent pas non plus désireuses de se mettre d’accord sur une issue pacifique à la guerre intestine dans laquelle nous nous débattons, quel autre chemin leur reste-t-il pour prendre le pouvoir si ce n’est la solution militaire, la coercition par la terreur et la confrontation directe avec l’État, ce qui impliquera la population civile ?

Franchement, je ne vois pas d’issue proche ; je partage les idées d’un ami qui me disait que, pour lui, la plus grande hypocrisie de cette guerre réside dans le fait que les faiseurs de guerre « qu’ils soient de droite ou de gauche, qu’ils exercent leur pouvoir depuis la maison Nariño ou depuis la forêt, sont tous pareils. Ils ne pensent qu’à maintenir leur statu quo, assassinent ceux qui ne pensent pas comme eux, commettent les mêmes erreurs et les mêmes atrocités qu’ils attribuent à leurs ennemis. Ils se ressemblent tellement qu’ils sont pris dans une étreinte mortelle, ils dépendent l’un de l’autre pour justifier leur existence et alimenter leur haine. Ils ne veulent que la victoire et à cause de cela, il ne leur reste pas d’autre issue que la défaite. Ce qui est triste, c’est que nos vies et nos avenirs sont le champ de bataille. »

Le nôtre est un pays où, pour ceux qui habitent les campagnes, vivre est devenu une question de chance, peu importe de quel côté on se trouve.

En ce moment, ces mots que Schopenhauer avait l’habitude de dire me viennent à l’esprit : « les choses ne seront jamais meilleures, tout au plus différentes » ; au fond j’espère seulement que, en ce qui concerne la Colombie, le philosophe se trompe et que l’avenir sera meilleur que le passé et le présent.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2440.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : L’Ordinaire latino-américain, juillet-septembre 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[1Forces armées révolutionnaires de Colombie et Armée de libération nationale, qui sont les deux principaux mouvements de guérilla (NdT).

[2Deas Malcom, revue Cambio 16, juin 26, N° 366.

[3Eric Hobsbawm, Rebeldes primitivos, Éditions Ariel, Barcelone, 1983.

[4Carlos Guillermo Peña, “Páramo”, journal U.N. N° 8, Bogotá, mars 2000.

[5Mouvement lancé récemment par les FARC, qui serait destiné à devenir leur représentation politique (NdT).

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