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DIAL 2473

ARGENTINE - l’échec scolaire des pauvres

Alexis Oliva

mardi 15 mai 2001, mis en ligne par Dial

Il y a une corrélation évidente entre pauvreté et abandon de l’école par des enfants et adolescents de familles vivant en Argentine en situation de vulnérabilité sociale. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par la « Consultation Equis » en diverses régions du pays. Cette enquête a mis en lumière l’existence de facteurs de discrimination des plus pauvres, aussi bien à l’intérieur du système éducatif qu’à l’extérieur. Dans la brève présentation faite ci-dessous, la parole est largement laissée aux enfants. Article de Alexis Oliva, paru dans Desafíos Urbanos, janvier 2001.


Dirigée par le sociologue Artemio López. l’enquête était ciblée sur un public d’enfants pauvres de 14 et 15 ans qui avaient déserté l’école et sur des parents d’enfants pauvres qui avaient eux-mêmes abandonné le collège. Les parents d’enfants interrogés, dont les enfants ont abandonné l’école, appartenaient aux deux sexes, étaient âgés de 30 à 55 ans et, pour la majorité d’entre eux, n’avaient pas terminé le cycle primaire. Tous faisaient partie de familles nombreuses de six à huit enfants en moyenne. L’enquête a été menée dans quatre régions de haute vulnérabilité sociale : dans la périphérie de Buenos Aires et dans les provinces de Chaco, Córdoba et Salta. Pour les parents, on a pris en considération leur âge, les conditions de leur activité, leur type d’activité et leur niveau d’instruction. En ce qui concerne les enfants on a pris en compte leur âge, leur entourage, la composition du groupe familiale, l’activité du chef de famille et le niveau d’instruction des parents.

Contexte critique

L’étude est partie du fait qu’existe dans le pays une population de 13 205 000 personnes (36,1%) qui se situe en dessous du seuil de pauvreté, tandis que 3 146 000 (8,6%) survivent en dessous du seuil d’indigence.

On a utilisé le concept de « pauvreté structurelle », qui « comprend une série d’indicateurs se rapportant aux conditions de vie du foyer et aux besoins de base non satisfaits ». En ce sens, on a considéré en dessous du seuil de pauvreté les familles qui subissent les carences suivantes : bidonvilles avec des rues en terre sans trottoirs ni tout-à-l’égout, habitations précaires ou très abîmées, sans égouts, sans gaz naturel, sans eau courante, sans éclairage public ou électricité, avec un hôpital public à plus de 30 pâtés de maison, des transports publics à plus de dix, un ramassage des ordures tous les trois jours ou plus, un commissariat à plus de 30 pâtés, des zones inondables ou proches d’une décharge. On a également considéré que les besoins de base n’étaient pas satisfaits lorsque les familles habitent dans des logements inadaptés avec plus de trois personnes par chambre, sans sanitaires ni canalisations d’eau dans la maison, ont des enfants d’âge scolaire qui ne fréquentent pas l’école, dont le chef de famille n’a lui-même pas terminé ses études primaires et où il y a trois inactifs ou plus pour une personne active.

Les parents

Les enquêtes réalisées auprès des parents d’enfants ayant déserté l’école ont permis de détecter, en premier lieu, une dépréciation de l’institution éducative, « au moins en ce qui concerne l’éducation formelle et les avantages qu’elle offrait traditionnellement ». D’autre part, deux problèmes ont été mis en évidence : en premier lieu, celui des « résultats différenciés (eu égard aux autres groupes sociaux), liés au patrimoine culturel de la famille et aux conditions de vie. »

En second lieu, celui de « la qualité de l’offre éducative proposée par les établissements soumis à un modèle dont la stratification interne tend à coïncider avec la stratification sociale. Ainsi semblent se reproduire à l’intérieur du système éducatif les conditions matérielles et culturelles du milieu concerné. »

D’où on conclut que dans ce contexte « la variable économique doit nécessairement être considérée comme un facteur déterminant pour l’abandon scolaire ». Personne, à l’intérieur de la famille concernée ne décide que les enfants doivent abandonner l’école. Le « sujet décideur externe » est l’économique : lorsqu’il n’y a pas d’argent pour le transport scolaire, pour acheter le matériel pédagogique ou lorsque le grand nombre de membres de la famille oblige l’enfant à quitter le collège. Tout aussi importants sont les facteurs discriminatoires internes du système éducatif. Ainsi, « les écoles pour pauvres sont pauvres, les écoles placées dans les zones où la violence est quotidienne connaissent aussi quotidiennement des situations de violence, les écoles des quartiers où vivent des gens peu éduqués offrent une éducation déficitaire. »

Les enfants

Voici quelques témoignages obtenus auprès des enfants :

 Ivana : « Ma maman ne peut pas travailler à cause de problèmes de santé et moi je travaille. C’est pourquoi j’ai quitté le collège. »

 Marcelo : « Moi j’aide mon papa à travailler. J’allais en première année et à la moitié de l’année il n’y avait plus d’argent pour payer et j’ai dû m’en aller. »

 Andrea : « Moi, je reste tranquillement à la maison. Je pense que pour l’année qui vient je suivrai un cours accéléré pour adultes dans un autre collège le matin, et le soir j’irai travailler quelque part. J’ai cherché du travail, mais je n’en ai pas trouvé parce qu’on te demande d’avoir suivi tout le cours secondaire. »

 Daniela : « Je voudrais bien retourner au collège, mais je dois travailler parce que ma maman ne le peut pas. »

 Yanina : « J’avais une bourse (dans un collège privé) et avant j’allais dans un autre collège. Il y avait une grande différence d’un collège à l’autre. Le collège ne me plaisait pas. J’allais au cours, je voyais mes compagnons et je me mettais à pleurer. »

L’enquête menée auprès des enfants qui ont abandonné l’école met en évidence un véritable cercle vicieux. « Nous étions devant des jeunes qui ne peuvent pas étudier parce que les problèmes économiques les empêchent de compléter leur éducation. Ils sont obligés de chercher un emploi pour aider la famille et comme ils n’ont pas fait d’études et sont mineurs ils n’en trouvent pas ou s’ils en trouvent c’est dans des conditions très mauvaises. » D’autre part, on a constaté une discrimination interne dans les institutions éducatives qui n’est pas liée au contexte socio-économique, mais qui est le fait d’une politique éducative qui - incompétence ou complicité - loin de combattre les maux du système, semble employée à les reproduire.

La conclusion est donc doublement décourageante : « Nous avons, d’une part, une dimension socio-économique et, d’autre part, une politique éducative qui définissent les deux visages d’un système d’exclusion qui ne cesse de s’approfondir. »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2473.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Desafíos Urbanos, janvier 2001.
 
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