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DIAL 2878

BRÉSIL - Lettre aux évêques du Pará et de l’Amapá : L’expulsion des sans-terre à la demande des grands propriétaires

lundi 1er mai 2006, par Dial

La région du Pará est tristement célèbre pour les violences qui ont lieu à l’encontre des paysans sans terre et de leurs défenseurs. Cette année, c’est le dixième anniversaire du meurtre de 19 paysans à Eldorado de Carajas, et il y a un an, c’était le meurtre de la Sr Dorothy Stang. Les violences y sont permanentes. Plusieurs organisations, professionnelles ou confessionnelles, se sont unies pour adresser la lettre ci-dessous, datée du 12 avril, aux évêques du Pará et de l’Amapá pour dénoncer de façon précise l’expulsion de paysans sans terre. Une prise de position lucide et courageuse en faveur des victimes de la violence de la police et des grands propriétaires.


« Malheur à vous qui multipliez vos maisons et augmentez vos champs jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun espace et que vous occupiez tout le pays... Vos multiples maisons seront rasées et vos palaces luxueux seront abandonnés. » (Is 5,8)

Chers évêques, nos pasteurs,

En ce temps de grâce où nous contemplons et célébrons dans la foi la passion, la mort et la résurrection du Seigneur, nous voulons vous informer du chemin de croix que vivent les travailleurs ruraux et travailleuses rurales sans terre de notre région du Pará, diffamés, victimes d’injustice et persécutés.

Confiants dans les promesses successives des gouvernements, des milliers de familles sans terre installèrent des campements au bord des routes en face des clôtures d’immenses propriétés agricoles, connues comme improductives, aux titres [de propriété] frauduleux, enrichies par l’exploitation d’ouvriers agricoles provenant de différents Etats et traités comme des esclaves.

Compte tenu de l’excessive lenteur de la réalisation de ces promesses, les travailleurs sans terre souffrant de la faim, de maladies, de persécutions, rendirent ces terres productives, produisant les aliments nécessaires pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Au cours de l’année 2005, lors d’une action conjointe de l’Etat et du pouvoir judiciaire du Pará, à la demande des grands propriétaires, a commencé l’expulsion violente de ces familles. Le bataillon de choc de la police militaire expulsa environ 4 000 familles de plus de 30 fermes occupées. L’opération violente a laissé des centaines de maisons brûlées, des cultures détruites, des enfants qui ont perdu leur année scolaire et des dizaines de pères de famille détenus ou poursuivis criminellement .

Depuis la semaine dernière et au cours de ces jours de la Semaine sainte sont en train d’être expulsés par plus de 200 hommes de la police militaire de choc 7 fermes occupées par approximativement 700 familles du sud et sud-est du Pará.

Dans ce contexte les médias jouent un rôle important pour favoriser le mépris, la marginalisation et la stigmatisation des travailleurs ruraux sans terre qui sont également la cible du pouvoir répressif de l’Etat, traités comme des bandits hautement dangereux. L’Etat, avec tout son appareil de répression, criminalise la lutte pour la terre, étiquetant l’organisation des travailleurs comme une bande de malfaiteurs, organisée pour commettre des crimes et qui attaquent le droit sacré de propriété.

Ce qui n’est pas dit, qui reste secret et intouchable, est ce qu’il y a à la base de ces riches propriétés occupées par les sans-terre. Il s’agit de fermes improductives, qui ne remplissent pas leur fonction sociale et ne respectent pas la Constitution du pays. Exploitation et pratique de l’esclavage d’ouvriers agricoles, appropriation illégale de terres publiques, faux titres [de propriété] et dégradation de la nature, c’est cela qui est à la base de la formation de ces grandes propriétés agricoles. Et malgré cela les sans-terre, clients de la réforme agraire, sont exclus de leur juste droit à la terre et vivent dans une situation de misère extrême, ce qui est un vrai scandale éthique, incompatible avec l’Evangile. « Ils préparent de lourds fardeaux et les mettent sur les épaules des autres mais eux-mêmes ne sont pas prêts à bouger le petit doigt pour les soulager. » (Mt 23,4)

Dans cette guerre déclarée aux pauvres, l’expulsion la plus récente a eu lieu dans la grande ferme Rio Vermelho, dans la commune de Sapucaia, au sud du Pará, dont le groupe Quagliato, connu comme le roi du bétail au Brésil, possède environ 100 000 hectares de terres dans la région de Xinguara, avec plus de 130 000 têtes de bétail.

Environ 300 familles sans-terre ont été expulsées de cette ferme par la police de choc, le 27 mars 2006, par ordre judiciaire. Sitôt après, a été rendu public le fait que ces terres où se trouvaient le campement des sans-terre appartiennent à l’Union fédérale et ont été illégalement appropriées par le groupe Quagliato.

Le campement du MST couvrait une superficie d’à peu près 200 mètres et se trouvait à 13 km de la ferme Rio Vermelho comprenant 26 000 hectares, sans compter la partie des terres appropriée illégalement par les Quagliato, de plus ou moins 30 000 hectares. Malgré les dénonciations d’expulsion illégale, le juge de la Chambre agraire a refusé de révoquer la décision prise en référé. Par ailleurs, le groupe Quagliato a été pris au moins trois fois en flagrant délit par le ministère du travail et par la police fédérale de maintenir en situation d’esclavage dans ses fermes des groupes de travailleurs ruraux, et a eu son nom inclus dans la « liste sale » du ministère du travail [concernant ceux qui pratiquent le travail esclave].

Deux semaines après l’expulsion illégale, le bataillon de choc de plus de 200 policiers, avec des équipements modernes, y compris un hélicoptère, par décision du gouverneur de l’Etat, Simon Jatene et du secrétaire de la défense sociale, Manoel Santino, continue d’être au service du groupe Quagliato en protégeant ses fermes. Et pendant ce temps la population du sud et sud-est du Pará continue à être victime d’attaques constantes à main armée sur les routes, dans les rues, résidences, commerces, banques et d’autres formes de violence, sans avoir droit à la même protection que les grands propriétaires. En plus de cela, des dizaines de mandats de prison décrétés contre des fermiers, accusés d’assassinats de travailleurs, ne sont pas exécutés par la police, laquelle n’a toujours pas pris Adilson Laranjeira Carvalho et Vantuir Gonçalves de Paula, fermiers condamnés le 24 mai 2003 pour l’assassinat du syndicaliste João Canuto.

Au cours de la même semaine a eu lieu la destruction du siège de la ferme Peruana par les sans-terre. Il s’agit d’une grande ferme constituée de parcelles de terres publiques de l’Etat du Pará, qui a été aussi prise en flagrant délit de pratique du travail esclave, occupée par environ 1 000 familles qui espèrent depuis deux années l’expropriation de cette ferme et l’installation officielle de ces familles menacées d’expulsion. Les propriétaires sont d’une famille extrêmement riche de la région et connue pour sa violence. Ils possèdent également la ferme Cabaceiras, prise aussi en flagrant délit de pratique de travail esclave, occupée depuis 1999, où ont été réalisées trois expulsions. Actuellement l’expropriation a été décrétée mais on attend le jugement du recours du fermier au Tribunal fédéral suprême.

Ainsi, face aux promesses non réalisées, aux persécutions et criminalisations constantes, et face à l’impunité des crimes de l’agro-business, comment ne pas comprendre que se produisent des actions de désespoir et de révolte, comme celle de la destruction du siège de la ferme Peruana ?

Il y a des années que nous accompagnons le travail du MST et d’autres mouvements sociaux du monde rural, spécialement dans le sud et le sud-est du Pará. Nous pouvons affirmer que la violence n’est pas une stratégie de ces mouvements ; au contraire ce sont eux qui sont victimes de la violence de la police et des fermiers. Le massacre d’Eldorado du Carajás où ont été assassinés 19 sans-terre, il y a 10 années le 17 avril, en est un triste exemple.

Bien que la lutte de ces mouvements pour la terre ait un caractère pacifique, il arrive qu’à certains moments elle soit aussi violente. Il en a été ainsi quand les Hébreux ont fui l’esclavage d’Egypte. Après de longs campements dans le désert, ils ont eu à mener de violents combats pour la conquête de la Terre promise.

En regardant les visages des mères et pères de famille de ces sans-terre, défigurés par la souffrance, par l’extrême pauvreté, méprisés, exclus de la société, leurs enfants sous-alimentés, affamés de pain, de droits et de justice, comment ne pas contempler la figure de Jésus, telle que la décrit le prophète Isaie : « Il n’avait aucune beauté, rien d’attrayant, aucune apparence agréable , il était méprisé comme le dernier des mortels, homme plein de douleurs, plein de souffrances ; quand nous passions devant lui, nous le frappions au visage ; il était si méprisable que nous ne lui prêtions aucune attention. » (Is 53,2-3)

En ce temps de Carême, face à la souffrance du peuple de la terre, nous renouvelons notre engagement et fortifions notre espérance avec les paroles du prophète paysan : « Ils planteront leurs vignes et boiront de leur vin, ils feront leur verger et mangeront leurs fruits. Je vais les planter dans leur propre terre et plus jamais ils n’en seront arrachés. » (Amos 9, 1-14-15)

Fraternellement
Belém, 12 avril 2006

Via Campesina :

Commission pastorale de la terre

Pastorale de la jeunesse rurale

Mouvement des sans-terre

Mouvement des femmes paysannes

Mouvement des victimes des barrages

Mouvement des petits agriculteurs

Pastorales sociales des diocèses de Marabá et Conceição do Araguaia

Comité Dorothy et

Fédération des travailleurs agricoles du Sud-est du Pará


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2878.
 Traduction Dial.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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