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DIAL 2851

MEXIQUE - L’Armée de libération nationale part en tournée dans tout le pays

dimanche 1er janvier 2006, par Dial

En juin 2005, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a décidé d’envoyer ses délégués parcourir toutes les régions du Mexique à partir du 1er janvier 2006 pour lancer un grand mouvement d’unité entre toutes les couches mises en marge dans la société mexicaine. C’est sa façon de répondre à la campagne électorale nationale qui aboutira aux élections de 2006. L’EZLN refuse de pactiser avec l’ensemble des partis politiques. Le rejet de ces derniers a suscité bien des questions notamment à gauche (voir dossier suivant). Nous publions ci-dessous les extraits essentiels de la Sixième Déclaration de la forêt lacandone (juin 2005) présentant le nouveau plan d’action de l’EZLN, ainsi qu’un article de John Ross sur cette « autre campagne », paru dans Noticias Aliadas, 24 novembre 2005.


« L’autre campagne »

Les zapatistes lancent un défi aux partis politiques pour les prochaines élections

L’Institut fédéral électoral a lancé officiellement le 1er octobre le processus électoral en vue des élections de 2006, mais la campagne est en marche depuis plusieurs mois.

Le candidat favori, Andrés Manuel López Obrador, du Parti de centre-gauche de la révolution démocratique (PRD), voyage en permanence dans les villages éloignés du pays, attirant une grande quantité de gens. Les autres candidats, ceux du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a gouverné le pays pendant 70 ans jusqu’en 2000, et ceux du Parti de l’action nationale (PAN), du président Vincent Fox, sont embarqués dans des affrontements verbaux. Mais « l’autre campagne » a pour objectif de changer dynamiquement le panorama.

L’initiative appartient à l’armée zapatiste de libération nationale (EZLN) dont la Sixième Déclaration de la forêt lacandone, faite en juin, fait appel à une nouvelle façon de faire de la politique. Les rebelles mayas installés au Chiapas envisagent de mener à bien « l’autre campagne » dans le reste du pays « depuis le río Bravo [1] jusqu’à Suchiate [2] » pendant la campagne électorale 2006, dans le but de renforcer la gauche non électorale et anticapitaliste.

Une nouvelle Constitution

Au lieu de présenter de nouveaux candidats, « l’autre campagne » en appelle à l’élaboration d’une autre Constitution qui interdirait la privatisation des ressources publiques et garantirait l’autonomie pour les 57 différents groupes indigènes du pays.

« ‘L’autre campagne’ fournira à l’EZLN une plate-forme lui permettant de construire une organisation des peuples indigènes et non indigènes dans chaque Etat de l’Union mexicaine », a indiqué Hermann Bellinghausen, ancien correspondant du quotidien national La Jornada au Chiapas.

Le 2 octobre, 181 associations indigènes, 68 groupes de gauche, 197 organisations sociales, 474 organisations non gouvernementales et 1 898 personnes et familles ont adhéré à l’initiative.

« L’autre campagne » commencera avec un voyage de six mois par tout le Mexique le 1 janvier le 2006, jour du 12º anniversaire de l’insurrection rebelle de 1994.

C’est la cinquième fois que l’EZLN sort de son bastion pour essayer de convaincre le reste du Mexique de la justesse de sa cause. La dernière sortie des zapatistes hors du Chiapas a eu lieu en 2001, quand les rebelles ont été méprisés par le Congrès lorsque celui-ci mutila la loi indigène pour laquelle les zapatistes avaient longuement combattu. Mais « l’autre campagne » engendrera à coup sûr autant d’opposition que de sympathie.

« Nous devons nous préparer à la répression », a dit le sous-commandant Marcos, porte-parole zapatiste. « Nous pourrions être emprisonnés, nous pourrions être assassinés. Nous pourrions ne jamais revenir à la maison ».

La première semaine les rebelles développeront des liens avec d’autres organisations en lutte au Chiapas, ils iront ensuite à Tabasco, Yucatán et Veracruz avant d’aller vers Oaxaca, le principal Etat indigène du Mexique.

Après être resté deux semaines en avril dans la ville du Mexique et aux alentours, « l’autre campagne » se dirigera vers le nord, Etat par Etat, pour arriver à la frontière au début de juin où auront lieu des réunions avec des activistes mexicains et états-uniens.

Des chocs inévitables

Inévitablement, pendant son trajet, « l’autre campagne » croisera un ou plusieurs candidats des grands partis et des chocs se produiront. « Ce sera très intéressant quand ‘l’autre campagne’ rencontrera López Obrador », a dit Bellinghausen,

Etant donné que que « l’autre campagne » est principalement une bataille qui s’adresse aux cœurs et aux esprits de la gauche mexicaine, les zapatistes ont consacré une grande énergie à attaquer López Obrador, ainsi que le PRD.

« Nous ne disons à personne pour qui voter, ou même s’ils doivent voter », a dit Marcos. « Ce n’est pas une campagne électorale ».

Le retour au pouvoir du PRI est un scénario particulièrement alarmant pour l’EZLN, « non seulement il indiquerait la disparition de la transition du Mexique à la démocratie, mais il renforcera de fait la position des paramilitaires antizapatistes et les militaires de ligne dure », ont soutenu de concert H. Bellinghausen et l’analyste franco-latino Yvon Le Bot, auteur de Le rêve zapatiste, pendant un forum récent en Californie, aux Etats-Unis.

Mais « l’autre campagne » ne s’arrêtera pas après les élections de juillet le 2006. Contrairement aux partis politiques, les zapatistes ont un objectif qui va au-delà de la prise de pouvoir : une nouvelle Constitution pour le Mexique. Après avoir évalué les résultats des élections, un second groupe de commandants s’embarqueront depuis le Chiapas en septembre 2006 et ne rentreront pas avant mars 2007, date à laquelle on évaluera les succès et les échecs de « l’autre campagne ».

« L’autre campagne » n’est pas seulement un autre type de campagne politique, c’est littéralement la campagne des autres. Diversité et rassemblement des plus marginalisés - indigènes, homosexuels, personnes handicapées, miséreux et anarchistes -, telle est la source de l’unité et la force de l’EZLN.

***

La nouvelle stratégie des zapatistes, selon la 6ème Déclaration de la forêt lacandone

Ce que nous voulons faire

(…) Alors, au Mexique, nous voulons arriver à un accord avec des personnes et des organisations de gauche, uniquement, parce que nous pensons que ce n’est qu’au sein de la gauche politique que l’on trouve la volonté de résister à la mondialisation néolibérale et de construire un pays où tout le monde jouisse de la justice, de la démocratie et de la liberté. Et non comme maintenant où la justice n’existe que pour les riches, où la liberté n’existe que pour leurs grands négoces et où la démocratie n’existe que pour couvrir les murs de propagande électorale. Et aussi parce que nous pensons que c’est uniquement de la gauche que peut surgir un plan de lutte pour que notre patrie, c’est-à-dire le Mexique, ne meure pas.

Et alors, ce à quoi nous avons pensé, c’est de dresser avec ces personnes et organisations de gauche un plan pour aller partout au Mexique où il y a des gens humbles et simples comme nous.

Et nous n’allons pas aller leur dire ce qu’ils doivent faire, autrement dit leur donner des ordres.

Nous n’allons pas non plus leur demander de voter pour tel ou tel candidat, nous savons parfaitement qu’ils sont tous partisans du néolibéralisme.

Nous n’allons pas non plus leur dire qu’ils fassent comme nous ou qu’ils prennent les armes.

Non, ce que nous allons faire, c’est leur demander comment ils vivent, comment est leur lutte, ce qu’ils pensent de notre pays et comment faire ensemble pour ne pas être vaincus.

Ce que nous allons faire, c’est aller chercher la pensée des gens simples et humbles comme nous et peut-être que nous y trouverons le même amour que nous ressentons pour notre pays.

Et peut-être allons-nous trouver un accord entre gens simples et humbles, et ensemble nous organiser dans tout le pays et faire concorder nos luttes, qui restent isolées, loin les unes des autres, et trouver une sorte de programme qui réunisse ce que tout le monde veut, et un plan de ce que nous ferons, et comment, pour que ce programme, appelé « programme national de lutte », se réalise.

Et alors, en accord avec la majorité des gens que nous allons écouter, eh bien, nous pourrions faire une lutte de tout le monde : des indigènes, des ouvriers, des paysans, des étudiants, des professeurs, des employés, des femmes, des enfants, des anciens et des hommes et avec toutes les personnes au cœur bon qui auront envie de lutter pour que ne soit pas détruit et vendu notre pays, qu’on appelle « le Mexique » et qui va du Rio Bravo au Rio Suchiate et qui est bordé, d’un côté, par l’océan Pacifique, et de l’autre, par l’océan Atlantique.

Comment nous voulons le faire

(…) Au Mexique...

1. Nous allons continuer à lutter pour les peuples indiens du Mexique, et plus seulement pour eux ni rien qu’avec eux, mais aussi pour tous les exploités et les dépossédés du Mexique, avec eux tous et dans l’ensemble du pays. Et quand nous parlons de tous les exploités du Mexique, nous parlons aussi des frères et sœurs qui ont dû partir aux Etats-Unis chercher du travail pour pouvoir survivre.

2. Nous allons aller écouter et parler directement, sans intermédiaires ni médiations, avec les gens simples et humbles du peuple mexicain et, en fonction de ce que nous entendrons et apprendrons, nous élaborerons, avec ces gens qui sont, comme nous, humbles et simples, un programme national de lutte. Mais un programme qui soit clairement de gauche, autrement dit anticapitaliste et antinéolibéral, autrement dit pour la justice, la démocratie et la liberté pour le peuple mexicain.

3. Nous allons essayer de construire ou de reconstruire une autre façon de faire de la politique, une façon qui renoue avec l’esprit de servir les autres, sans intérêts matériels et avec sacrifice, en consacrant son temps et avec honnêteté, en respectant la parole donnée et avec pour seule paye la satisfaction du devoir accompli. Autrement dit, comme le faisaient auparavant les militants de gauche que rien n’arrêtait, ni les coups, ni la prison, ni la mort, et encore moins des dollars.

4. Nous allons aussi essayer de faire démarrer une lutte pour exiger une nouvelle Constitution, autrement dit des nouvelles lois qui prennent en compte les exigences du peuple mexicain, à savoir : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, information, culture, indépendance, démocratie, justice, liberté et paix. Une nouvelle Constitution qui reconnaisse les droits et libertés du peuple et qui défende le faible contre le puissant.

DANS CE BUT...

L’EZLN enverra une délégation de sa direction pour accomplir cette tâche sur l’ensemble du territoire mexicain et pour une durée indéterminée. Cette délégation zapatiste se rendra aux endroits où elle sera expressément invitée, en compagnie des organisations et des personnes de gauche qui auront souscrit à cette Sixième Déclaration de la forêt Lacandone.

Nous informons à l’avance que l’EZLN mènera une politique d’alliances avec des organisations et des mouvements non électoralistes qui se définissent, en théorie et en pratique, comme des mouvements et organisations de gauche, aux conditions suivantes :

Non à des accords conclus en haut pour imposer en bas, mais oui à la conclusion d’accords pour aller ensemble écouter et organiser l’indignation ; non à la création de mouvements qui soient ensuite négociés dans le dos de ceux qui y participent, mais oui à toujours tenir compte de l’opinion des participants ; non à la recherche de récompenses, de promotions, d’avantages, de postes publics, du pouvoir ou de qui aspire au pouvoir, mais oui à outrepasser les calendriers des élections ; non à la tentative de résoudre d’en haut les problèmes de notre pays, mais oui à la construction PAR LE BAS ET POUR EN BAS d’une alternative à la destruction néolibérale, une alternative de gauche pour le Mexique.

Oui au respect réciproque de l’autonomie et de l’indépendance d’organisations, à leurs formes de lutte, à leur façon de s’organiser, à leurs méthodes internes de prises de décision, à leurs représentations légitimes, à leurs aspirations et à leurs exigences ; et oui à un engagement clair et net de défense conjointe et coordonnée de notre souveraineté nationale, par conséquent avec une opposition sans concessions aux tentatives de privatisation de l’énergie électrique, du pétrole, de l’eau et des ressources naturelles.

Autrement dit, nous invitons comme qui dirait les organisations politiques et sociales de gauche qui ne sont pas officiellement déclarées et les personnes qui se revendiquent de gauche sans appartenir aux partis politiques officiels à nous réunir, au moment, à l’endroit et de la manière que nous leur proposerons en son temps, afin d’organiser une campagne nationale, en parcourant tous les lieux même les plus reculés de notre patrie, pour écouter et organiser la parole de notre peuple. Alors, c’est comme une campagne, mais bien différente parce qu’elle n’est pas électorale.

Frères et sœurs,

Voici notre parole. Nous disons :

Dans le monde, nous allons davantage fraterniser avec les luttes de résistance contre le néolibéralisme et pour l’humanité.
Et nous allons soutenir, même si ce n’est qu’un petit peu, ces luttes.

Et nous allons échanger dans un respect mutuel expériences, histoires, idées et rêves.

Au Mexique, nous allons parcourir l’ensemble du pays, au milieu des décombres qu’a semés la guerre néolibérale et parmi les résistances, retranchées, qui y fleurissent.

Nous allons chercher, et trouver, des gens qui aiment ces terres et ces cieux au moins autant que nous.

Nous allons chercher, de La Realidad à Tijuana, des gens qui veulent organiser et lutter et construire, qui sait, le dernier espoir que cette nation, qui existe au moins depuis le jour où un aigle s’est posé sur un nopal pour y dévorer un serpent, ne meure pas.

Nous invitons les indigènes, les ouvriers, les paysans, les professeurs, les étudiants, les ménagères, les habitants des quartiers, les petits propriétaires, les petits commerçants, les micro-chefs d’entreprise, les retraités, les handicapés, les prêtres et les bonnes sœurs, les chercheurs, les artistes, les intellectuels, les jeunes, les femmes, les vieillards, les homosexuels, les lesbiennes et les enfants, garçons et filles, à participer directement, de manière individuelle ou collective, à la construction d’une autre façon de faire de la politique et d’un programme de lutte national et de gauche, et à lutter pour une nouvelle Constitution.

Voilà quelle est notre parole pour dire ce que nous allons faire et comment nous allons le faire. Elle est à votre disposition, si cela vous intéresse.

Et nous voulons dire aux hommes et aux femmes à la pensée bonne dans leur cœur, qui seraient d’accord avec cette parole que nous donnons, de ne pas avoir peur ou, s’ils ont peur, de se dominer et de dire publiquement s’ils sont d’accord avec cette idée que nous lançons. Comme ça, on verra enfin une fois pour toutes avec qui, où, quand et comment va être franchi ce nouveau pas dans la lutte.

Pendant que vous y réfléchissez, sachez que, en ce sixième mois de l’an 2005, nous, les hommes, les femmes, les enfants et les anciens de l’Armée zapatiste de libération nationale, nous avons déjà pris notre décision et que nous souscrivons à cette Sixième Déclaration de la forêt lacandone, et qu’elle a été contresignée par ceux qui savaient signer et que ceux qui ne savaient pas ont mis leurs empreintes, bien qu’il y ait moins de personnes maintenant qui ne savent pas, parce qu’une éducation a pu être donnée ici, dans ce territoire en rébellion pour l’humanité et contre le néolibéralisme, autrement dit sous les cieux et sur les terres zapatistes.

Voilà quelle a été notre parole simple s’adressant aux cœurs nobles des gens simples et humbles qui résistent et se rebellent contre l’injustice dans le monde entier.

DÉMOCRATIE ! LIBERTÉ ! JUSTICE !

Des montagnes du Sud-Est mexicain.
Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale.
Mexique, en ce sixième mois, autrement dit en juin, de l’an 2005.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2851.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol).

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1A la frontière nord.

[2Au sud.

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