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DIAL 2845

PÉROU - La question de la coca

Luis Llontop

vendredi 16 décembre 2005, mis en ligne par Dial

Le problème de la coca est complexe. Il n’en est que plus intéressant que soient pris en compte dans un même article ses différents aspects : locaux, nationaux et internationaux, juridiques et commerciaux, politiques et humains. Article dû à Luis Llontop, paru dans Signos (Pérou), juin 2005.


Au Pérou, ces derniers temps, les informations sur la coca, les producteurs de coca, les revendications régionales - surtout dans les vallées de production de coca -, le narcotrafic, le Traité de libre-échange (TLC), le narcoterrorisme, etc., sont des réalités en apparence très différentes les unes des autres. Cependant, on ne peut pas nier qu’il existe entre elles un certain lien. Le narcotrafic génère 200 milliards de dollars, dont 1% seulement reste dans les pays producteurs et dont 99% vont aux mafias de narcotrafiquants.

Nous sommes face à un problème majeur ; ce n’est pas une broutille cet argent qui est en jeu, comme en témoigne l’histoire du capo de la mafia surnommé « Mosca Loca » [1], dont le vrai nom était Porto Cardenas Davila, et dont on raconte qu’il avait proposé à un président de la République de payer la dette extérieure du pays en échange de l’immunité absolue dans son activité. Le gouvernement antérieur a connu, à peu de choses près, ce type de problème. C’est ainsi que Vladimir Montesinos, actuellement en détention, est accusé par Demetrio Chavez Peñaherrera, alias Vatican, d’avoir perçu cinquante mille dollars par mois en échange d’une totale liberté dans son activité. Il ne fait pas de doute que sur ce sujet Vladimir a beaucoup de comptes à rendre, tout comme Alberto Fujimori, celui dont, en d’autres temps, il était le conseiller. Mais voyons la complexité du problème.

Au fond du problème

Notre territoire produit 52 700 tonnes de coca par an. De cette quantité, 7 500 tonnes à peine sont nécessaires à l’usage licite et à la consommation des paysans qui depuis des temps immémoriaux mâchent la coca. Première question pertinente : où va le reste de la production ? L’hypothèse qui l’emporte est que son unique destination est le narcotrafic.

Ceci étant, quel est le niveau d’enrichissement et de pouvoir économique et social des populations des lieux où la coca abonde ? Disons, par exemple, les paysans du Alto Huallaga, des Vallées de l’Apurimac et du Ene (VRAE), entre autres. Ce qu’il y a, c’est plutôt que la pauvreté prédomine et que la façon la plus facile de survivre est de continuer à cultiver la coca, un produit qui ne réclame pas de soins particuliers puisqu’il pousse sur des sols même peu fertiles et que, de plus, il présente pour les paysans l’avantage de donner plus de trois récoltes par an. La proposition d’abandonner la culture de la coca pour des produits alternatifs serait-elle aussi éloignée dans le temps que tant d’autres promesses antérieures ? Sur ce point, on rejoint le propos du TLC.

Ricardo Soberón, expert en la matière, a indiqué, il y a peu de temps, dans le quotidien La República, dans un article intitulé « Les dix impostures de la politique antidrogue » que « le développement alternatif n’est pas une politique de l’Etat ». Si c’était le cas, tous les secteurs encourageraient une politique intégrale qui soutienne les producteurs et leurs productions. Malheureusement, alors que la coopération internationale donne une moyenne de 60 millions de dollars par an tout au plus, nous importons pour 1 milliard de dollars par an de produits alimentaires. Nous ne nous demandons même pas s’il existe une stratégie dans la négociation du TLC en ce qui concerne les produits alternatifs (bois d’œuvre, huile de palme, produits tropicaux). Car l’ATPA [2] et l’ATPDEA [3] profitent à l’agro-industrie et aux textiles, mais qu’en est-il des producteurs de coca ?

Pourquoi, dans le cadre des échanges et négociations en vue de la signature du TLC avec les Etats-unis, ne pas examiner cette problématique ? On ne peut pas penser que dans le programme nord-américain la solution au problème de la drogue se réduise à la seule éradication des cultures, c’est-à-dire à la répression à l’encontre des paysans et à un traitement nuisible pour les à cause de l’utilisation de produits chimiques pour arrêter la croissance de la coca. Il faut ajouter à cela la dégradation des terrains et de l’eau des fleuves du fait des produits chimiques utilisés par les narcotrafiquants pour la purification de la coca. La répression de part et d’autre - côté éradicateurs et côté narcotrafiquants -, est ce qui provoque dans la population des comportements violents, signes d’un ras-le-bol, car à ce jour et malgré la signature de conventions et accords mis sur table, on ne s’occupe pas des producteurs.

Normes légales à prendre en compte

Diverses raisons nous conduisent à commenter quelques-uns des décrets-lois et leurs répercussions dans le contexte de la lutte dans le secteur de la coca. Du fait de la division des instances dirigeantes, certains approuvent la signature qui a validé le Décret suprême 044-2003-PCM et d’autres pas. Par ce décret, autorisation est donnée à DEVIDA [4] de mettre en place des programmes de réduction graduelle et concertée des plantations de coca. Les producteurs de la vallée du Monzón avec à leur tête Iburcio Morales, critiquent la dirigeante Nancy Obregón, de la Confédération nationale des producteurs du secteur agro-pastoral des bassins producteurs de coca du Pérou (CONPACCP), pour avoir négocié avec le gouvernement la signature du Décret suprême qui les met gravement en péril.
Une autre loi à prendre en compte est la Loi de contrôle des facteurs de production chimiques et des produits sous surveillance, loi 28305 du 29 juillet de l’an dernier, qui n’est pas, pour l’instant, accompagnée de la réglementation correspondante. L’objet de cette loi est d’établir des mesures de contrôle et de surveillance des facteurs de production chimiques et des produits qui, directement, pourraient être utilisés dans l’élaboration illicite de drogues à partir de la feuille de coca, du pavot, ou d’autres que l’on obtient par des procédés de synthèse. Pour autant que nous sachions, le Pérou importe 95 % des facteurs de production chimiques nécessaires au traitement de la feuille de coca. La liste indiquée par la loi comporte 25 produits. Parmi ceux-ci, on trouve l’acide sulfurique, le carbonate de sodium, le kérosène, le sulfate de sodium, entre autres. On sait que des personnes liées au narcotrafic fondent des entreprises fantômes à travers lesquelles elles importent ces produits. Il existe des stratégies diverses pour se procurer ces produits en marge de la loi : l’une d’entre elles, la plus évidente, consiste en l’approvisionnement en acide sulfurique pour les ateliers de fabrication de batteries. Ce n’est qu’un exemple.

Reconnaître les producteurs de coca comme interlocuteurs

Il doit être très clair qu’un producteur de coca n’est pas un narcotrafiquant en puissance et que la possibilité pour lui de rester à la campagne à cultiver des produits alternatifs suppose une aide plus importante et une attention plus directe. Et surtout, comme l’indique l’expert Hugo Cabieses, que, avant l’éradication, il faut encourager le développement alternatif, comme cela s’est fait avec l’aide de l’Union européenne dans la vallée du Alto Huallaga. Au centre des problèmes soulevés dans ces régions par l’éradication en cours, il y a la question de l’écoute des dirigeants. Il y a une confédération qui les réunit et il y a aussi des dirigeants naturels qui réclament une légitimité. Faire la sourde oreille serait la pire chose à faire ; après tant d’années de violence, il faut apprendre que la répression n’est pas la meilleure conseillère. Une année électorale approche et pour ces dirigeants, s’ils espèrent accéder à de hautes responsabilités (parlementaires en particulier), c’est le meilleur moment pour augmenter leur capital électoral. Alors que répression, violence populaire, blocus, grèves, etc. vont nous maintenir sur la même route de mort tracée par les narcotrafiquants déguisés en soutien des paysans.
Il est encore temps, nous demandons à chacun une réflexion sur ses actes : aux paysans, aux dirigeants, à ceux qui constituent DEVIDA, institution d’Etat, certes très controversée mais qui devra revoir son action pour ne pas laisser entendre qu’elle se contente de satisfaire les intérêts répressifs de son principal bienfaiteur, les Etats-Unis d’Amérique du Nord. Enfin et bien évidemment, nous réclamons de la part de l’Etat une décision définitive par laquelle il assumera le problème des producteurs de coca par des politiques intégrales.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2845.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Signos (Pérou), juin 2005.

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[1Littéralement : mouche folle ; au sens figuré : quelqu’un qui a beaucoup d’argent.

[2Loi des préférences douanières andines.

[3Loi des préférences douanières andines et de l’éradication des drogues, loi qui prolonge et développe la précédente.

[4Commission nationale pour le développement et pour la vie sans drogues.

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