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DIAL 3604

BRÉSIL - Lettre aux amies et amis

Xavier Plassat

jeudi 27 janvier 2022, mis en ligne par Dial

Nous publions ci-dessous, comme chaque mois de janvier, la lettre annuelle que nous a fait parvenir le dominicain Xavier Plassat, membre de la Commission pastorale de la terre (CPT) au Brésil.


Aragominas, le 17 décembre 2021

Chères amies, chers amis,

Je peux bien commencer cette brève missive come j’avais terminé celle de l’an passé : par cette image à la fois déroutante et envoûtante qui résume le drame de pans entiers de la population de notre planète. L’urgence de fuir la mort et de préserver la vie continue à être la marque de ce nouveau Noël.

Je ne veux pas m’étendre à nouveau sur la description d’une situation qui, par bien des aspects, répète ce que j’évoquais avec vous l’an passé dans cette même lettre.

Envers et contre toute l’insistante nécropolitique affichée par un président négationniste – qu’on espère en dernière année de son mandat (la 3e) – la vie ici continue à s’étioler dans une précarité sans limite connue. Prenons-en la dimension : sur 213 millions de Brésiliens recensés, 40 sont considérés comme étant en situation d’extrême pauvreté (i.e. 15 millions de familles avec un revenu mensuel au-dessous de 15 euros par personne) et 8 en situation de pauvreté (15 à 30 euros). Parmi eux on compte 6 millions de « désenchantés » (ceux qui ne tentent même plus de chercher un boulot) et 7 millions de « sous-occupés ».

C’est à ces gens-là que le gouvernement n’a cessé de prêcher la chloroquine et le retour à la vie « normale », et a réduit puis coupé la bouée de survie représentée par la fameuse « Bolsa Família », un programme – honni parce que lancé par Lula - qui, depuis 17 ans, avait pu réduire quelque peu la grande pauvreté.

Des 100 à 200 euros par famille et par mois (600 à 1200 réaux) payés jusqu’en août 2020, on était passé à la moitié de ces montants en septembre 2021 et au quart au cours des mois suivants, avec un passage à zéro durant 3 mois. En novembre 2021, un nouveau système d’aide d’urgence a été mis en place qui prévoit une aide-plancher de 400 réaux, valable pour la durée… de la période électorale qui vient de commencer et s’étendra tout au long de 2022.

Inutile de dire que, renforcées par un discours officiel anti-confinement, ces aberrations ont eu un effet d’emballement de la tragédie sanitaire. Le 29 avril 2020 le Brésil avait atteint le cap journalier des 400 décès-Covid, puis ce fut mille en mai 2020 et, un an plus tard 4 000, avec un total accumulé de 400 000 décès (avril 2021) et bientôt 500 000 (mai 2021). Ce n’est qu’à partir de juillet 2021 qu’une relative accalmie nous conduit au triste record actuel de 617 000 décès, juste après les États-Unis. C’est en effet à partir de cette période que le taux de vaccination complète a franchi les 40% de la population pour atteindre aujourd’hui plus des deux-tiers.

Parmi les plus touchés, on dénombre bien-sûr – comme pour toutes les autres violations du droit à la vie et à la dignité – les afro-descendants (52% de la population du Brésil mais plutôt 75% quand il s’agit de la population incarcérée, des victimes de la violence policière, des balles perdues, ou de la mortalité précoce) et les peuples autochtones. Ces derniers sont particulièrement atteints par la mise à mal des politiques publiques de protection de l’environnement et des territoires traditionnels, en particulier par l’exploitation minière et forestière, avec l’invasion brutale de leurs terres ancestrales.

Une des répercussions choquantes de cette situation est la remontée des chiffres du travail esclave, une question qu’à la CPT je suis tout spécialement : nous terminons 2021 avec plus de 2 000 personnes retirées de situations assimilées à de l’esclavage « moderne », deux fois plus que la moyenne des six années antérieures. Ce résultat est en même temps un vrai pied de nez, de la part des équipes de l’inspection du travail, face à l’asphyxie rampante des budgets et du recrutement que le gouvernement actuel s’est employé à porter à l’extrême.

Nos équipes de la CPT aussi continuent à se porter vaillantes au service de communautés paysannes soumises à l’abandon des politiques publiques et aux impacts sévères de l’accaparement de terre, de la déforestation, des incendies criminels, de la pollution des sols et des eaux par l’usage inconsidéré de produits toxiques dans les cultures de l’agrobusiness.

Vous en avez probablement quelques échos à partir de l’action lancée par une coalition d’ONG organisée depuis la France, avec le concours de diverses organisations de Colombie et du Brésil – dont la CPT – et dirigées contre le Groupe Casino (détenteur de la grande chaîne de distribution brésilienne Pão de Açucar), pour violation de la Loi sur le devoir de vigilance, du fait de ses approvisionnements en viande à la provenance suspecte en Amazonie.

Ou encore à partir de cette information parue cette semaine :

« […] Plusieurs grands groupes de grande distribution dont Auchan, Lidl et Carrefour viennent de s’engager à retirer de leurs rayons des produits à base de bœuf soupçonnés d’être liés à la déforestation endémique au Brésil.

Ces décisions interviennent après la publication d’une enquête menée par l’ONG brésilienne Repórter Brasil, fondée notamment par des journalistes, en partenariat avec Mighty Earth. Repórter Brasil [1] accuse trois industriels brésiliens spécialisés dans la viande, JBS – le plus grand préparateur de viandes du monde –, Marfrig et Minerva, de participer à la déforestation dans certaines régions du pays en pratiquant du « blanchiment de bétail », une pratique qui consiste à acheter via des fermes légitimes des vaches et bovins élevés sur des terres illégalement déboisées. Et l’ONG soutient que certains produits liés à la déforestation se retrouvent dans les supermarchés européens, sous la forme de bœuf séché, de corned-beef ou de viande fraîche [2]. »

Voilà quelques informations qui rapprochent bien nos divers mondes et suggèrent combien la vigilance et la mobilisation de tous sont indispensables : tout est connecté.

Cette année a été lancée la version française de l’ouvrage écrit par Leneide Duarte-Plon et Clarisse Meirelles intitulé Tito de Alencar. Un dominicain brésilien martyr de la dictature [3].

Vous savez l’importance qu’a signifié pour mon histoire personnelle ma rencontre avec Tito au début des années 1970 et l’impulsion qu’elle continue de me donner dans cette mission que, depuis 33 ans, j’ai choisi d’assumer ici au Brésil. Avant de conclure, je partage avec vous dans le document ci-joint [4] quelques passages de la postface que j’ai écrite pour le rapport 2021 de l’ACAT-France, cette organisation qui lutte pour l’abolition de la torture et dont l’acte de naissance est pratiquement contemporain du suicide de Tito, à l’été 1974.

À tous et à toutes, un Noël feliz e esperançoso, nourri de ce rêve justement fait pour des temps si troublés ! Plus que jamais restons solidaires ! Un grand merci à toutes et à tous au nom de notre équipe de la CPT [5] !

Je vous embrasse,

Xavier Plassat


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3604.

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[1Proche partenaire de la CPT – note de l’auteur.

[3Leneide Duarte-Plon et Clarisse Meireles, Tito de Alencar. Un dominicain brésilien martyr de la dictature, Paris, Karthala, coll. « Signes des temps », 240 p.

[4Voir le texte suivant – note DIAL.

[5Pour apporter une aide financière à la CPT, vous pouvez envoyer vos contributions par chèque à l’ordre de « Association CEFAL » avec mention au dos « pour Xavier Plassat, CPT Tocantins » à : CEFAL-SNMM, Service national mission et migrations, 58 avenue de Breteuil, 75007 Paris. Vous recevrez l’attestation pour déduction fiscale dans les délais pour la déclaration IRPP 2021. Pour rappel, les dons libellés au nom du CEFAL sont déductibles de l’impôt sur le revenu pour 66 % de leur montant, dans la limite de 20% du revenu imposable.

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