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DIAL 2916

AMÉRIQUE LATINE - « Ce n’est pas la gauche, mais ça lui ressemble », lecture centriste d’un virage à gauche

Ramiro Escobar

jeudi 1er mars 2007, mis en ligne par Dial

L’année 2006 a été riche en échéances électorales. Cet article de Ramiro Escobar, publié dans le numéro de Noticias Aliadas du 24 janvier 2007, en présente une brève synthèse. Son analyse se veut prudente et s’appuie sur des chiffres – ceux du Latinobarometro et de la CEPAL. Mais une question vient à l’esprit : si, selon l’enquête du Latinobarometro, citée par l’auteur, 39% de la population latino-américaine se situe au centre-gauche, où se situent les 61% restants ? À défaut d’une telle précision, il est difficile de se faire une idée exacte de la portée de l’analyse : arguer que la population se situe en majorité au centre de l’échiquier politique, et ce aujourd’hui comme hier, est un truisme [1].


Sur la nouvelle carte politique régionale cohabitent des tendances « progressistes » diverses.

L’arrivée au pouvoir de Rafael Correa en Équateur, le 15 janvier dernier, a marqué la fin d’un cycle d’élections successives en Amérique latine, mais aussi d’un processus qui a changé la géographie politique de la région. Le supposé « virage à gauche » s’accentue.

Sur les neuf élections organisées dans la région en 2006, seules deux ont été remportées par des partis ou des alliances situés à droite de l’échiquier politique. La première s’est soldée par la réélection d’Alvaro Uribe à la tête de Primero Columbia le 28 mai [2], et la seconde a abouti à l’étroite victoire de Felipe Calderón, du Parti d’action nationale (PAN), au Mexique [3]

Au Chili, la socialiste Michelle Bachelet l’a emporté avec 53,49% des voix au second tour [4] ; au Brésil, le syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva a été réélu avec une majorité confortable de 60,54% [5]. De son côté, ce 10 janvier, le sandiniste Daniel Ortega est revenu au pouvoir au Nicaragua après 16 années d’absence [6] et, cinq jours plus tard, en Équateur, Correa a été investi, après avoir été élu avec 57,20% des voix à la tête d’Alianza País, mouvement regroupant socialistes, chrétiens et indigènes [7].

Déjà, un peu plus tôt, le 3 décembre dernier, le président vénézuélien Hugo Chávez avait assis son pouvoir en battant son adversaire Manuel Rosales [8]. On pourrait y ajouter les triomphes des ex-présidents Oscar Arias au Costa Rica, et Alan García au Pérou [9], à l’origine de sensibilité social-démocrate. Toutefois, dans les deux cas, leur comportement actuel à la tête du pouvoir les situerait dans une autre partie de l’échiquier.

La vague de changement en cours dans la région est incontestable, et d’autant plus si l’on tient compte des victoires d’Evo Morales, du Mouvement vers le socialisme (MAS), fin 2005 en Bolivie [10], et, en février 2006, de René Préval, représentant du parti de gauche, l’Espoir, en Haïti [11]. Cependant, si ses éléments se ressemblent, ce magma politique n’en est pas pour autant uniforme.

On peut même distinguer deux courants, comme le signale l’internationaliste Farid Kahhat. Le premier, lié à la social-démocratie, accepte la propriété privée, la démocratie représentative et le marché en tant que mécanisme de distribution des ressources, même s’il « essaie d’accroître la pression fiscale pour lancer des programmes sociaux de grande envergure ».

Cette gauche, ajoute-t-il, propose parfois des solutions comme les budgets participatifs mis en pratique par le Parti des travailleurs (PT) au pouvoir au Brésil. On pourrait aussi ranger dans cette mouvance, avec quelques nuances, les gouvernements du Chili et de l’Argentine, même si, dans ce dernier pays, Néstor Kirchner est revenu sur quelques privatisations, notamment celle de la compagnie des eaux et a instauré un contrôle des prix.

Le second courant n’est présent, pour l’instant, qu’au Venezuela et en Bolivie, pays qui se soutiennent mutuellement en ce qui concerne le prix des hydrocarbures. « C’est cela, explique Kahhat, qui leur donne une marge de manœuvre » et leur permet, entre autres choses, d’avoir un État plus interventionniste et jouant même le rôle d’une entreprise.

Il reste à voir si l’Équateur et le Nicaragua, enhardis par les prix préférentiels que leur consent Chávez pour le pétrole, se rallieront à ce courant. L’un comme l’autre, Correa et Ortega ont donné l’impression de s’orienter vers une autonomie accrue et vers des gouvernements plus hétérodoxes.

Pour Santiago Pedraglio, analyste politique péruvien, on se trouve, en résumé, devant une « gauche non marxiste, encore moins léniniste, qui de surcroît, se situe à l’intérieur du système ». Une « gauche » qui veut un État plus incitatif mais qui accepte en même temps dans la majorité des cas – le Venezuela pourrait constituer l’exception [12]– toutes les règles démocratiques.

Il convient cependant de considérer avec prudence cet élan progressiste. Dans l’édition de septembre-octobre 2006 de la revue Nueva Sociedad, Marta Lagos, directrice générale du Latinobarómetro, organisme de sondage, soutient, chiffres à l’appui, que « les citoyens ne demandent pas plus de gauche, mais plus de démocratie, de pluralisme, de liberté d’expression et de mobilité sociale ».

Selon une étude récente de son organisme, le bloc principal de la population latino-américaine (39%) se situe au centre-gauche, tendance qui n’a pas fondamentalement évolué au cours des dernières années. Les votes exprimés, par conséquent, présenteraient un caractère plus social que politique et exprimeraient, comme le prétend Kahhat, « un mécontentement face à la situation présente ».

Les chiffres publiés dans le Panorama social de l’Amérique latine 2006 de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) abondent dans le même sens. Il ressort de ce document, qui présente des statistiques de l’année 2005, que 39,8% des Latino-Américains (209 millions d’individus) sont pauvres et 15,4% (81 millions) vivent dans l’indigence.

Cela expliquerait, selon Petraglio, le paradoxe de la situation actuelle : malgré la croissance généralisée du produit intérieur brut dans la région, les revendications sociales réclamant de meilleures conditions de vie n’ont pas diminué. « La question qui revient toujours, c’est celle des inégalités », ajoute-t-il, et le corollaire en est la résurrection des mouvements de « gauche » ou de « centre gauche ».

Le président Chávez a, avec fougue, essayé de chevaucher cette vague de changement, mais même cet élan a ses limites. Les gouvernements d’Argentine, du Brésil, d’Uruguay et, surtout, du Chili jouent chacun leur partie. Ils ne dépendent en rien de Chávez, mais ils maintiennent de bonnes relations avec lui par intérêt pour la question énergétique.

Si ces deux courants « progressistes » s’accordent sur un point, c’est bien sur la recherche d’une plus grande autonomie face aux États-Unis. Le Brésil et l’Argentine, par exemple, agissent en ce sens en menant la résistance contre la Zone de libre-échange des Amériques [13] et en consolidant simultanément le Marché commun du Sud (MERCOSUR), le projet d’intégration le plus avancé de la région.

Les mois qui viennent diront si, en effet, la carte politique de l’Amérique latine s’est transformée, ou si ce mouvement relève seulement d’un mirage du XXIe siècle, d’une vague qui laissera quelques remous mais guère plus. Parce que, comme le dit Lagos, « la gauche a revêtu les habits de la démocratie, mais il n’est pas évident que la démocratie souhaite revêtir les habits de la gauche ».


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2916.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, volume 24, n° 1, 24 janvier 2007.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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[1En statistique, ce truisme s’appelle d’ailleurs Loi normale ou de Gauss, dont la représentation est une courbe en cloche (le nombre d’individus situés aux alentours du centre est fortement supérieur à celui de ceux situés en périphérie, d’où la forme en cloche de la courbe).

[12Voilà une autre formulation qui, même au conditionnel, demanderait une explicitation. On ne peut pas utiliser des énoncés de ce type sans apporter quelque argument explicitant le pourquoi d’une telle déclaration, pas dans un article d’analyse au moins. Cela nous ramène au titre que nous avons donné à l’article : les analyses présentées ici semblent fortement influencées par un positionnement politique. Note de l’éditeur.

[13ALCA en anglais, ZLÉA en français.

Messages

  • Cela fait un certain temps que je n’avais pas consulté DIAL
    J’espère que cet article n’est pas représentatif. Il y en a des dizaines d’autres bien plus intéressants et francs. Cet homme de droite avance masqué mais sa prose transpire le passé : compter Alan Garcia et Arias pour la gauche, dire que Calderon l’a emporté d’une courte tête au Mexique quand on estime la fraude à plus d’un million de voix, douter de la légitimité de Chavez ou de la démocratie au Vénézuela...
    Merci de nous avoir fait connaitre cet individu, nous pourrons nous épargner sa lecture à l’avenir.

    Alfare

    • Cher Monsieur,

      nous pensons aussi que ce texte comporte un certain nombre de lacunes et pose par moment problème. Vous semblez avoir une assez haute idée de la gauche, et cela vous honore. Vous avez tout à fait le droit de restreindre l’appellation de gauche à une certaine partie de l’échiquier politique et d’en exclure les sociaux-démocrates par exemple. Faire une autre utilisation du mot de gauche, plus englobante, ne nous semble pas en soi choquante, on pourrait qualifier cet usage de descriptif. Cela dit, il reste des éléments problématiques dans ce texte, le principal étant nous semble-t-il qu’un bon nombre d’affirmations ne sont pas fondées et semblent être plus la conséquence d’une position idéologique que d’une analyse argumentée. C’est sur ce problème que le titre et l’introduction de Dial cherchaient à attirer l’attention.

      Nous avons retenu ce texte car il a l’avantage de présenter un rapide bilan de l’année électorale 2006 ainsi que quelques éléments intéressants d’analyse (notamment la distinction entre deux types de "gauches"), et ce malgré ses défauts, qu’un lecteur ou une lectrice critique pourra, nous l’espérons, percevoir comme tels. Peut-être existe-t-il, comme vous le suggérez, de meilleurs textes. Nous n’en avons pas trouvé au moment où nous en cherchions un. Peut-être n’avons-nous pas assez cherché, d’autres choses ont sans doute été publiées depuis lors. Nous comptons donc sur vous, lecteurs et lectrices, pour nous envoyer les références de ces textes "plus intéressants et francs" (à redaction(AT)dial-infos.org). L’interactivité ne devrait pas se limiter à la seule critique du travail réalisé, nous croyons fermement que vous pouvez nous aider à améliorer notre effort de diffusion d’information sur l’Amérique latine.

      Merci d’avance,

      bien cordialement,

      l’équipe de Dial.

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