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DIAL 3230

BRÉSIL - Une communauté quilombo donne l’exemple

José Pedro Martins

lundi 11 mars 2013, mis en ligne par Dial

Dans ce numéro de DIAL, nous publions deux textes consacrés aux quilombos et palenques, ces communautés formées par des esclaves noirs en fuite. Quilombo fait référence à la réalité brésilienne et palenque à celle des colonies espagnoles [1]. Le premier texte, qui sera publié en deux parties, retrace l’histoire mouvementée de ces communautés noires dans le Panama du seizième siècle. Le second, publié ci-dessous, évoque la situation et les luttes actuelles d’une communauté quilombo du Nord-Est du Brésil, à Alto Alegre, dans l’État de Ceará. Article de José Pedro Martins publié sur le site de Noticias Aliadas le 28 août 2012.


Tous les matins, à 5h30, la communauté quilombo d’Alto Alegre, commune de Horizonte, dans l’État de Ceará [2], est réveillée par la voix de Nego do Neco. C’est l’animateur de la radio communautaire Racines du Quilombo, qui informe les quelque 800 habitants sur des sujets généraux comme les droits individuels ou sur les évènements culturels organisés par l’Association des descendants quilombos d’Alto Alegre et de ses environs (ARQUA en portugais). La radio communautaire est un des outils qui contribuent au sauvetage de la culture des descendants africains dans cette communauté et elle est devenue une référence dans le Ceará.

Le combat des habitants d’Alto Alegre pour reconquérir leurs droits historiques est un exemple du parcours des communautés quilombos dans tout le pays. Les quilombos étaient les communautés formées par les noirs qui fuyaient l’esclavage pendant la période coloniale (1500-1822) et pendant la monarchie (1822-1889), jusqu’à la fin du XIXe siècle.

La Constitution de 1988, baptisée Constitution citoyenne, a reconnu le droit à la terre des communautés quilombos. La consécration officielle de ces droits commence avec la reconnaissance octroyée par la Fondation culturelle Palmares : cet organisme d’État a recensé 3 524 quilombos dans le pays, bien que certaines sources indiquent qu’il en existerait plus de 5 000 au Brésil.

La communauté d’Alto Alegre a été définitivement reconnue comme territoire quilombo le 15 février 2012 par l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA), sept ans après la reconnaissance par la Fondation culturelle Palmares. La reconnaissance par l’INCRA a initié le processus de régularisation des terres.

« Après cette reconnaissance, nous sommes devenus plus forts. Nous sommes tous fiers de nos origines » affirme Francisco Haroldo da Silva, président de l’ARQUA. De fait, la communauté d’Alto Alegre vit une période de grande effervescence, avec le soutien de plusieurs organismes. Le nouveau siège de l’association a été inauguré en 2011 grâce au financement de la Banque nationale de développement économique et social (BNDES). Dès lors, les actions sociales, éducatives et culturelles se sont développées dans la communauté et contribuent à faire progresser la récupération et l’affirmation de son identité.

Amélioration de l’estime de soi

La communauté d’Alto Alegre récolte les fruits du combat historique mené par ses habitants pour leurs droits, à l’instar de la mobilisation des afro-descendants dans le pays. L’intérêt pour tout ce qui touche à l’éducation, à l’avenir des filles, des garçons et des adolescent-e-s est un des axes de cette mobilisation à Alto Alegre.

L’un des projets en cours dans la communauté en matière d’éducation est ce qu’ils appellent l’Heure du jeu. Ce projet est parrainé par la Fondation ensemble pour l’éducation, composée par l’Institut Arcor Brésil et l’Institut C&A. Coordonnée par l’Institut de l’enfance, une ONG, l’Heure du jeu utilise différents jeux comme outils d’apprentissage : l’activité ludique a pour but la structuration des connaissances. L’ARQUA elle-même et le Secrétariat municipal de l’éducation de Horizonte, par l’intermédiaire de l’École municipale « Olimpio Nogueira Lopes », sont également partenaires de l’opération.

« Après leur participation au projet, les garçons et les filles de la communauté d’Alto Alegre ont vu leur estime de soi renforcée. Ils sont moins inhibés, ils s’expriment avec plus de calme » relate la professeure d’Histoire Cícera Erlandia da Silva, coordinatrice des Programmes et projets éducatifs du secrétariat municipal. Pour illustrer cette affirmation, la professeure da Silva souligne que les enfants et adolescents d’Alto Alegre ont réalisé des émissions à la radio communautaire Racines du Quilombo et à la radio FM Horizonte. « Lors du diagnostic initial réalisé sur la communauté, nous avons observé la difficulté de nombreux jeunes à assumer leur identité. Maintenant, grâce à la reconnaissance du quilombo et aux projets de la communauté comme l’Heure du jeu, nous percevons un changement très positif » ajoute madame da Silva.

Un des emblèmes de l’affirmation de l’identité culturelle locale de cette communauté est la production artisanale, et particulièrement celle des femmes. Les poupées noires, confectionnées par les habitantes sont une des principales productions. Fin août, à Fortaleza, les poupées ont été exposées et mises en valeur dans le Centre d’artisanat du Ceará (CEART) qui est le principal lieu d’exposition et de commercialisation des productions artisanales dans cet État.

« Aujourd’hui, je me sens très fière de notre communauté parce que j’ai conscience de notre valeur » dit Maria de Fátima da Silva, une des participantes à l’atelier de confection de poupées de l’ARQUA.

Les obstacles à l’obtention de titres

Malgré tout l’appui qu’elles reçoivent du secteur gouvernemental, des entreprises et de la société civile, les communautés quilombos brésiliennes rencontrent encore des obstacles. Par exemple, en 2004, le Parti du front libéral (qui porte actuellement le nom de Démocrates) a adressé à la justice une Action directe d’inconstitutionnalité (ADI) contre le décret 4887/2003, qui règlemente l’octroi de titres pour les terres quilombos. L’examen de l’ADI par le Tribunal suprême fédéral (STF) a débuté en avril dernier mais le jugement a été suspendu dans le courant du mois, à la demande de la juge suprême Rosa Weber afin que l’ADI soit réexaminée par les magistrats avant toute décision du STF.

La Coordination nationale d’articulation des communautés rurales noires quilombos a lancé une campagne nationale pour défendre les droits des quilombos, prévus dans la Constitution et réglementés par le décret 4887/2003. Entre autres organisations, La Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) et l’Association brésilienne d’anthropologie (ABA) ont réalisé des déclarations publiques pour défendre ce décret.

« Les articles 215 et 216 de la Constitution fédérale garantissent aux communautés quilombos le droit de préserver leur propre culture et leur patrimoine immatériel. La garantie constitutionnelle de la reconnaissance de leur territoire est, par conséquent, fondamentale pour assurer la continuité de la résistance. À ceci s’ajoute que les dispositions énoncées dans l’article 68 de l’Acte des dispositions constitutionnelles transitoires déclarent qu’il revient à l’État de garantir la propriété aux occupants des terres héritées des quilombos », relève le document de la CNBB.

De son côté, l’ABA souligne que « la décision que doit rendre l’Assemblée plénière du STF aura de fortes implications pour rendre effectif le précepte constitutionnel de valorisation et de respect des droits culturels au Brésil et, en tant que telle, devrait faire l’objet d’un débat plus large sur le sujet, de préférence en réalisant des audiences publiques qui, lors de cas récents examinés par le Tribunal suprême, se sont révélés un outil fondamental pour la maturation des décisions adoptées par l’organe suprême de notre système judiciaire ».


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3230.
 Traduction de Michelle Savarieau pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 28 août 2012.

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[1Les esclaves noirs fugitifs qui étaient appelés cimarrons dans les colonies espagnoles, étaient nommés marrons, ou nègres marrons, dans les colonies françaises.

[2Au Nord-Est du Brésil – note DIAL.

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