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DIAL 2290 - Un homme régulièrement en conflit avec les organisations de défense des droits de l’homme

PÉROU - Juan Luis Cipriani, nouvel archevêque « Opus Dei » de Lima

IDL

vendredi 16 avril 1999, mis en ligne par Dial

Le Vatican a récemment nommé archevêque de Lima au Pérou Mgr Juan Luis Cipriani, jusqu’alors archevêque de Ayacucho. L’archevêque était devenu « mondialement » célèbre à la suite du rôle, souvent contesté, qu’il a joué lorsque le mouvement Tupac Amaru s’était emparé de l’ambassade du Japon à Lima. Ami du président Fujimori, il est connu au Pérou pour les attaques qu’il mène régulièrement contre les organismes de défense des droits de l’homme. Il est membre de l’Opus Dei. Cette prélature pontificale voit ainsi sa place renforcée au Pérou, pays où elle comprend déjà le plus grand nombre d’évêques membres ou apparentés. En effet, selon le bureau d’information de l’Opus Dei, il y a au Pérou trois évêques appartenant à la Prélature (noms fournis également par l’Annuaire pontifical 1999) mais aussi « quelques autres » évêques appartenant à la Société sacerdotale de la Sainte Croix, « association de clercs intrinsèquement unie à l’Opus Dei ».

Nous publions ci-dessous une réaction à la nomination de Juan Luis Cipriani, émanant de l’Institut de défense légale (IDL), organisme domicilié à Lima, qui travaille en faveur des droits de l’homme dans les domaines de l’éducation, la recherche, l’assistance juridique et la communication. Cet article est paru dans Ideele (février 1999), revue de l’IDL. Nous profitons également de cette occasion pour faire le point sur la présence des cardinaux latino-américains au Vatican.


Juan Luis Cipriani vient d’être proclamé archevêque de Lima après sa nomination par Jean-Paul II à partir du Vatican. L’Institut de défense légale, institution engagée depuis 15 ans dans la défense et la promotion des droits humains, salue cette nomination, félicite le brillant archevêque de Lima et lui souhaite de réussir dans sa mission.

À propos des différends que nous avons pu avoir avec lui, nous préférons les abandonner au passé, confiants que cette haute investiture fasse adopter à l’archevêque des positions plus consensuelles.

De fait, c’était là une des positions possibles à adopter face à cette nomination surprenante et inattendue de Cipriani. Position avec laquelle nous ne courrions pas le risque de réveiller de dangereuses colères, y compris celle du loquace archevêque. Prenant un profil bas, nous aurions pu nous contenter de croiser les doigts sous la table, en attendant qu’un Cipriani illuminé nous surprenne par des comportements complètement différents de ceux auxquels il nous a habitué pendant une décennie, et peut-être jusqu’à se révéler bienveillant envers ceux qui n’ont pas le même point de vue que lui. Et si la stratégie échouait, il nous faudrait à nouveau croiser les doigts pour qu’une fois élu premier cardinal de l’Opus Dei, sa vertigineuse ascension le conduise à Rome le plus vite possible.

Oui, c’était une possibilité. Mais, honnêtement et pour la sauvegarde de notre crédibilité, nous pensons qu’il nous faut prendre une autre position à partir du domaine qui est le nôtre, celui des droits humains, une des cibles préférées de Cipriani. Pour le dire en toutes lettres : nous regrettons profondément la nomination de Cipriani comme archevêque de Lima, et nous la ressentons comme un coup très dur porté à nos convictions.

Comment pourrions-nous célébrer la nomination à une charge si importante de quelqu’un qui a promu l’idée - de façon infructueuse, il est vrai - qu’au Pérou bêtise et droits de l’homme vont ensemble ? Ou comment pourrions-nous simplement rester neutres ?

Comment allons-nous fêter l’ascension de quelqu’un qui croit que critiquer la violation des droits de l’homme c’est « faire le jeu de la subversion » ?

Comment pourrions-nous nous réjouir du triomphe de quelqu’un qui se permet de dire tout ce qui lui passe par la tête, aussi offensant que cela puisse être, mais que la moindre opinion discordante fait sortir de ses gonds et parler à tort et à travers contre la liberté d’expression ?

Comment pourrions-nous être satisfaits d’avoir pour archevêque quelqu’un qui croit que la préoccupation de la communauté internationale dans la vigilance sur les droits de l’homme est un péché impardonnable, et qui, chaque fois que vient une mission, est celui qui officiellement se présente comme le champion anti-droits de l’homme ?

Comment pourrions-nous être au côté de quelqu’un qui, dans le cadre des célébrations du 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme non seulement considérait qu’il n’y avait rien à célébrer mais a disqualifié tous et chacun des défenseurs des droits de l’homme, en les accusant d’être motivés par l’argent ?

Nous pourrions ainsi continuer la liste. Mais ce qui nous préoccupe le plus, jusqu’à nous faire peur, c’est que toutes les opinions de ce genre, Cipriani les exprime sur le ton inquisitorial d’une croisade contre le mal, et nous savons fort bien ce que peut entraîner ce genre d’attitude. Notre malaise par rapport à Cipriani n’est donc pas fait d’intolérance de notre part face à des idées différentes mais il est dû au fait qu’il a déjà démontré qu’il n’est pas disposé à tolérer des idées et des conceptions différentes des siennes.

Intolérance qu’il n’a pas seulement manifestée en matière de droits de l’homme, mais aussi dans d’autres domaines comme celui de l’éducation. Quel est le bruit qui circule depuis quelque temps au sujet de l’Université catholique pontificale ? Que Cipriani essaie d’obtenir du Vatican qu’il exige, en raison même du qualificatif de « pontifical », que le recteur soit choisi par le pape. De cette façon son camp pourrait avoir une plus grande influence dans l’université. N’y a-t-il pas de l’obscurantisme dans tout cela, c’est le moins que l’on puisse dire ? La preuve en est que l’université catholique se prépare à une bataille pour défendre son indépendance académique, préparatifs qui se sont intensifiés dernièrement pour des raisons évidentes.

Par ailleurs, pourquoi devrions-nous célébrer que la charge d’archevêque de Lima soit échue à l’évêque qui fait le moins l’unanimité ? On sait que Cipriani non seulement n’était pas le candidat de la Conférence épiscopale, mais que la majorité des évêques ne voulait pas qu’il soit choisi, et certains firent des démarches pour l’empêcher. La dernière fois qu’il y eut des élections pour élire les présidents des différentes commissions, Cipriani obtint une seule voix. Il est évident que les évêques ne vont pas raconter cela, mais ce n’est un secret pour personne et même certaines fuites ont eu lieu. Il est fort révélateur par exemple que celui qui a été récemment élu comme président de la Conférence épiscopale est l’évêque de Chimbote, Luis Bambarén, et non pas Cipriani, alors que la coutume veut que le président de la Conférence soit l’archevêque de Lima.

C’est la raison pour laquelle tout un secteur de l’Église doit se sentir atteint par la nomination de Cipriani car beaucoup sont profondément et quotidiennement engagés sur les questions qu’il attaque. Mais ici encore, c’est plus qu’une affaire de divergence parce que, en ce domaine aussi, Cipriani a déjà donné des signes très concrets d’une activité intolérante. Nous nous rappelons, par exemple, que comme archevêque de Ayacucho il a interdit que la Commission épiscopale d’action sociale (CEAS) travaille à Ayacucho. La crainte qu’il mette désormais des interdits concernant Lima n’est pas sans fondement. Cipriani étant à l’opposé d’une figure consensuelle à l’intérieur de l’Église, sa nomination de fait a été imposée à partir de Rome, sans aucune espèce de prise en considération des circonstances et des nécessités nationales. Et si l’on veut savoir pourquoi il en a été ainsi, les explications renvoient fondamentalement au poids que l’Opus Dei a acquis au Vatican pour des raisons très diverses (le paiement des dettes du Vatican avec la Banque Ambrosiano, son travail important sur les vocations sacerdotales, la garantie d’une orthodoxie absolue, etc.), point que nous laissons aux experts.

Finalement, nous ne célébrons pas la nomination de Cipriani parce que nous croyons que, conformément à la situation du pays et du rôle qu’il revient à l’Église d’y jouer, il était celui qui convenait le moins. Tout d’abord, parce qu’il est visiblement proche de l’actuel gouvernement ; et nous ne disons pas cela à cause du principe selon lequel « le cordonnier doit s’occuper de ses chaussures » parce que nous faisons au contraire partie de ceux qui croient que l’Église doit prendre position face à certaines questions précises qui sont importantes pour la société, mais nous croyons qu’elle doit le faire à partir des valeurs et des principes et non en fonction d’intérêts qui vont bien au-delà. Cette proximité [avec le pouvoir] est d’autant plus mal venue que l’accaparement des institutions par le régime a fait que l’Église est une des rares institutions indépendantes qui peut encore s’exprimer.

D’autre part, alors que le pays est sorti récemment d’un très grave conflit armé intérieur, il y a tout un programme en cours pour cet après-guerre, consistant à faire le procès de cette guerre et à intérioriser ce qui est arrivé jusqu’à traiter des aspects très concrets comme celui de la vérité-impunité, tout un champ de réflexion et de travail pour lequel l’archevêque Cipriani n’a montré aucun intérêt, bien qu’il ait été pendant plusieurs années évêque de Ayacucho, une des zones les plus frappées par la violence politique.

Les positions de Cipriani constituent donc une longue et bruyante trajectoire qui rend très difficile la possibilité d’adopter une attitude d’espérance ou au bénéfice du doute. Maintenant, s’il se produit un miracle en cette veille de millénaire, bienvenue au miracle et à l’émerveillement de tout le monde.


Les cardinaux latino-américains au Vatican

À propos de l’intervention inadmissible du Vatican en faveur du retour du général Pinochet au Chili pour « raisons humanitaires », Héctor A. Torres Rojas, directeur de la revue Utopias (Colombie), énumère les cardinaux latino-américains de la Curie romaine. On observera le conservatisme qui a présidé à ces nominations, tout à fait en harmonie avec celui qui est à l’origine de la désignation du nouvel archevêque de Lima.

Ces cardinaux sont :

Angelo Sodano, aujourd’hui second personnage du Vatican, nonce au Chili sous Pinochet, de 1980 à 1988, ami du dictateur et promoteur de la visite du pape au Chili en 1987. Il a fait silence sur les violations [des droits de l’homme] de la dictature.

Le cardinal Pío Laghi, nonce en Argentine sous différents dictateurs. Il n’a jamais reçu les Mères de la place de Mai. Il pourrait subir le même sort que Pinochet parce que les Mères de la place de Mai ont entamé un procès contre lui qui n’a pas été effectif parce que, à cause de l’investiture qu’il détient au Vatican, il jouit de l’impunité - il est préfet de la Congrégation pour l’éducation catholique. C’est cette impunité qu’on invoque pour Pinochet. Il court le même risque.

Alfonso López Trujillo. Cardinal de la curie romaine et grand persécuteur de la théologie de la libération et des chrétiens progressistes en Amérique latine, utilisant ses responsabilités de secrétaire général d’abord puis de président du CELAM (Conseil latino-américain des évêques), dans la décennie des années soixante-dix, la décennie des dictatures.

Le cardinal chilien Jorge Medina, préfet de la Congrégation pour le culte et les sacrements, ami de Pinochet, sans aucune sympathie pour le progressisme chrétien.

Le cardinal Javier Lozano, mexicain, ecclésiastique qui a joué un rôle prépondérant dans la persécution des secteurs catholiques engagés du Mexique, avant de vivre à Rome.

Pour la première fois dans l’histoire de l’Église catholique, il existe au Vatican une concentration de divers ecclésiastiques latino-américains. Il ne faut pas non plus oublier le cardinal colombien Dario Castrillón, préfet de la Congrégation du clergé1.

Tous ont été remarqués pour le rôle qu’ils ont joué contre le changement dans leurs Églises respectives.

Héctor A. Torres Rojas

Utopias, mars 1999

1. S’inscrivant dans la même ligne conservatrice, il faut ajouter à cette liste le cardinal Lucas Moreira Neves, ancien président de la Conférence nationale des évêques du Brésil, préfet de la Congrégation pour les évêques (NdT).


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2290.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Ideele, février 1999.
 
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