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DIAL 2406
BOLIVIE - Libres propos d’un jeune indigène
Juliette Grange
dimanche 1er octobre 2000, mis en ligne par
Comment mieux connaître la façon dont un jeune indigène perçoit la situation de son pays et le sort réservé à son peuple, sinon en se mettant à l’écoute directe de ses propres paroles ? Voici donc, laissés à eux-mêmes, les propos d’un Indien aymara, dénommé Teófilo, gardien de musée à La Paz, recueillis sur place en janvier 2000 par Juliette Grange, étudiante en sciences sociales.
Je suis Aymara, je suis venu à La Paz pour étudier ; il me reste encore deux ans. Après je vais retourner dans mon village pour transmettre ce que j’ai appris. On est tout un groupe d’étudiants aymaras comme moi et on a tous le même but de retourner dans notre village, faire profiter de nos connaissances. Notre but, c’est de donner du pouvoir au peuple aymara. Le problème de la Bolivie, c’est que c’est un pays multiethnique. La classe au pouvoir qui est issue des descendants espagnols est complètement corrompue. Il n’y a pas un seul indigène au pouvoir. Les dirigeants sont prêts à lécher les bottes des Américains pour obtenir des prêts mais quand ils les ont, ils ne les utilisent pas pour le peuple. Au peuple, ils lui donnent juste quelques sous pour le satisfaire, mais c’est de la poudre aux yeux. Les dirigeants, ils voudraient écraser les indigènes, les Aymaras, les Quechuas... S’ils pouvaient les éliminer, ils le feraient ! Ils sont en train de tout privatiser et ce sont des capitaux étrangers qui rachètent les entreprises. Le président actuel est de droite, il a été élu démocratiquement en 1997, avant c’était un dictateur mais il a promis d’offrir une retraite annuelle de 200 dollars aux plus de 50 ans, alors tout le monde a voté pour lui. Et puis il n’a pas tenu sa promesse, maintenant tout le monde le déteste !
Bon, nous les Aymaras et les autres ethnies, ce qu’on voudrait, c’est un état plurinational. On voudrait que chaque ethnie qui est bien localisée sur des territoires précis ait son propre gouvernement, ses lois, son éducation, son pouvoir... Comme un État fédéral. On revendique le droit à être une nation. Pour l’instant, on nous reconnaît juste comme une culture, mais nous, on veut être une nation. Nous avons notre langue, notre religion, notre propre organisation et nous voulons être reconnus pour ça et avoir le droit de nous gouverner nous-mêmes. On ne veut plus qu’on nous impose un fonctionnement occidental qui ne nous convient pas. Nous, tout ce qu’on demande, c’est le droit à nous autogouverner. On veut un état plurinational, pour chaque ethnie.
On ne demande pas d’argent, on peut vivre avec ce qu’on a, on a tout ce qu’il faut. On vivait bien avant et on veut juste le pouvoir pour le peuple aymara. On ne cherche pas à faire la révolution par les armes, il s’agit plus d’une révolution idéologique. On ne rejette pas non plus les métis qui vivent en Bolivie, on veut coexister avec eux, on veut juste être autonomes.
Pour l’éducation, c’est pareil. Le gouvernement actuel nous impose son système éducatif, mais il ne nous convient pas. Et puis même si les études sont gratuites, il y a beaucoup de racisme envers les indigènes et ce n’est pas facile d’y accéder. Mais ça commence à venir.
Moi, ma langue maternelle, c’est l’aymara et quand je suis allé à l’école, on m’a imposé l’espagnol. J’étais dépassé. Actuellement, l’aymara n’est plus une langue éducative et une langue pédagogique mais on travaille pour qu’elle le redevienne. On est organisé en mouvement sociopolitique. On a des projets et on lutte pour obtenir tout ça. Ce n’est pas facile, mais ça avance petit à petit.
Nous vénérons la Pachamama, la Mère-Terre, et aussi les montagnes qui nous protègent, elles sont très importantes. Il y a beaucoup de rituels et d’offrandes. Quand il y a de la sécheresse par exemple, on fait des offrandes. On prépare une table de douceurs parce que la Pachamama est gourmande, et on la lui offre. Et la pluie revient. Ça marche vraiment. Il y a aussi des cantiques spéciaux que connaissent certains anciens. Bien sûr le catholicisme est présent lui aussi, il nous a été imposé par les Espagnols depuis 500 ans, mais jamais nous n’avons abandonné notre religion première. Il y a un arrangement entre les deux, mais pas une confusion. Les gens font très bien la différence. Il y a aussi beaucoup de connaissances relatives à la nature, à tout ce que peut nous apporter la nature, les plantes... Ça, on ne veut pas le perdre et on voudrait le combiner avec des connaissances et des techniques modernes, pour améliorer la médecine. On ne rejette pas la technologie, au contraire, on voudrait tirer le meilleur du traditionnel et du moderne pour créer notre propre médecine et peut-être trouver des remèdes au cancer ou au sida, qui sait ?
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2271.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Dial, janvier 2000.
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