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DIAL 2423

BRÉSIL - Esclavage : jusqu’à quand ? La Commission pastorale de la terre dénonce les reculs du gouvernement fédéral dans la lutte contre le travail esclave

Commission pastorale de la terre

jeudi 16 novembre 2000, mis en ligne par Dial

Nous avons plusieurs fois informé nos lecteurs sur la situation du travail esclave au Brésil (cf. DIAL D 2264, 2306, 2355). Il s’agit de travailleurs qui sont contraints, sous l’effet des dettes qu’on leur a fait contracter et grâce à l’accès très difficile des fazendas où ils sont confinés, de rester travailler sans espoir de trouver une issue. Le gouvernement brésilien avait pris des mesures adaptées à la lutte contre ce phénomène, mais il fait à présent marche arrière, d’où le cri d’alarme qu’on lira ci-dessous, lancé par la Commission pastorale de la terre en date du 1er novembre 2000.


En tant que Commission pastorale de la terre (CPT), nous assumons depuis des années, avec constance et fermeté, le combat contre le travail esclave au Brésil. Nous voici de nouveau conduits à alerter tous ceux et toutes celles d’entre vous qui partagent ce combat, pour vous faire part de nos préoccupations face à la poursuite du recul du gouvernement en matière de répression du travail esclave [1].

Les dernières données annuelles disponibles, en particulier celles du ministère du travail lui-même, révèlent qu’au Brésil, spécialement dans le sud du Pará, dans le Maranhão et le Mato Grosso, la pratique du travail esclave continue ; la réalité est d’ailleurs, selon toute probabilité, bien supérieure au nombre de flagrants délits constatés.

En 1995, commençant son premier mandat, le président Fernando Henrique Cardoso avait créé un instrument efficace de combat contre le travail esclave : le Groupe mobile d’inspection, relié directement au secrétariat de l’inspection du travail (ministère du travail), à Brasília. Dans le but de garantir leur indépendance par rapport aux pressions des groupes économiques et des hommes politiques influents dans les États, la composition des équipes d’inspection est faite sur la base du volontariat, sélectionnant hors de l’État inspecté les professionnels nécessaires : inspecteurs du travail, médecins, ingénieurs. Ce sont en général des personnes compétentes et courageuses, spécialement entraînées pour ce type de service.

Le sérieux et l’efficacité des opérations menées par le « Groupe mobile » ont été reconnus publiquement par la CPT. Lors des dizaines d’inspections réalisées depuis 1995 dans de grandes fazendas, des centaines de travailleurs maintenus à l’état d’esclave ont pu être délivrés et recevoir leur dû [2]. Dans certains cas (sud du Pará principalement), les membres de l’équipe d’inspection eux-mêmes ont pu être appelés comme témoins devant le promoteur de justice, ce qui a accéléré grandement la mise en œuvre du procès pénal contre les contrevenants, fazendeiros, sous-traitants (gatos) et pistoleiros.

Toutefois, dès la fin 1999, la déjà sensible détérioration des caractéristiques de l’inspection mobile amena la Coordination de la Campagne de la CPT contre le travail esclave à prendre position publiquement pour faire part de ses inquiétudes devant les diverses entraves mises au bon et ferme travail du « Groupe mobile » : rupture du secret absolu des opérations d’inspection ; rupture de la rigoureuse centralisation du commandement ; lenteur dans la mise en place des opérations (à cause principalement du manque de ressources, spécialement de moyens de transport adéquats : véhicules, hélicoptères), allant jusqu’à rendre impossible la réalisation d’actions de sauvetage essentielles sollicitées pourtant de manière insistante, mettant ainsi en danger la situation des informateurs (fugitifs gardés durant des semaines sous la protection – précaire – de groupes de défense des droits de l’homme).

Nous mettions en même temps le doigt sur certains points faibles du dispositif de répression, tels que : caractère dérisoire des sanctions prises dans le cadre des très rares actions pénales et administratives menées à terme, stimulant ainsi la récidive ; simulacre de punition des auteurs au moyen de l’expropriation de la fazenda prise en flagrant délit, mais au prix d’indemnisations scandaleusement surfacturées (cas de la fazenda Flor da Mata, sud du Pará [3]).

À la suite de notre entrevue avec le ministre du travail (le 8/12/99), la secrétaire de l’inspection du travail, le Dr Vera Olímpia, prit publiquement l’engagement de mettre tout en œuvre pour surmonter les obstacles que nous avions mis en évidence, de sorte que le « Groupe mobile » puisse redevenir un instrument rapide et efficace dans le combat contre le travail esclave. Cet engagement fut pris au terme d’une réunion convoquée au siège du SIT à Brasília, en présence de tous les cadres du service d’inspection. Participèrent également à cette réunion les principaux partenaires du Groupe d’éradication du travail forcé – GERTRAF (Police fédérale, Procuradoría générale du travail, Procuradoría fédérale des droits humains), des représentants de la CPT, de la Commission des droits de l’homme de la Chambre fédérale des députés, ainsi que des conseillers parlementaires.

Il nous faut malheureusement constater que, jusqu’à ce jour, les mesures annoncées n’ont pas été mises en œuvre : les moyens logistiques mis à disposition n’ont pas connu d’amélioration ; l’exigence de secret absolu des opérations a continué à être ignorée ; l’intégration de la police fédérale au commandement ne s’est pas réalisée. Pire : à ces entraves est venue s’ajouter celle de la bureaucratisation de la direction du « Groupe mobile », ce qui entraîne hésitations et retards. Plusieurs opérations sollicitées sur la base d’accusations fondées, impliquant des centaines de travailleurs ruraux maintenus en situation d’esclavage, n’ont été réalisées qu’au terme d’une longue attente, au prix d’une intense pression, ou même n’ont simplement pas été mises en œuvre [4]. En conséquence, des informateurs ont dû rester cachés durant des semaines, dans l’attente d’une hypothétique opération, au péril tant de leur vie que de celle de ceux qui leur donnaient protection. [5]

L’inaction du SIT atteint un niveau insupportable. La démotivation augmente entre ses agents et, parmi les travailleurs victimes de cette indétermination, c’est la frustration. Les membres de la CPT engagés dans la Campagne de combat contre le travail esclave assument un travail méticuleux et périlleux : accueillir les victimes, identifier le lieu d’où elles ont fui, acheminer leurs dénonciations, vérifier la suite qui leur est donnée. Tout ce travail se perd aujourd’hui dans l’inertie d’un système dépouillé de ses principes fondamentaux.

C’est pour ces raisons que, une nouvelle fois, nous venons à vous, sollicitant appui et solidarité, afin que le Groupe mobile d’inspection recouvre les moyens de mettre en œuvre sa mission essentielle (‘éradiquer le travail esclave’). Votre action est extrêmement importante. Avec vous, avec tous ceux à qui ce cri d’alarme parviendra, grâce à vous nous surmonterons ce nouvel obstacle. Manifestez-vous par lettres ou cartes postales adressées au président de la République et au ministre du travail. [6]

Nous vous remercions de tout cœur pour votre collaboration.

Araguaína, le 1er novembre 2000

Coordination de la Campagne de la CPT contre le travail esclave au Brésil

CPT de Xinguara, Tucumã, Marabá, Altamira, Belém (Pará),

CPT de Araguaína (Tocantins) et Porto Alegre do Norte (Mato Grosso)

CPT de Balsas (Maranhão).


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2271.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : Commission pastorale de la terre, novembre 2000
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

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[1Comme nous l’avions déjà fait l’an passé [cf. DIAL D 2355], pour des raisons pratiquement identiques. À l’époque nous pensions avoir eu gain de cause, compte tenu des engagements pris par le Secrétariat d’inspection du travail (SIT), sous l’effet des pressions reçues de toute part (Brésil et étranger) et en vertu des réclamations du Forum national contre la violence dans les campagnes ainsi que de la Procuradoria fédérale des droits du citoyens, qui avait à l’époque sollicité l’ouverture d’une action administrative afin de faire la lumière sur les accusations d’inefficacité faites à l’encontre du “Groupe mobile”.

[2Un exemple dans DIAL D 2306 (NdT).

[3Cf. DIAL D 2264 (NdT)

[4En ce qui concerne l’inspection réalisée au mois de juillet dans le Haut Xingu (Pará), connue sous le nom de Iriri (commune de São Félix do Xingu), les faits dénoncés avaient été portés par la CPT à la connaissance du SIT, dès le 23/04/2000 (fazenda ‘do Edmar’), le 05/05/2000 (fazenda ‘do Tide’), le 25/05/2000 (fazenda Bom Jardim) et le 26/05/2000 (fazenda ‘do Joaquim’). Il fallut plus de deux mois pour que soit possible (et de manière peu satisfaisante) la venue de l’équipe mobile. Du fait du manque de logistique appropriée, la fazenda ‘do Edmar’ n’a pas pu être inspectée ; pour la même raison, l’équipe n’a pas pu passer outre les obstacles opposés par le contrevenant sur la piste de la fazenda ‘do Edmar’. Au moment où l’équipe se trouvait à São Félix do Xingu, une nouvelle dénonciation a surgi concernant la fazenda Volta da Serra : mais, comme la police fédérale avait déjà reçu l’ordre de mettre fin à sa mission d’appui, l’opération ne put être réalisée.

[5Cas de la fazenda Forkilha (commune de Santa Maria das Barreiras, sud du Pará), aux antécédents déjà bien connus des services de l’inspection du travail : le travailleur Edvan, victime d’une tentative d’homicide de la part du propriétaire (Jairo Andrade) parvient à s’enfuir et atteint Marabá où la police fédérale reçoit sa déposition le 4/09/2000. Le 6/09/2000 il est confié par la police fédérale à la CPT de Xinguara et, le même jour, une demande d’intervention de l’Équipe mobile est envoyée au SIT ; il y avait, selon les dires d’Edvan, une vingtaine de travailleurs retenus dans la fazenda et une quinzaine d’hommes armés ; en dépit de l’offre faite immédiatement par le commissaire de la police fédérale de Marabá de se joindre à l’opération revendiquée, l’Équipe mobile ne devait arriver à la fazenda que le 18/09/2000, ne trouvant plus, sur place, trace de quiconque. Durant tout ce temps, Edvan est demeuré sous la protection de la CPT. À Redenção où il avait été prendre des nouvelles de son épouse (retenue dans la fazenda avec ses enfants), trois hommes forcèrent l’entrée de la maison où il se trouvait ; le 18/09/2000, un homme d’allure assez suspecte se présenta à la résidence de l’équipe de la CPT, à la recherche d’Edvan.

[6Exmo Sr Fernando Henrique Cardoso,

Presidente da República

Palácio da Alvorada

70000-000 Brasília DF

Fax : (55) 61 411 22 22

e-mail : pr chez planalto.gov.br

Exmo Sr Francisco N. Dornelles

Ministro do Trabalho

Ministério do Trabalho e Emprego

Esplanada dos Ministérios, bloco F

70059-900 Brasília DF

Fax : (55) 61 224 5844

e-mail : mte chez gov.br

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