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DIAL 2417

ÉQUATEUR - L’impact du Plan Colombie. Les méthodes utilisées pour détruire les plantations de coca menacent gravement la population et la biodiversité. Des déplacements massifs de populations sont à prévoir

Kintto Luca

mercredi 1er novembre 2000, par Dial

Le Plan Colombie (cf. DIAL D 2374, 2381, 2404) continue de provoquer de grandes inquiétudes dans les pays limitrophes de la Colombie (cf. DIAL 2407). La destruction systématique de la culture de la coca dans le Putumayo, à la frontière de l’Équateur, est faite à base d’un produit, le glyphosate, causant des détériorations très graves de l’environnement – sans parler de l’utilisation éventuelle d’un champignon transgénique qui pourrait détruire d’autres cultures servant de base à l’alimentation des populations. Des déplacements de population colombienne vers l’Équateur ont déjà commencé. Article de Kintto Lucas, IPS, octobre 2000.


Des habitants de General Farfán et Puerto El Carmen, villages de la province amazonienne de Sucumbíos (Équateur), situés à côté du fleuve San Miguel, ont affirmé à IPS qu’après avoir entendu des petits avions fumigateurs en action dans le département voisin de Putumayo (Colombie), des dizaines d’arbres ont commencé à se dessécher.

« Les conséquences se ressentent de ce côté-ci de la frontière parce que beaucoup d’arbres apparaissent à moitié secs un beau matin sans que l’on sache ce que c’est, ce qui s’explique par l’application de quelque herbicide comme ceux qui sont utilisés dans les fumigations colombiennes », a déclaré Tito Piedra, habitant de Puerto El Carmen.

Bolívar Botina, maire de Puerto Guzmán, dans le Putumayo, a confirmé l’information et il a ajouté que, dans la zone, sept personnes sont déjà mortes d’intoxications provoquées par les fumigations massives effectuées depuis 4 mois avec du glyphosate.

« La semaine dernière, ils ont cessé les fumigations, peut-être en raison des protestations organisées par la population du Putumayo en opposition au Plan Colombie, mais on suppose que, dans les prochains jours, ils reviendront », a indiqué Botina.

Le Plan Colombie du président Andrés Pastrana, qui comprend des mesures de lutte contre le narcotrafic, avec l’aide des États-Unis, a débuté le 1er septembre.

Néanmoins, ce sont les fumigations effectuées dans une zone du département colombien de Nariño, limitrophe de la province montagneuse de Carchi en Équateur, qui ont eu les pires effets sur la population du côté équatorien.

« Depuis août, l’air que nous respirons n’est plus le même et il y a des habitants qui ont eu des douleurs anormales aux yeux, à la tête », a dit Juan Cruz, un agriculteur de Tobar Donoso, un village du Carchi.

Le médecin Arturo Yepez, de Tulcán, la capitale provinciale, a dit que les habitants de la région ont présenté des symptômes semblables à ceux des paysans « intoxiqués par l’ingestion de pesticides. » Les paysans de Tobar Donoso ont affirmé qu’au cours des dernières semaines, il y avait eu seulement de petites fumigations, mais ils en redoutent d’autres, massives celles-là, comme celle effectuée fin août pour détruire 5 000 hectares de plantation de coca. À cette occasion, les forces antidrogues colombiennes ont utilisé trois avions Turbo Thrush de fumigation, escortés par trois hélicoptères Black Hawk et 200 soldats d’un commando spécial forêt, entraîné et équipé par les États-Unis. Le directeur de la police antinarcotique, le général Ismael Trujillo, a déclaré qu’avec la destruction de ces plantations et laboratoires dans le Nariño, on avait évité la production de 29 tonnes de cocaïne destinée au marché étasunien.

« Tandis que les avions se jetaient sur les plantations, laissant dans l’air un sillage de glyphosate, et que les hélicoptères les escortaient pour éviter des attaques de la guérilla, les soldats pénétraient dans le bois pour rechercher les paysans qui s’enfuyaient », a dit à IPS un planteur de coca qui a préféré garder l’anonymat.

Du côté équatorien, quelques agriculteurs ont affirmé qu’environ 6 heures après chaque fumigation, on observe de vastes zones de manioc brûlé.

Le glyphosate, un des herbicides chimiques les plus importants de la transnationale Monsanto, fut introduit en Amérique latine il y a 25 ans et se commercialise essentiellement sous le nom de roundup, dont les ventes atteignent 1 milliard 200 millions de dollars par an. Il est classé comme un herbicide de la catégorie toxique III, qui exige d’être utilisé avec précaution parce qu’il peut provoquer des problèmes gastro-intestinaux, des vomissements, dilatation des poumons, pneumonies, obnubilation, destruction des globules rouges dans le tissu des muqueuses.

Mais les Équatoriens redoutent que, pour éradiquer la coca, on utilise le champignon transgénique fusarium oxysporum, une alternative proposée par Washington au gouvernement colombien, mais qui est combattue par des scientifiques et des environnementalistes du monde entier en raison du danger qu’il y a à répandre cette espèce dans l’environnement. Lucía Gallardo, de l’organisation Action écologique, a réalisé une étude sur les conséquences environnementales du Plan Colombie en Équateur. Elle y affirme que « le fusarium oxysporum peut menacer la biodiversité de la région amazonienne. Il endommage plusieurs plantes cultivées, en provoquant différents types de maladies comme la flétrissure des feuilles et des vaisseaux, la pourriture des fruits, voire la mort des plantes, et il peut occasionner des maladies chez l’homme, spécialement chez des patients immunodéprimés, atteints de cancer ou du sida. »

Elle dit aussi que le champignon a la capacité de muter génétiquement et de se disperser en tuant d’autres cultures, étant donné que c’est une espèce qui varie selon les conditions dans lesquelles elle se trouve. « Si l’on introduisait le champignon dans un écosystème aussi complexe que l’amazonien, il pourrait attaquer des cultures importantes comme le manioc dont dépendent les peuples indigènes du bassin amazonien, et se répandre vers la côte, affectant les cultures de café, orangette, banane et autres », argumente la chercheuse. L’Amazonie pourrait devenir un foyer de contamination dont les effets pourraient durer des années puisque le champignon peut se maintenir en vie plus de 20 ans et se répandre par eau, terre ou air.

Ce champignon est inscrit dans l’ébauche du Protocole de la Convention des armes biologiques et toxiques comme « agent biologique pour la guerre » qui, une fois répandu dans l’environnement, ne peut en être retiré si bien que les effets sont imprévisibles. « Le champignon peut se répandre sans tenir compte des frontières politiques et attaquer d’autres cultures et la biodiversité de l’Équateur, du Brésil, du Pérou ou du Venezuela », poursuit Gallardo Fierro.

Le ministre de l’environnement de l’Équateur, Jorge Rendon, a promulgué un décret interdisant l’utilisation du fusarium dans le pays et a nié que des expérimentations aient eu lieu.

Selon le New York Times, le ministre colombien de l’environnement, Juan Myer, aurait accepté « sous la pression des États-Unis » de tester l’efficacité du champignon herbicide dans son territoire, mais ensuite il l’a démenti et assuré qu’on ne permettra pas d’expérimenter le champignon.

La population frontalière est aussi préoccupée par la possible arrivée massive de Colombiens déplacés, provoquée par les fumigations et la multiplication des affrontements entre la guérilla, l’armée et les paramilitaires. Selon les estimations officielles, il pourrait y avoir un déplacement vers le Sucumbíos de 5 000 à 50 000 paysans du Putumayo, ce qui dépasserait largement les capacités d’accueil de la province.

Quelques organisations humanitaires ont dénoncé le fait que des paramilitaires colombiens achèteraient en ce moment des propriétés agricoles dans le Sucumbíos, ce qui fait craindre un possible déplacement en territoire équatorien des affrontements avec la guérilla.

On craint aussi que les plantations de coca puissent être transférées en Équateur, comme cela s’est passé au début de cette décennie, quand elles l’ont été du Pérou en Colombie. « Si cela se produisait, les populations indigènes et paysannes de ces régions pourraient être déplacées et la biodiversité, ainsi que les différents écosystèmes, exposées à disparaître » a déclaré Gallardo Fierro. Plus de vingt communautés et centres éducatifs communautaires de la nationalité kichwa, situées à la frontière, seraient en danger.

Des autorités frontalières, des organisations sociales et non gouvernementales ont formé le Front de défense de l’Amazonie pour surveiller les conséquences du Plan Colombie sur l’environnement. « Nous ne permettrons pas que l’on contamine notre écosystème, car on l’a déjà suffisamment endommagé avec les débordements de pétrole » a dit Maximo Abad, maire de Nueva Loja, capitale du Sucumbíos.


L’Union européenne refuse de participer au Plan Colombie

Contrairement à une désinformation qui circule dans certains médias latino-américains et contrairement à ce que les États-Unis se plaisent à répandre, il est important de savoir que l’Union européenne a très clairement refusé de prendre part au Plan Colombie. Il est, par exemple, faux de prétendre que l’Union européenne aurait accepté de financer le volet social de ce Plan, tout en laissant la partie militaire aux États-Unis. Il est significatif que dans la déclaration officielle faite par la présidence française au nom de l’Union européenne le 24 octobre à Bogota, l’expression Plan Colombie n’apparaît nulle part.

En ce qui concerne la question traitée dans l’article ci-contre, on lit dans cette déclaration les lignes suivantes (qui sont une critique non voilée du Plan Colombie) : « Il est nécessaire de préserver la richesse de la biodiversité colombienne (10 % de la biodiversité mondiale), qui constitue un patrimoine menacé notamment par la déforestation et par l’utilisation de produits chimiques. L’Union européenne est consciente de l’impact négatif que représentent, pour ce bien commun de l’humanité, comme pour la protection de l’environnement en général, tant les cultures illicites que certaines méthodes utilisées pour leur éradication. »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2417.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, octobre 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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