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DIAL 3405
Première rencontre ibéro-américaine de théologie : Déclaration de Boston
mercredi 22 mars 2017, mis en ligne par
La Première Rencontre ibéro-américaine de théologie a eu lieu du 6 au 10 février 2017 au Boston College, aux États-Unis. Nous publions dans ce numéro un entretien avec Gustavo Gutiérrez réalisé à cette occasion par José Manuel Vidal, ainsi que, ci-dessous, la déclaration finale de la rencontre. Le texte de la déclaration a été publié sur le site Amerindia en la red.
Durant plusieurs jours, nous, théologiennes et théologiens catholiques d’Ibéro-Amérique, nous sommes réunis à Boston, aux États-Unis, dans un esprit œcuménique, interreligieux, interculturel, intégrateur et solidaire. La vocation ecclésiale nous amène à penser, investiguer, apprendre, enseigner et communiquer la richesse de la foi chrétienne dans l’Église et la société. Nous avons partagé la vie, l’oraison, l’Eucharistie, la réflexion et le dialogue pour atteindre en commun un discernement des nouveaux signes des temps de notre époque. Maintenant nous voulons partager quelques fruits de notre travail avec la communauté ecclésiale et le public en général.
Nous reconnaissons, avec satisfaction et joie, que nous vivons un moment favorable dans le développement de la théologie et, en général, dans la vie de l’Église. Nous croyons que nous vivons un kairos [[Le kairos est le temps de l’occasion opportune – NdT.] ecclésial à partir des processus initiés par l’évêque de Rome, François, premier pontife issu d’Amérique latine. Ses impulsions de rénovation évangélique, exprimées dans la nécessité d’une réforme, tant des mentalités que des structures de l’institution ecclésiale, en perspective synodale, nous incitent à nous poser la question : par où passe Dieu aujourd’hui dans notre histoire et quelles réalités s’opposent à lui ? Notre discernement nous a permis de découvrir ces traits et signes d’une histoire commune, à partir desquels nous voulons regarder les défis présents et futurs de cette époque globale dans laquelle nous vivons. C’est ainsi que nous insistons sur l’importance d’observer, en partant de la Parole de Dieu lue dans l’Église, la situation sociopolitique et économique de nos pays, en la concevant comme un lieu théologique fondamental, dans lequel l’Église est appelée à s’insérer pour accompagner, en tant que Peuple Dieu, les peuples de ce monde.
Pour cette raison, nous voulons discerner notre présence comme croyants à partir de la question sociale de cette époque-ci, caractérisée, dans le domaine socio-économique, par l’existence de relations et de systèmes d’exclusion et d’inéquité, dans le domaine socioculturel, par la nécessité d’aller du pluriculturel à l’interculturel, et, dans le domaine sociopolitique, par l’urgence de consolider le système démocratique et les formes émergentes de la société civile pour que soit proposée une vision plus humaine de ce monde. Dans ce cadre nous réaffirmons notre option pour les pauvres et les exclus.
L’Amérique latine et les Caraïbes n’est pas la région la plus pauvre en termes économiques, mais elle reste la plus inégalitaire. La cause n’est ni dans la rente ni dans l’héritage, comme en Europe ou aux États-Unis, mais dans une distribution inégale des revenus et des opportunités, incluant la propriété privée de la terre, inéquitable parce que concentrée, qui génère de la richesse pour quelques-uns et de la pauvreté pour beaucoup. L’urgence est donc d’établir une théologie prophétique qui désacralise les faux dieux. Nous ne pouvons pas cesser de dénoncer les causes économiques et culturelles de la pauvreté, et nous devons rester attentifs aux médiations sociopolitiques qui se mettent en place pour la surmonter. Une théologie prophétique inculturée suppose que nous nous posions la question : à partir de quoi faisons- nous de la théologie, et de quel côté social nous situons-nous pour comprendre la réalité ? Pour cela, il est nécessaire d’avoir un discernement critique des nouveaux styles « d’allure néopopuliste » (DA 74) qui émergent par voie démocratique dans différents pays d’Amérique.
En ce sens, nous nous sommes interrogés sur le service rendu par la théologie pensée, dite et écrite en castillan ou espagnol – dans le cadre des idiomes ibéro-américains et de toutes les langues d’Amérique qui communiquent l’Évangile – à la communauté ecclésiale et, spécialement, au magistère universel, en association avec la conception ou le modèle du mystère de l’Église qui caractérise et soutient ledit magistère. Nous reconnaissons l’importance numérique et socioculturelle de l’usage de l’espagnol dans le catholicisme mondial actuel. Notre travail conjoint a confirmé la nécessité de renforcer les liens personnels et institutionnels entre théologiennes et théologiens latino-américains d’expression espagnole et portugaise, espagnols de langue castillane et latinos d’Amérique du Nord. Nous promouvons une théologie théologale et historique qui vienne dialoguer sur des questions qui concernent le contexte socioculturel et ecclésial ibéro-latino-américain.
Mus par l’Esprit qui agit à partir des marges de l’Église et l’envers de l’histoire, nous croyons que les périphéries sont des lieux théologiques qui obligent la théologie à s’interroger : quand un peuple est-il catholique : quand il a beaucoup de temples ou quand il a peu de pauvreté ? En conséquence, nous ratifions notre engagement inébranlable avec les sœurs et les frères dans les périphéries de la société, frappés par la pauvreté et diverses formes d’exclusion sociale, économique, politique et ecclésiale, qui appelle, en urgence, à lutter pour leur plus grande inclusion et intégration. Cela exige une plus grande fidélité de l’institution ecclésiastique à Jésus de Nazareth, Messie libérateur, Seigneur de l’histoire et Fils de Dieu. Nous reconnaissons que la pauvreté injuste tue parce qu’elle génère des formes de mort prématurée que nous devons refuser. Nous sommes des croyants qui parions sur la mise en pratique de la miséricorde avec justice. Notre option pour les pauvres s’insère dans la mémoire du sang des martyrs d’Amérique, en célébrant leur vie et en se souvenant que le don d’eux-mêmes au Peuple de Dieu est lumière qui illumine nos occupations théologiques.
Face à la gravité de ce moment historique qui clame en faveur d’une présence plus vivante au sein de nos communautés, nous affirmons l’urgence de collaborer avec la pastorale et la théologie du pape François. Nous soutenons une théologie qui prend en charge les conflits et circule dans les périphéries. Comme les pasteurs, nous les théologiens devons avoir l’odeur du peuple et de la rue, puisque nous croyons en la nécessité de solder la dette pastorale que la théologie professionnelle a encore envers nos peuples pauvres. Dans ce contexte, la théologie doit s’imprégner d’une miséricorde qui trouve sa nourriture dans l’Évangile et qui promeuve une Église pauvre au service des pauvres, où ceux-ci soient sujets de leur propre histoire, et jamais objets de manipulations idéologiques, de quelque ordre que ce soit. Les pauvres, bien souvent victimes de la violence, doivent être pour nous des lieux théologiques privilégiés, puisque notre engagement ne doit pas être seulement celui de les accompagner, mais celui de nous laisser évangéliser et transformer par eux, dans un processus continu de conversion pastorale et missionnaire.
Nous reconnaissons que les processus de mondialisation ont permis une plus grande interdépendance et plus d’échange entre personnes et peuples éloignés. Cependant, nous voyons aussi combien nous subissons leurs effets socioculturels. Ainsi nous observons avec perplexité la mondialisation de l’indifférence et de l’indolence. Nous portons tout spécialement notre attention sur les phénomènes de migrations, la précarisation de l’emploi et le manque d’opportunités engendrés par des systèmes qui n’assument pas la cause des pauvres, ni les considèrent comme sujets de leurs propres processus. Nous sommes entrés dans une nouvelle étape mondiale que certains nomment démondialisation caractérisée par l’inhabilité d’entrer en relation en tant que sujets, d’égal à égal, dans des relations humanisatrices réciproques.
Nous croyons que les migrants sont un grand signe de notre temps. En eux, nous chrétiens sommes appelés à reconnaître le visage et la voix de Jésus (Mt 25,35) et à répondre à partir des clés suivantes : l’affirmation de la dignité de tout être humain, la promotion d’une « culture de la rencontre », la pratique de la fraternité, l’hospitalité et la compassion. Les migrations nous invitent à construire des processus d’interculturalité comme élément clé de notre réflexion théologique. La présence de multiples cultures dans nos pays exige la profonde reconnaissance de l’altérité, en embrassant avec amour les richesses que nous offrent nos différences et en élargissant sans cesse l’horizon de nos théologies. Cela suppose un apprentissage réciproque dans les expériences journalières et exige une disponibilité constante au changement de mentalité à partir de notre insertion dans le monde de vie des pauvres.
Nos pratiques ne peuvent continuer à reproduire des formes de domination, comme celles marquées par le cléricalisme qui ne respecte pas les laïques, hommes et femmes. Les rigidités institutionnelles n’offrent pas l’image miséricordieuse du Dieu de Jésus et freinent les processus nécessaires de conversion pastorale de l’Église. À ce propos il convient de souligner la valeur des nouvelles théologies contextuelles, comme celles faites par des femmes, des Indiens et des Afro-Américains, entre autres, qui montrent des sujets qui ont été mis en marge de la vie sociale et ecclésiale. Leur engagement pour la libération de nos frères, victimes de marginalisation, a mis particulièrement l’accent sur les luttes et les souffrances qu’ils ont subies. Nous soulignons ainsi le travail fait par les théologiennes qui nous invitent à considérer, avec un peu plus d’intérêt, la nature et les causes de l’oppression des femmes, permettant ainsi une conception plus juste du type de transformations que nos sociétés requièrent pour un développement entier et authentiquement chrétien de tous.
Nous mettons en lumière les contributions de la théologie latina aux États-Unis, comme une forme de penser l’option préférentielle pour les pauvres et la défense de l’identité religieuse et culturelle des communautés latinas qui sont discriminées, souvent, non seulement dans la société mais aussi dans des espaces ecclésiaux. En recueillant les contributions de la théologie latino-américaine, cette théologie a su prêter attention à des thèmes clés de l’expérience des latinas et latinos aux États-Unis, tout particulièrement le métissage, la religiosité populaire, en particulier dans ses expressions mariales, et l’expérience du quotidien. Nous croyons que c’est seulement en reconnaissant les racines socioculturelles et religieuses de ces personnes issues des peuples latino-américains que l’Église, aux États-Unis et au Canada, pourra répondre pastoralement à ce nouveau défi. En ce sens, il faut d’urgence une meilleure préparation et sensibilité des ministres et de tous les agents pastoraux.
Ces considérations indiquent que la réforme synodale de toute l’Église, dans la complexité de ses diverses instances, et en fidélité créative à l’esprit du Concile Vatican II, constitue un présupposé inéluctable pour concevoir la vie, la mission et la théologie des communautés ecclésiales. En tant que théologiennes et théologiens ibéro-latino-américains, nous appuyons avec espoir et nous collaborons au processus de réforme de mentalités et de structures impulsé par l’actuel Évêque de Rome.
Le Peuple de Dieu est une communauté de disciples missionnaires appelée, dans une dynamique de sortie et de donation, à témoigner et annoncer l’Évangile sous la direction de l’Esprit Saint. Seule une institution spirituellement plus évangélique, théologiquement plus consistante et pastoralement plus ouverte à la diversité socioculturelle et religieuse, pourra répondre au défi de travailler pour la justice, la paix et le souci de la maison commune, à partir d’une authentique attention aux plus pauvres et exclus de notre époque.
Marie, surtout dans l’image et le nom de la Vierge de Guadalupe, Patronne de l’Amérique, accompagne notre cheminement.
Première Rencontre ibéro-américaine de théologie, réalisée du 6 au 10 février 2017 au Boston College (Boston, Massachusetts).
Coordination :
Rafael Luciani (Venezuela)
Carlos María Galli (Argentine)
Juan Carlos Scannone SJ (Argentine)
Félix Palazzi (Venezuela)
Signataires :
Omar César Albado
Virginia Raquel Azcuy
Luis Aranguren Gonzalo
Phillip Berryman
Agenor Brighenti
José Carlos Caamaño
Víctor Codina SJ
Harvey Cox (invité)
Emilce Cuda
Allan Figueroa-Deck SJ
Mario Ángel Flores
Carlos María Galli
Roberto S. Goizueta
José Ignacio González Faus SJ
Gustavo Gutiérrez OP
Michael E. Lee
María Clara Lucchetti Bingemer
Rafael Luciani
Carmen Márquez Beunza
Carlos Mendoza-Álvarez OP
Patricio Merino
Félix Palazzi
Ahída Pilarski
Nancy Pineda-Madrid
Gilles Routhier
Luis Guillermo Sarasa SJ
Juan Carlos Scannone SJ
Carlos Schickendantz
María del Pilar Silveira
Jon Sobrino SJ
Roberto Tomichá OFM-Conv
Pedro Trigo SJ
Gabino Uríbarri SJ
Ernesto Valiente
Olga Consuelo Velez
Gonzalo Zarazaga SJ
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3405.
– Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
– Source (espagnol) : Amerindia en la red, février 2017.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.