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DIAL 3478

Les réseaux sociaux libres, nos réseaux

Miguel Guardado Albarreal

vendredi 21 décembre 2018, mis en ligne par Dial

Avec le développement de l’internet et des outils informatiques, on peut se sentir parfois un peu démunis face à la complexité des manipulations à réaliser et des enjeux que pose la sphère numérique. Ce texte de Miguel Guardado Albarreal, publié dans le numéro 536 de la revue équatorienne América latina en movimiento (octobre 2018) consacré aux réseaux sociaux, met en lumière leurs enjeux politiques.


Qu’appelle-t-on « réseaux sociaux libres » ? Qu’est-ce qui les caractérise ? Qu’impliquent-ils ? Pourquoi changent-ils peu à peu le panorama actuel des réseaux sociaux digitaux ?

À la fin des années 2000, toujours plus de gens s’interrogeaient sur la direction que prenaient les réseaux sociaux commerciaux qui, alors, construisaient peu à peu leur hégémonie au niveau mondial : principalement Twitter et Facebook. Parmi les problèmes que l’on pouvait déjà [1] observer, il y a la perte de la vie privée, la concentration du capital, les tendances monopolistiques et la concentration des décisions relatives au fonctionnement même des réseaux et à leur contenu – en incluant la censure –, avec pour conséquence une concentration de pouvoir inouïe et de toute évidence inadmissible pour nous qui défendons les principes démocratiques.

À la chaleur de ces préoccupations naissent Diaspora et GNU Social, entre autres. L’objectif était de générer des réseaux sociaux digitaux (RSD) que les usagers eux-mêmes puissent gérer, avec trois valeurs comme horizon : liberté, vie privée et décentralisation.

Simultanément, ou postérieurement, apparaîtraient Friendica, Pump.io, Quitter… D’autres réseaux plus récents font que cet univers fédéré jouit d’une augmentation significative dans les possibilités d’usage – Hubzilla, véritable plateforme multi-usage ; PeerTube, alternative distribuée à YouTube – ou dans le nombre d’usagers – on peut signaler tout spécialement le succès de Mastodon.

Par leurs caractéristiques structurelles, toutes ces plateformes se considèrent des RSD libres, distribués et fédérés.

Bon, mais… pourquoi libres ?

Ces plateformes reposent sur des programmes informatiques qui respectent les quatre libertés [2] du code libre. Cette caractéristique rend quasi impossible qu’un petit nombre de mains s’empare du contrôle de tout le réseau. Il en découle d’autres caractéristiques :
 Le réseau se compose d’une multitude de serveurs – cellules connectées les unes aux autres, où s’exécute le programme du réseau et où sont stockées les données des usagers. Les usagers peuvent décider soit de créer leur propre serveur soit d’utiliser le serveur d’un autre usager.
 La communauté des usagers peut à tout moment examiner le code des programmes et s’assurer qu’il ne contient pas de fonctions pernicieuses.
 La gestion du code est collaborative. Bien des mains contribuent à l’améliorer et à l’adapter aux besoins des usagers.

Et que signifie ce « distribués » ?

Les usagers, en créant leurs propres serveurs, constituent une toile de nœuds qui se comportent en égaux, dans un schéma horizontal, sans hiérarchie, ouvert et organique (modèle C de l’illustration ci-dessous). Dans ce schéma, les serveurs ou nœuds sont autogérés et indépendants. Ils peuvent décider comment fonctionner, comment se financer, comment gérer les données qu’ils contiennent, quelles politiques suivre concernant les contenus, etc.

Modèles de réseaux centralisés (A), décentralisés (B) et distribués (C) (schéma de Paul Baran). Les réseaux commerciaux-privatifs s’inscrivent d’habitude dans le modèle A ou le B, les réseaux libres dans le modèle C.

De la même manière, nous les usagers pouvons passer d’un serveur à un autre – comme nous pouvons changer de compte de courrier électronique – si les conditions d’un serveur particulier ne nous satisfont pas. Les gains en liberté et diversité sont évidents.

Fédérées ?

Les réseaux libres tendent à se fédérer les uns avec les autres. En partageant des protocoles standard, ou « en parlant des langages communs », les usagers de Diaspora peuvent communiquer avec ceux de Hubzilla ou de Friendica ; et ces derniers avec ceux de Mastodon ou GNU Social. De cette manière, se construisent des espaces de communication ouverts et chaque fois plus vastes.

On échappe ainsi à la pression émotionnelle que nous ressentons dans les réseaux commerciaux-privatifs « fermés » – ceux qui décident de n’être pas compatibles, de ne pas communiquer avec leurs égaux –, cette pression qui nous conduit à rejoindre un réseau et à ne plus le quitter par peur de nous retrouver isolés.

Autres avantages

Face aux réseaux commerciaux-privatifs, il y a bien d’autres avantages des réseaux libres. Nous pourrions relever les suivants :
 Ils n’ont pas une visée commerciale et ne font pas commerce de nos données. Notre relation avec eux n’est pas mercantile – nous ne sommes ni le produit ni le consommateur – mais de coopération volontaire.
 Ils n’introduisent pas de publicité.
 Ils ne nous incitent pas constamment à les utiliser, parce qu’ils sont plus sains, moins addictifs.
 Ils permettent l’anonymat.
- Ils permettent de prendre des décisions de manière collective.
- Ils n’utilisent pas d’algorithmes qui décident quels contenus nous voyons et comment.

Qu’est-ce que cela implique dans la pratique ?

Disposer de réseaux autogérés de forme distribuée est un gain pour la démocratie d’internet et pour la souveraineté dans le cadre de la communication sociale. En outre, ce pourrait être l’ultime recours que nous ayons pour contrecarrer les monopoles croissants et faire redescendre au niveau des usagers le pouvoir qu’accumulent les entreprises qui possèdent les réseaux commerciaux-privatifs.

Les individus et les organisations qui désirent jouir des avantages qu’apportent les RSD, mais préfèrent le faire dans un cadre éthique, font la transition vers les réseaux libres. Ils trouvent là un espace d’interaction avec des gens du monde entier, et riche en contenus. Il peut s’avérer plus intéressant – même si ce n’est pas nécessaire – de faire la transition en compagnie d’autres personnes de notre entourage socio-affectif (membres de la famille, amis, camarades de travail…).

Pour ceux qui utilisent les RSD pour diffuser des contenus personnels, cela peut être difficile de renoncer au nombre enivrant de personnes qui les suivent dans les espaces fermés des réseaux privatifs. Il y a des organisations qui font le choix drastique de migrer vers des réseaux exclusivement libres. D’autres préfèrent garder un pied dans chaque monde tandis qu’ils facilitent la transition de leur public. Durant ce processus, il est important que l’organisation communique clairement quelle est sa position sur le sujet et de quelle manière on peut suivre ses contenus sur les réseaux libres.

Dans tous les cas, il convient de garder à l’esprit que nous ne sommes pas de simples usagers, des récepteurs passifs, mais des acteurs, avec un quota de pouvoir relatif. Nos décisions et nos gestes quotidiens modèlent les décisions et les gestes de ceux qui nous entourent. Kevin Kelly, fondateur de la revue Wired, disait que « nous, les êtres humains, sommes les organes sexuels de la technologie ». Le pouvoir de reproduire l’un ou l’autre modèle est donc entre nos mains.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3478.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : revue América latina en movimiento n° 536 - « Redes sociales : enredos y desenredos », octobre 2018, p. 15-17.

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[1Avant qu’Edward Snowden révèle la participation des géants d’internet à PRISM, le programme de surveillance massive du gouvernement des États-Unis.

[2Ces célèbres quatre libertés, définies en 1986 par la Free Software Foundation, sont les suivantes : pouvoir exécuter le programme ; pouvoir examiner son code ; pouvoir partager des copies du programme et pouvoir adapter le programme en modifiant le code et partager notre version modifiée.

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