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DIAL 2731 : Dossier Enfance et Pauvreté

ARGENTINE - Discrimination et pénalisation des enfants pauvres. Pour Adolfo pérez Esquivel : « Une société qui ne protège pas ses enfants hypothèque le futur et perd sa raison de vivre. »

Adolfo Pérez Esquivel

mercredi 16 juin 2004, mis en ligne par Dial

Une manifestation exceptionnellement nombreuse a eu lieu à Buenos Aires le 1er avril 2004 contre l’impunité et la criminalité, à l’appel du père d’un jeune enfant, Alex Blumberg, assassiné sans doute par une bande maffieuse. Le père de la victime lança un appel exigeant une augmentation de peines et un abaissement de l’âge pour l’imputation des peines. Un vif débat s’ensuit en Argentine. Nous nous faisons ici l’écho des positions d’Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix, et d’un groupe de croyants réunis autour du Centro Nueva Tierra.


On vient de lancer une campagne médiatique, instrumentée par M. Blumberg et par tous ceux qui, profitant du drame concernant la séquestration et l’assassinat de son fils, essayent d’imposer à la société des mécanismes répressifs. Ils ont commencé par demander d’abaisser l’âge permettant d’imputer des crimes aux mineurs de 14 ans, comme si l’ensemble des enfants mineurs en situation de risque social étaient coupables des séquestrations et des assassinats. C’est vraiment très préoccupant d’écouter comment Juan C. Blumberg parle des mineurs : « Ces enfants mineurs (pauvres), ce sont eux qui tuent nos enfants. Il existe des pères dégénérés qui poussent leurs enfants à la délinquance et en font des assassins. C’est pour cela que nous demandons d’abaisser l’âge d’imputabilité des crimes. Je ne comprends pas pourquoi les organisations des droits humains parlent de cette demande comme s’il s’agissait d’un drame. Il faut bien comprendre que ces mêmes gamins sont ceux qui assassinent nos enfants et des citoyens. Il faut donc les séparer de la société. »

La discrimination qu’il fait et la condamnation qu’il porte contre les enfants pauvres en situation de risque social, est préoccupante. Elles témoignent d’une phobie qui l’amène à menacer ceux qui ne sont pas d’accord avec son projet répressif, ou qui veulent approfondir les causes de cette violence sociale que vit la société actuelle. Il signale « que certains députés s’opposent à notre initiative. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux laissent à désirer mais, pour l’instant, je ne vais pas donner leurs noms. J’espère qu’ils comprendront. » Il demande à la justice de faire son travail, comme si les juges et les fonctionnaires de justice ne faisaient rien jusqu’à présent.

De plus, il critique les organisations des droits humains en affirmant qu’elles défendent des délinquants. Mais jamais Blumberg n’est venu voir ces organisations. Il ne sait pas ce qu’elles font ou ce qu’elles essayent de faire, et il continue à déverser son angoisse et sa fureur sur ceux qui s’opposent à lui et ne pensent pas comme lui. C’est vraiment pathétique.

Il ne dit rien des policiers corrompus, qui ont la gâchette facile, qui séquestrent et assassinent en s’associant avec les mafias et qui, hélas, sont les véritables responsables de la mort de son fils. Les vrais responsables, ce ne sont pas les enfants pauvres, mais c’est eux qu’il veut punir sans chercher à résoudre les problèmes et à trouver les causes. Pourquoi les pauvres, les exclus et les marginaux existent-ils ?... Pourquoi tant d’enfants meurent-ils de faim et de maladies évitables ?...

Il ne parle pas non plus de l’abandon des politiques sociales qui devraient être dirigées vers le sauvetage de la vie de toutes les personnes sans distinction, qu’elles soient de première, de deuxième ou de troisième classe.

Il oublie que tous les citoyens et toutes les citoyennes appartiennent à une seule classe, l’espèce humaine. Tous ont le même droit : celui d’être des personnes. Il oublie que les démocraties que nous avons aujourd’hui sont plus formelles que réelles, et que nous vivons dans une société où des millions de personnes souffrent de la discrimination et de l’exclusion sociale, de la pauvreté et de la violence sociale, où la police considère les enfants et les filles pauvres comme des délinquants et non comme des victimes de la société.

En fait, ce que cherche Blumberg dans sa campagne messianique, c’est la pénalisation des enfants et leur emprisonnement pour les éloigner de la société afin qu’ils ne dérangent pas et ne commettent pas de délit contre les « vrais citoyens », car il considère qu’eux ne le sont pas. S’il atteignait ses objectifs, ce serait le plus sûr chemin vers le fascisme.
Il faudrait que Blumberg connaisse le travail qui se fait avec les mineurs et les organismes qui travaillent sur ce thème dans les réseaux sociaux, qu’il visite les quartiers pauvres et les restaurants populaires, et plus simplement qu’il apprenne et comprenne tout cela non seulement avec sa tête mais aussi avec son coeur.

Nous-mêmes et tous ceux qui travaillent et sont engagés dans les secteurs les plus pauvres, en particulier avec les garçons et les filles qui vivent en situation de risque social, nous pouvons dire qu’il faut leur donner amitié et tendresse tout en respectant leurs droits, les éduquer et leur donner aussi un lieu de participation sociale. Les véritables problèmes à résoudre sont structurels et sociaux et pour cela il faut ouvrir le dialogue avec eux et leur donner des espaces de liberté au lieu de les enfermer, afin qu’ils puissent davantage sourire à la vie.
La violence appelle davantage de violence et ne résout pas les problèmes. Le moyen de résoudre le problème de la violence ne se trouve pas dans l’application des lois et des politiques punitives, mais il se trouve dans la mise en place d’une politique sociale en accord avec les besoins du peuple.

Je suis d’accord avec Blumberg pour dire qu’il existe des législateurs qui ne remplissent pas leur rôle, des juges qui ne devraient pas occuper les hautes fonctions qu’ils occupent et que nous avons besoin d’une grande réforme de la justice et des forces de police qui aujourd’hui font régner la plus grande insécurité.

La participation du peuple est fondamentale dans la construction d’une démocratie participative et non pas seulement « déléguée » aux dirigeants de la classe politique actuelle qui, hormis quelques honorables exceptions, devraient agir comme ils doivent le faire et non pas comme ils le veulent. La construction sociale et démocratique implique les mêmes droits et l’égalité pour tous les citoyens. Il suffit de regarder autour de nous pour comprendre où nous en sommes.
Je ne suis pas d’accord avec ces attitudes répressives et rétrogrades qui portent tort à la vie de notre peuple et en particulier aux plus pauvres et aux plus démunis. Le peuple argentin a déjà beaucoup trop souffert et cette souffrance ne s’arrête pas. Il a dû supporter des lois injustes et lutter jusqu’à leur totale annulation. Il s’est aussi battu contre des gouvernements totalitaires qui ont provoqué un bain de sang dans le pays, puis il a souffert de démocraties vides de tout contenu.
Le peuple a entendu bien des promesses et des mensonges et supporté bien des frustrations. Souvenons-nous de quelques phrases : « Suivez-moi... je ne vais pas vous tromper », « Avec la démocratie, on peut manger et s’éduquer... », « Nous n’allons pas payer la dette extérieure avec la faim de tout le peuple... ».

Nous devons garder la mémoire de tout cela pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Mais, fondamentalement, nous devons construire une nouvelle société avec de véritables valeurs sociales, spirituelles et solidaires. Nous devons enfin mettre toute notre énergie dans cette société, en particulier avec les jeunes, pour qu’on ne leur vole pas l’espérance.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2731.
 Traduction Dial.

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