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DIAL 2556

EL SALVADOR - Dix ans après les accords de paix. Des résultats très limités

mercredi 1er mai 2002, mis en ligne par Dial

Voilà dix ans que la signature d’accords de paix ont mis définitivement un terme à la longue guerre civile qui sévissait en El Salvador. Où en est-on de l’application de ces accords et de la situation du pays ? Texte du CIDAI (Centre d’information, de documentation et d’appui à la recherche), relevant de l’UCA (Université centraméricaine, tenue par les jésuites) publié dans Processo-Información semanal, 16 janvier 2002 (San Salvador, El Salvador).


Le 16 janvier commence la célébration des dix ans de la signature des accords de paix. Cette célébration qui durera trois mois permettra au secrétaire général des Nations unies de déclarer la fin de la vérification internationale sur le pays et de confirmer officiellement lesdits accords.

Ce seront trois mois d’une intense propagande gouvernementale qui dira et redira qu’ont été tenus tous et chacun des engagements pris, et, à défaut d’idées meilleures, qui répétera qu’ El Salvador est un pays en constant progrès, au développement garanti, et par conséquent le lieu de grandes opportunités. Le gouvernement profitera de cette date pour tenter, avec la propagande sur les accords, de dissimuler la réalité toujours plus hostile pour la vie de la majorité de la population.

Celle-ci approuve la fin du conflit armé et, dans ce sens, considère que les accords furent bénéfiques. Mais il n’y a pas unanimité sur l’impact que ce fait a eu dans la vie des salvadoriens au long de ces dix années.

Plus de la moitié reconnaît que le pays maintenant va mieux qu’avant, mais c’est parce qu’il n’y a plus de guerre ; cependant un autre groupe significatif soutient que le pays est toujours le même ou a empiré parce qu’il n’y a pas eu de changements, parce qu’il y a de la violence et des crimes, parce que l’économie a empiré, parce qu’il y a davantage de chômage, davantage de pauvreté et que la vie est plus chère. Il est clair qu’on ne peut attribuer aux accords de paix, du moins pas directement, la situation sociale et économique précaire de la majorité de la population. Il faut rappeler que les négociateurs avaient décidé de ne pas négocier cet épineux sujet, mais de le laisser au gouvernement élu par le suffrage universel et libre. Par contre, ils décidèrent la création d’un forum pour en traiter, mais celui-ci a eu une brève existence.
Néanmoins les accords de paix ont fait naître dans la population de très grandes attentes de changement. Certains parlèrent de refonder l’État en El Salvador, d’autres d’un El Salvador nouveau. Les plus modérés insistèrent sur le fait qu’en 1992, avait été initiée une transition qui promettait, au moins de manière implicite, le bien-être et la sécurité. Dix ans après, il est très difficile de pouvoir soutenir de telles affirmations. Dans la pratique, pour la plus grande partie de la population, la signature de la paix ne s’est pas traduite par une amélioration de la vie, parce que le processus de transition n’a pas donné les résultats annoncés. Il ne faut pas oublier qu’à ce moment-là, on disait que la mauvaise situation économique était due à la guerre, et c’était vrai ; mais dix ans après, cette situation ne s’est pas améliorée pour la majorité. De toute façon, la population reconnaît que mettre fin à la guerre a été en soi quelque chose de bon.

Tout bien considéré, les accords sont le résultat d’une négociation entre deux élites qui s’affrontaient militairement. À la partie insurgée, ont été promises les réformes politiques qui lui permettraient de participer à la vie publique en échange d’une modération de ses exigences économiques et sociales, alors que la partie gouvernementale s’engageait à accepter cette participation en échange de la poursuite de son projet économique. Il n’est pas étonnant alors que les accords de paix n’aient pas été compris par la société ou que, dix ans après, celle-ci prenne ses distances avec leurs aspects bénéfiques immédiats. En fait, les anniversaires de la paix n’ont jamais été commémorés massivement.

On n’a même pas pu rendre hommage aux dizaines de milliers de victimes du conflit. La fin du conflit doit plus à ses victimes qu’à ses négociateurs et aux politiques qui signèrent l’accord.

La question de la démocratie

Alors que ces élites privilégient la stabilité économique et la croissance économique comme valeurs sociales prioritaires, la majorité de la population met l’accent sur la justice sociale et économique, le respect des droits humains et la sécurité publique. Cette contradiction apparaît plus aiguë quand on constate que pour la majorité la démocratie a fonctionné peu ou prou. Une des propositions explicites des accords de paix était de promouvoir un processus de démocratisation. Il est certain que la grande majorité considère que la démocratie est préférable à tout autre forme de gouvernement. Mais un peu plus du tiers soutient qu’il lui est indifférent que le régime soit ou ne soit pas démocratique et qu’un régime autoritaire est préférable à ce dernier. En conséquence la majorité préfère que les problèmes soient résolus par la participation, bien qu’un groupe significatif réclame une main dure. Cette dévalorisation de la démocratie est confirmée par une méfiance généralisée dans les institutions nationales. Celles en qui l’on a le moins confiance sont celles qui devraient la promouvoir, en prendre soin et la mettre en pratique : le gouvernement central, le ministère public, la Cour suprême de justice, l’Assemblée législative et les partis politiques. La population entend par démocratie trois choses liées entre elles d’une certaine manière : l’exercice des droits et des libertés publiques, le bien-être social et la participation aux affaires publiques. Sur les trois, une seule a été effective avec une certaine régularité - et encore de manière partielle – pendant ces dix années. On pourrait objecter que cette conception de la démocratie est trop pragmatique. Mais cette objection n’a pas de fondement à une époque où l’on privilégie le pragmatisme ; et surtout parce que la démocratie n’étant pas une valeur abstraite, il faut toujours se demander : démocratie pour quoi et pour qui. Même en reconnaissant que l’exercice des droits et des libertés est général en El Salvador, on ne peut pas dire la même chose du bien-être social ni de la participation aux décisions concernant les affaires publiques.

La société salvadorienne est traversée par diverses divisions. La plus importante est la différence entre le groupe des plus gros revenus et le groupe opposé. C’est une différence qui au lieu de se réduire, s’accroît.

Il en découle des différences sociales de toutes sortes, des visions de la réalité et des hiérarchies de valeurs opposées. Depuis quelques temps, les enquêtes d’opinion publique enregistrent ces différences. Il ne s’agit donc pas seulement de réunir la société salvadorienne ni dans une vision commune sur son passé et sur les violations des droits humains, ni sur des critères politiques ; il faut aussi franchir un obstacle encore plus grand. Nombreux sont ceux qui feraient objection à cette analyse en alléguant qu’on demande aux accords de paix quelque chose que ceux-ci ne peuvent donner. Ce serait exact si on exigeait ce qui n’est pas en eux. Mais l’accord de Genève, le premier de la série, établit les quatre propositions de la négociation politique, lesquelles furent recueillies par l’accord de paix signé à Mexico : mettre fin au conflit armé, impulser la démocratisation, garantir le respect sans restriction des droits humains et réunifier la société salvadorienne. Dix ans après, la transition a accouché d’une réalité restée limitée par rapport à ses propositions initiales. Les accords de paix se sont réduits à mettre fin à la guerre civile. Affirmer plus est un leurre, pour ne pas dire de la démagogie.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2556.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Processo-Información semanal, 16 janvier 2002 (San Salvador, El Salvador).

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