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DIAL 2476

COLOMBIE - L’élimination des syndicalistes

vendredi 1er juin 2001, mis en ligne par Dial

Un rapport vient de sortir sur la situation faite aux syndicalistes en Colombie : exécutions, enlèvements, menaces incessantes. Les chiffres sont effrayants. Faut-il y voir la conséquence du conflit armé entre les mouvements de guérilla, les paramilitaires et les forces armées officielles ? N’est-ce pas aussi le résultat de conflits caractéristiques du monde du travail ? Article paru dans Utopías, avril 2001 (Bogotá).


Le 13 mars, le président du Syndicat des travailleurs de l’entreprise carbonifère Drummond, Valmore Locarno, et le vice-président Victor Hugo Orcasita, ont été contraints par un groupe paramilitaire de descendre d’un bus qui les conduisait du gisement de La Loma à Valledupar ; ils ont été traînés dans la forêt et assassinés. Deux jours après, dans les rues de Barrancabermeja, un travailleur affilié à l’Union syndicale ouvrière (USO) fut criblé de balles. Le 2 avril, ce fut le tour du président du Syndicat des travailleurs hospitaliers, Ricardo Luis Orozco, tué par balles à Barranquilla.

Mort et persécution

Cette année, 35 syndicalistes ont été assassinés, qui s’ajoutent aux 129 de l’année antérieure, dans l’impunité la plus absolue. Une enquête de l’Ecole nationale syndicale (ENS) indique que, de 1991 à décembre 2000, 1 551 syndicalistes ont été assassinés, dont 308 dirigeants. Entre 1996 et l’année passée, 1 670 syndicalistes ont été menacés et 1 068 d’entre eux ont dû abandonner leur lieu de travail ou de résidence pour cette raison, 87 ont subi des attentats, 57 ont disparu et 68 ont été enlevés ; 14 sièges syndicaux ont été attaqués avec des bombes explosives. Les auteurs de ces violations sont, selon l’ENS, pour 54 % des paramilitaires, pour 14 % la guérilla, pour 6 % les forces armées et 26 % ne sont pas identifiés.

Bien que l’on ne puisse ignorer l’argumentation gouvernementale selon laquelle la violence contre les travailleurs est une conséquence du conflit armé dont souffre le pays, la vague criminelle qui touche le syndicalisme depuis des années a des explications plus spécifiques et compromettantes pour l’État et le secteur privé.

Parce que syndicalistes

Selon l’étude de l’École nationale syndicale : « La majeure partie des violations des droits humains des travailleurs syndiqués dans le pays a lieu comme une conséquence directe de l’exercice de l’activité syndicale, c’est-à-dire au moment où les travailleurs résolvent ou achèvent un conflit du travail ou quand est en route la création d’un syndicat. »

Le rapport soutient qu’une autre raison de la violation des droits des travailleurs et travailleuses « est en lien avec les politiques d’ajustement fiscal, de réduction du personnel, de licenciements massifs et de réduction dans les versements dus aux communes … Dans le contexte de telles politiques, les manifestations des travailleurs pour défendre leurs anciennes conquêtes et leurs droits ont augmenté et, parallèlement, ont augmenté les violations des droits humains comme conséquence de la culture antisyndicale. »

Cette affirmation est corroborée par le fait que le secteur syndical le plus affecté par la violence est celui des services publics assurés par des institutions publiques ou privées (éducation, santé, travaux publics, justice, services à domicile). Parmi les syndicats des travailleurs et travailleuses de l’État, les plus frappés ont été les syndicats municipaux, ceux des services publics, de la santé, de l’éducation et du secteur électrique.

Pour l’École nationale syndicale : « En termes de violation des droits civils et politiques, il n’est pas exagéré d’affirmer – bien qu’il soit fort lamentable de le répéter - que la Colombie est le lieu le plus dangereux au monde pour l’exercice du droit fondamental d’association syndicale. Et cette situation ne changera pas aussi longtemps que l’État et les chefs d’entreprise continueront à ignorer la valeur et l’importance du droit d’association pour une société qui se prétend démocratique, et tant que l’on ne change pas les représentations imaginaires que se font des secteurs importants de la vie politique et économique du pays, qui continuent de voir les travailleurs syndiqués comme des alliés de la subversion ou comme des ennemis du bien commun. »

Un gouvernement inefficace

Non seulement les syndicats et les ONG dénoncent cette situation, mais, selon une tactique habituelle de la part du gouvernement et des secteurs accusés, ils sont disqualifiés au nom d’intentions politiques supposées.

Dans son récent rapport au conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail, le délégué spécial du directeur pour la Colombie, Rafael Alburquerque, dont la nomination est due précisément aux préoccupations internationales au sujet des violations des droits humains et des droits du travail, a déclaré : « Malgré la volonté exprimée par le gouvernement colombien d’assurer des moyens de protection pour les syndicalistes, les résultats laissent beaucoup à désirer, principalement en matière d’impunité, de moyens de sécurité pour les dirigeants syndicaux, les travailleurs et les sièges de leurs associations, de même que dans les actions politiques démontrant la mise en œuvre d’un mécanisme efficace pour combattre les groupes paramilitaires. »

Réagissant tardivement, comme toujours, à la pression internationale, le fonds de protection des syndicalistes a été réactivé en mars grâce à l’apport de ressources. Malgré cela, l’impunité, la facilité et la continuité des crimes contre les travailleurs syndiqués et les dirigeants syndicaux, pourraient faire qu’au cours de la prochaine conférence de l’OIT en juin on impose à la Colombie une commission d’enquête, ce qui constitue une sanction politique avec des répercussions possibles dans le domaine économique et celui de la coopération.

Le gouvernement, à travers le ministre du travail Angelino Garzón, a insisté, au cours de la réunion du conseil d’administration, pour dire que la persécution et la mort de syndicalistes n’est pas une politique de l’État. Et bien que cette affirmation soit acceptée, personne ne comprend qu’aucun crime ne soit prévenu ni évité, à l’exception de circonstances fortuites, comme dans le cas de Wilson Borja.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2476.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Utopías, avril 2001.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

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