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DIAL 3688

Sœur Geraldina : Il est nécessaire de passer de l’écologie à l’écoféminisme

Julio Pernús

mercredi 31 janvier 2024, mis en ligne par Dial

Cet entretien réalisé par Julio Pernús avec la sœur Geraldina Céspedes Ullo a été publié le 1er décembre 2023 par Amerindia. La théologienne souligne l’importance des avancées au sein de l’Église sur la question écologique mais invite à aller plus loin, vers une théologie écoféministe.


Sœur Geraldina Céspedes Ulloa, qui êtes- vous ?

Je suis une religieuse missionnaire dominicaine du rosaire, née en République dominicaine et du fait de mon choix d’être missionnaire j’ai travaillé en divers endroits du monde. Parmi les pays où j’ai résidé le plus longtemps je mettrais particulièrement en avant le Guatemala (où j’ai passé 18 ans), le Chiapas, México et aussi Madrid, en Espagne. Je suis une théologienne écoféministe, je me définis ainsi parce que je cherche clairement à articuler le cri de la terre et le cri des femmes. Mes espaces de travail sont les communautés ecclésiales de base qui s’inscrivent dans le cadre de la théologie de la libération. J’ai co-fondé le groupe Femmes et Théologie au Guatemala, qui existe toujours et j’ai été professeure dans des universités jésuites comme l’université Rafael Landivar au Guatemala et la UCA au Salvador. J’ai aussi été professeure invitée à l’université ibéroaméricaine du Mexique. J’ai également enseigné à l’École de théologie et pastorale pour laïques Monseigneur Gerardi et à l’École Tatic Samuel du Chiapas, au Mexique.

Cette conversation a lieu dans le contexte de la publication récente d’un livre intitulé Ecofeminismo : teología saludable para la tierra y sus habitantes [Écoféminisme : une écologie salutaire pour la terre et ses habitants] et je souhaitais vous demander : « Qu’est-ce que l’écoféminisme ?

L’écoféminisme est un courant de pensée, une philosophie, une théologie, un style de vie et une spiritualité qui cherche à ressentir et penser et à donner une réponse à deux des grands cris de l’humanité que sont, en ce moment, le cri des femmes (nous souhaitons renforcer l’équité de genre, la justice, la dignité) et celui de la Terre Mère. Pour ce second point, je m’inscris dans la perspective de Laudato si’, de Querida Amazonia [Chère Amazonie] et de Laudate Deum.

Le féminisme fait partie des courants ayant eu au sein de l’Église le plus de critères en sa faveur ou opposés. Comment nous, qui ne sommes pas aussi au fait de ces débats académiques pourrions-nous nous approcher d’un concept catholique du féminisme ?

Le féminisme propose une affirmation très simple : nous, les femmes, sommes aussi des êtres humains, nous avons des droits, une dignité et nous sommes faites à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est aussi simple que cela. Parfois nous nous embrouillons en nous lançant dans des polémiques et des débats sémantiques car nous acceptons de discuter de ces sujets avec des personnes de nos églises qui n’ont jamais lu un livre de théologie féministe. Le féminisme pose deux questions : en premier lieu, si tu es une personne qui te rend compte de l’asymétrie, de l’inégalité et de la violence à l’égard des femmes pour le simple fait d’être des femmes ; en second lieu, il demande si toi, outre la prise de conscience de cette réalité, tu es capable de faire quelque chose et de transformer ce système pécheur qui nie la vision de la création de Dieu qui dans la Genèse dit qu’Il a créé l’homme et la femme à son image et sa ressemblance.

Sœur Geraldina, diverses plateformes médiatiques donnent à voir la République dominicaine comme un pays conservateur fruit d’une Église traditionnaliste, et cependant la présentation de votre livre Ecofeminismo tisse un récit différent, libérateur. Qu’est-ce qui vous a conduite à essayer de lancer dans les sphères intellectuelle, catholique et populaire du pays un débat sur les thèmes que vous réaffirmez dans votre œuvre ?

Cette œuvre est née de l’expérience de la vie. Je suis missionnaire dominicaine, une congrégation qui est née dans l’Amazonie péruvienne en réponse à l’un des cris que nous désirions accompagner en tant que congrégation : la situation des femmes vers 1918. En Amérique latine, nous qui avons été formé dans le creuset de la théologie libératrice avec une option préférentielle pour les pauvres, avons fini par prendre conscience qu’il ne suffit pas de parler des opprimés en général et découvrir que les plus rejetées ce sont nous les femmes et la Terre Mère. Non parce que cette dernière serait dépourvue de richesses mais parce que nous l’avons appauvrie.

Ce livre naît d’une pratique et d’une expérience à travers laquelle je prends conscience que la Terre et les femmes sont deux entités qui subissent les injustices et les violences les plus grandes, conséquence de relations structurelles qu’il est urgent de transformer. Le problème est que nous avons considéré l’abus comme normal et que, comme société, nous avons légitimé la violence envers la terre et contre les femmes. Alors, avec le ressenti de cette souffrance à fleur de peau, nous, les écoféministes, nous cherchons à mettre en place dans notre mode d’action de nouvelles sagesses sur la base desquelles nous puissions générer des relations harmonieuses qui soient libératrices pour la Terre et pour les femmes, et aussi pour les hommes.

L’écoféminisme, et c’est une des thèses du livre, peut paraître un mot nouveau pour ceux qui écoutent ou lisent cet entretien, mais je peux vous assurer qu’il s’agit d’une expression neuve pour désigner un savoir très ancien : comment apprendre à vivre dans des relations équitatives et harmonieuses. Il faut apprendre à couler avec la Terre Mère dans une relation de communion et de respect qui nous aide à sortir de cette spirale de dégradation qui actuellement marque l’existence de la Terre et des femmes.

Le pape François a aidé à faire accoucher une ecclésialité plus en accord avec cette époque nouvelle. En tant qu’écoféministe est-ce que tu te sens proche de lui et de ses avancées synodales ?

Je crois en effet que nous vivons une époque riche et profonde en termes de positionnements, surtout au regard du thème de l’écologie. François est un des signes de la présence de l’Esprit Saint dans l’Église. Dans le domaine de la doctrine sociale catholique, on n’avait pas approché les questions socio-environnementales avec autant de radicalité et de courage. Ses réponses à la crise socio-environnementale et au changement climatique sont d’un très haut niveau. Toutefois, en ce qui concerne le thème du genre, il reste à faire.

Dans des espaces comme le synode de l’Amazonie comme dans le Laudato si’, on parle d’écologie intégrale, mais sans cependant franchir le pas vers une vision théologique écoféministe. C’est pourquoi je m’interroge toujours, dans la thématique de l’écologie intégrale et de la conversion écologique, où sont les femmes ? Il faut que nous passions d’une conversion écologique à une conversion écoféministe qui nous permette d’aborder la question du système patriarcal. François dit qu’il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, nous, d’un point de vue écoféministe, disons aussi qu’il n’existe pas une crise écologique séparée du patriarcat, mais une seule et même crise. On n’atteint pas le cœur de la question environnementale si l’on ne comprend pas qu’elle trouve son origine dans le système patriarcal qui voit la Terre et les corps des femmes d’un point de vue mercantiliste et dans une vision anthropocentrique et androcentrique qui considère l’être humain mâle comme le centre et le sommet de la création, disposant du pouvoir de dominer et détruire, ce qui génère toute cette situation d’inhumanité.

L’actuel processus synodal représente un pas en avant et témoigne de l’intention d’aborder le thème des femmes et de leur participation dans les sphères de décision ecclésiales, mais j’ai parfois l’impression que nous laissons le Pape seul. Car au niveau des églises locales, on reste bien loin d’une inclusion égalitaire des femmes en tant que croyantes adultes. L’espace que nous réclamons est peu de chose mais porte en lui une grande force : la tentative de revêtir tous les catholiques de la même dignité.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3688.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Amerindia, 1er décembre 2023.

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