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DIAL 2764
BOLIVIE - Le Mouvement des sans-terre en Bolivie
mercredi 1er décembre 2004, mis en ligne par
Le problème du « manque » de terres ne connaît pas de frontières en Amérique latine. Malgré l’étendue d’un continent vaste et sans pressions démographiques majeures, peu nombreuses sont les personnes qui possèdent suffisemment de terres pour vivre dignement. La grande majorité n’a rien, ou très peu. La Bolivie n’échappe pas à ce paradoxe économico-social. Près de 4 millions de ses habitants ne possèdent pas la parcelle minima qui assurerait leur subsistance, comme le souligne dans une interview exclusive, Juana Chambi, jeune dirigeante et responsable du travail avec les femmes au Mouvement des sans-terre (MST). Le MST de Bolivie se renforce de façon accélérée grâce à ses protestations, ses luttes sociales et son organisation collective. Interview réalisée par Sergio Ferrari et publiée par ADITAL, 14 septembre 2004.
Promesses historiques non tenues
Qu’est-ce que le MST de Bolivie ?
Un mouvement de familles, d’hommes et de femmes sans terre. En Bolivie, il existe une injuste répartition des terres, due à la mauvaise gestion, par les gouvernements successifs, de ce problème si sensible. En 1953, on mit en œuvre une réforme agraire, qui se définissait de façon réthorique par la formule « la terre appartient à qui la travaille ». Mais, au même moment, on consolidait la grande propriété à l’Est du pays et la mini-propriété à l’Ouest. Puis on promulgua la loi INRA (Institut national de réforme agraire), selon laquelle la terre appartient à celui qui a argent, armes et pouvoir. Le résultat de cette situation fut la naissance du MST, mouvement au sein duquel nous nous organisons tous, les sans-terre ou ceux qui en possèdent trop peu. Notre objectif principal : pouvoir vivre et aider à trouver une issue à la crise que traverse notre pays.
Si l’on devait faire la comparaison avec le MST brésilien, quels sont les points communs et les différences entre l’un et l’autre ?
Nous sommes animés par des objectifs similaires. Récupérer des terres pour les familles qui n’en ont pas. Donner une impulsion à la lutte théorique et pratique contre les latifundistes qui accaparent les terres pour faire de la spéculation et des affaires louches. Les deux mouvements développent des processus d’information, communication, consolidation et organisation des familles sans terre. Par ailleurs, hélas, nous avons tous les deux nos martyrs.
Les différences principales viennent de l’histoire et du développement de l’un et de l’autre. Le MST du Brésil a 20 ans d’existence, nous n’en avons que 4. Eux ont déjà obtenu des titres de propriété pour une bonne partie des terres en litige ; nous, nous traversons tout juste une phase d’organisation et nous avons obtenu très peu de titres de propriété en notre faveur sur les terres non cultivées. Le MST Brésil a des projets de développement en cours d’exécution et bénéficie de l’appui d’organisations internationales. Nous, nous ne pouvons compter que sur un soutien sporadique de quelques ONG et personnes amies.
Et pour ce qui est du nombre des membres ?
Nous comptons environ 5 000 affiliés directs, 20 000 indirects. Près de 200 000 personnes se sont rapprochées du mouvement pour demander des informations. De toute façon, le défi est significatif, car il existe environ 4 millions de Boliviens qui aujourd’hui n’ont pas de terre. C’est la population qui émigre vers les centres urbains et péri-urbains, créant des ceintures de pauvreté, se transformant en main- d’œuvre bon marché ou en véritable armée de chômeurs.
Une étape toujours critique
La Bolivie est apparue ces trois ou quatre dernières années comme une des nations socialement les plus dynamiques et combatives du continent. Pourriez-vous nous expliquer dans les grandes lignes quelle est la situation politique actuelle de votre pays ?
Nous vivons une étape très critique. Depuis l’année 2000, les mouvements sociaux, lassés par tant d’injustice et d’exclusion, se sont dressés contre les politiques néolibérales et ont entrepris la lutte pour améliorer leurs conditions de vie. Pour cette raison, Gonzalo Sánchez de Lozada, un représentant notoire des transnationales, a été chassé de la présidence du pays. Il y a eu alors un transfert constitutionnel dans les mains de l’actuel président Carlos Mesa, qui, sous la pression sociale, a dû initier un timide processus de transition, d’une démocratie représentative à une démocratie participative.
A son arrivée au gouvernement, C. Mesa a pris trois engagements principaux : organiser le référendum sur la politique du gaz, qui s’est tenu le 18 juillet dernier ; abroger la loi sur les hydrocarbures de Sánchez de Lozada et la remplacer conformément au résultat de la consultation ; enfin convoquer une Assemblée constituante fixée à l’année prochaine.
Actuellement, le gouvernement ne peut répondre aux demandes les plus importantes et les plus urgentes, aussi les mobilisations sont-elles constantes. En même temps, les partis politiques traditionnels et d’autres secteurs évincés par la mobilisation sociale entretiennent en permanence un processus de déstabilisation.
Quel est l’état actuel des mouvements populaires, des organisations sociales ?
Il y a eu de réels espoirs de changements avec le départ de Lozada. On a pensé que l’actuel gouvernement serait « celui des pauvres ». Mais, le temps ayant passé, il a donné seulement quelques réponses palliatives. Les mouvements populaires vivent dans une grande incertitude.
Le MST de Bolivie participe comme son homologue brésilien, à Via Campesina... Que signifie pour vous cette référence internationale ?
J’ai été amenée à participer il y a peu -du 11 au 20 juin de cette année - à une rencontre internationale de Via Campesina en tant que représentante de notre mouvement. J’ai pu mieux la connaître. Notre appartenance va de soi puisque Via Campesina rassemble dans le cadre international des organisations du monde entier qui ont des objectifs similaires. Ce qui nous unit, ce sont nos luttes contre le néolibéralisme, contre les transnationales, contre la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), contre ces monstres qui nous affectent directement. Via Campesina, par ailleurs, nous donne de la force pour réclamer nos droits humains les plus fondamentaux : la terre, l’éducation, la santé, la souveraineté alimentaire. Elle nous fortifie et nous stimule dans le principe de la solidarité internationale.
Impossible de terminer ce dialogue sans vous poser une question essentielle, par laquelle nous aurions dû commencer. Comment percevez-vous, en tant que femme et militante d’un mouvement populaire, ce nouveau processus de rapprochement des acteurs sociaux de toute la planète, manifesté dans le Forum social mondial, ou, par exemple, lors du récent Forum social des Amériques à Quito, en juillet dernier ?
La femme, spécialement la paysanne, à cause des multiples responsabilités qui lui incombent, est la plus affectée par les actuelles politiques mondiales hégémoniques et la pauvreté qui en découle. C’est pourquoi toute la nouvelle pensée et l’échange altermondialiste sont chaque jour plus nécessaires, presque indispensables. En tant que femmes, nous devons y prendre part activement. Le travail quotidien que je suis chargée de réaliser, en informant et faisant réfléchir d’autres femmes sur les sujets les plus variés, est une forme très concrète de soutien à ce courant. Il est fondamental de renforcer les alliances et de faire grandir ces mouvements. En tant que femmes, nous vivons en première ligne les problèmes quotidiens et nous les percevons avec plus de force. D’où la nécessité de la lutte. Ce n’est qu’avec la lutte de tous, hommes, femmes, jeunes, qu’une autre Bolivie et un autre monde seront possibles. Un grand rêve qui peut devenir réalité !
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2764.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : ADITAL, 14 septembre 2004.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.