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DIAL 2527
ÉQUATEUR - Le deuxième anniversaire de la dollarisation ; un climat d’incertitude
Adela Labastida et Diego Oña
mercredi 16 janvier 2002, mis en ligne par
Quelle est la situation en Équateur après deux ans de dollarisation de l’économie nationale ? La question est d’autant plus intéressante que plusieurs pays d’Amérique latine sont entrés soit dans la dollarisation de leur économie, soit dans une situation de plus en plus proche. Nous publions à ce sujet le point de vue de nos correspondants en Équateur, Adela Labastida et Diego Oña (Quito).
Le 9 janvier de l’an 2000, le président Jamil Mahuad décréta à la hâte l’élimination de la monnaie nationale, le sucre (lire “soucré”) pour mettre en place le dollar américain, après une dévaluation de la monnaie de l’ordre de 400 %, résultat d’une gestion catastrophique de l’économie. Malgré cette mesure, Mahuad n’a pas pu se mantenir au pouvoir, qui est passé à son vice-président, Gustavo Noboa. Le premier décret de celui-ci fut de poursuivre la dollarisation de l’économie.
Deux ans après, le gouvernement de Noboa se vante des résultats macroéconomiques de la dollarisation : 5,4 % de croissance du PIB en 2001 (le taux le plus élevé de l’Amérique latine), stabilité fiscale, baisse du chômage de 16 à 10 %, réduction de l’inflation de 91 % à 22 %, augmentation de la consommation.
Cependant, ses résultats ne peuvent cacher la réalité sociale du pays : l’ UNICEF estime qu’en 2001 la pauvreté atteignait au moins 70 % de la population et que le fossé entre les riches et les pauvres n’a cessé de s’accroître tous les ans depuis 1995. Depuis le début de la dollarisation, les prix des biens et des services ont beaucoup grimpé, certains ayant même atteint les niveaux des pays riches. Ce n’est pas le cas des salaires qui sont restés très bas. Le SMIC atteint à peine 120 dollars et une grande partie de la population, parmi laquelle la plupart des sous-employés (environ 55 % de la population active), a vu ses revenus diminuer.
Malgré la croissance économique des deux dernières années, le PIB est encore inférieur à celui de 1998. L’année de 1999, celle de la catastrophe économique due à l’effondrement d’un système bancaire national corrompu qui a ainsi coûté quelque 3,5 millards de dollars à l’État, s’est terminée avec une chute du PIB de l´ordre de 11 %. Le gouvernement de Noboa a cependant continué de transférer des ressources de l’État vers les banques privées et ce “sauvetage” bancaire représente jusqu’à présent quelque 5 milliards de dollars, soit environ le budget de l’an 2002 !
La création d’emplois dans le pays a été insuffisante depuis la mise en place de la dollarisation. La plupart de ces créations sont liées au secteur de la construction avec notamment un grand projet d’oléoduc pour pétroles lourds (50 000 emplois promis par le gouvernement pour ce projet contre moins de 20 000 emplois une fois que la construction a commencé), projet qui reste d’ailleurs très discutable tant sur le plan économique qu’écologique. Mais le principal facteur de baisse du chomâge est l’énorme migration d’Équatoriens vers l’étranger, notament vers les États-Unis et l’Espagne mais aussi vers l’Italie, le Canada, le Chili, etc. Environ un million d’Équatoriens on quitté le pays depuis 1999 (sur une population de 13 millions), dont 300 000 en 2001, la plupart étant en âge de travailler. Bien évidemment, beaucoup d’entre eux n’avaient pas de travail dans leur pays quand ils sont partis.
Le gouvernement parle d’une inflation de 22 % mais des recherches indépendantes la situent autour de 25 %. Ce chiffre est vraiment très élevé surtout si l’on prend en compte le fait qu’il s’agit d’une inflation en dollars. Il s’agit d’ailleurs du taux le plus élevé en Amérique latine. En l’an 2000, le président Noboa avait parlé d’atteindre une inflation de moins de 10 % au bout de 2 ans. On en est encore très loin. D’autre part, les taux d’intérêt, de l’ordre de 18 à 22 % demeurent trop élevés pour permettre une reprise importante de la production, mais les nouveaux riches et une partie de la classe moyenne se sont lancés dans une course effrénée à la consommation. C’est ainsi qu’en 2001, 52 000 voitures ont été vendues en Équateur, un record historique, soit plus d’un milliard de dollars depensés.
Le modèle de la dollarisation est rigide : l’Équateur ne possèdant plus de monnaie propre, il ne peut donc pas émettre d’argent. L’Équateur dépend ainsi uniquement des dollars qui entrent au pays par le biais des exportations, de l’investissement étranger, de l’endettement extérieur mais aussi des envois de dollars effectués par les migrants.
L´année dernière, le prix du pétrole, principale source de devises de l’Équateur, a baissé dans un contexte de récession mondiale, aggravé depuis par les événements du 11 septembre 2001. Pour l´année en cours, la récession a fait chuté la demande ce qui laisse présager une nouvelle baisse des prix du pétrole.
De façon similaire et pour différentes raisons parmi lesquelles la baisse de la compétitivité sur les marchés internationaux, les prix d’autres produits équatoriens d’exportation ont chuté en 2001 comme ceux des bananes, des fleurs, des crevettes, du bois, du poisson, etc. Et rien ne laisse prévoir une augmentation pour l’année actuelle. Les envois d’argent par les migrants ont consitué la deuxième source de devises du pays (juste derrière le pétrole), soit 1,4 millard et ces recettes ont constitué un des piliers fondamentaux sur lequel a reposé la dollarisation. Néanmoins, on s’attend pour l’an 2002 à une chute de ces recettes justement à cause de la récession mondiale, les possibilités d’emplois se faisant plus rares pour les Équatoriens dans les pays riches (la plupart se trouvent d’ailleurs en situation irrégulière).
L’ Équateur est un pays surendetté qui consacre environ la moitié de son budget au payement de sa dette extérieure. De nouveaux crédits internationaux ne feraient qu’aggraver une situation déjà critique.
En 2001, pour la première fois depuis plusieurs décennies, les importations ont surpassé les exportations de 500 millions de dollars. Si ce déficit de la balance commerciale perdure en 2002 et dans les annés suivantes, la dollarisation de l’économie risque d’échouer. Cette baisse des exportations met en danger le modèle de la dollarisation que d’autres pays latino-américains (Guatemala et El Salvador) sont aussi en train de mettre en place. Le gouvernement équatorien, s’inspirant du néolibéralisme, ne fait rien pour contrôler les importations et très peu pour favoriser les exportations. À cela il faut ajouter l’énorme corruption qui existe dans le pays, surtout dans les cercles du pouvoir économique et politique. Pour citer un exemple, l´évasion fiscale, à travers les douanes, atteint les 600 millions de dollars.
Jusqu’à présent, avec la dollarisation, les conditions de vie de la majorité des Équatoriens ne se sont pas améliorées et pour nombre d’entre eux elles sont même plus difficiles qu’auparavant. Néanmoins, un échec de la dollarisation, qui n’est pas impossible au vu la situation décrite ci-dessus, entraînerait une crise avec des conséquences très graves pour le peuple équatorien, déjà si pénalisé par la dure situation économique. Il semble que le gouvernement n’ait pas la volonté d’abandonner la dollarisation de l’économie, mais il n’a pas non plus une politique cohérente avec le modèle qu’il a farouchement soutenu. L’échec récent du modèle de “convertibilité” argentin (un peso = un dollar) qui s’inspire du même processus de dollarisation de l’économie nationale devrait faire réfléchir le gouvernement équatorien pour qu’il ne répète pas les mêmes erreurs, sinon il risque d’entraîner l’Équateur dans une crise encore plus grave que celle de 1999.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2527.
– Traduction Dial.
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