Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2010-2019 > Année 2016 > Octobre 2016 > BRÉSIL - Dans les établissements d’Amazonie, les paysans tirent les leçons (…)
DIAL 3386
BRÉSIL - Dans les établissements d’Amazonie, les paysans tirent les leçons de la forêt pour cultiver la terre
Solange Engelmann
mercredi 19 octobre 2016, mis en ligne par
Toutes les versions de cet article : [français] [Português do Brasil]
Cet article et le suivant permettent de mettre en relief les différentes facettes de l’action du Mouvement des travailleurs sans terre, au Brésil et au-delà. Article publié sur le site du MST le 16 octobre 2015, texte et photos de Solange Engelmann.
La parcelle de l’établissement [1] occupée par José Ferreira est un exemple de comment il est possible d’organiser une expérience de production durable, en associant une culture avec la production de fruits, l’exploitation de la forêt et la pisciculture.
Après avoir migré du Ceará vers le Pará, et être passé dans plusieurs villes de l’État où il travaillait comme travailleur temporaire, José Ferreira Pinheiro, 62 ans, et Maria de Nazaré, 55, décidèrent de rejoindre le Mouvement des sans terre. Dans la lutte, ils ont gagné un bout de terrain, ce qui leur a donné la possibilité d’élever leurs enfants dans de meilleures conditions, et une existence digne.
Les trois années de campement, dans des conditions précaires et à la merci de la violence des grands propriétaires de la région, ont été un parcours de lutte intense pour le couple. Mais la récompense est venue, avec la conquête d’une parcelle de terre dans l’établissement Palmarès II, sur la commune de Parauapebas, dans la région sud-est du Pará.
Et c’est sur les 5 alqueires [2] de terre, conquis il y a quatorze ans, que José Ferreira a mené une expérience de production paysanne durable. Il a démontré qu’il est possible d’associer une production d’aliments sains à la préservation de la nature, selon un modèle de production agroécologique, où l’agriculteur produit des aliments en pratiquant une utilisation alternée du sol, sans recours aux produits toxiques.
« Ici nous produisons de la pomme de terre, du haricot, du maïs, du poisson, de la volaille, de la dinde. Nous savons ce que nous mangeons. Vous pouvez prélever un échantillon de tout ce que je produis et le faire analyser, vous n’y trouverez pas un atome de poison. C’est important parce que de nos jours il y a trop de poison. Et du poison ne résultent que maladie et mort », constate José Ferreira.
Les principales lignes de production de la famille sont la pisciculture et la culture céréalière, et à moindre échelle, l’horticulture et l’élevage de volaille. Elles sont vendues sur le Marché du producteur de la commune, avec plusieurs autres aliments de base.
La production de fruits comme le cupuaçu, la mangue, l’açai, la noix de coco, la châtaigne, entre autres, se fait sur les deux alqueires de son verger, où poussent aussi des arbres de différentes espèces pour la production de bois. La commercialisation des alevins des quatre étangs commencera le mois prochain. Au cours des deux dernières années, la production de poissons a atteint 5 tonnes.
Né et élevé à la campagne, puis éloigné de ce milieu pendant des années, José Ferreira a toujours rêvé de revenir travailler dans l’agriculture. « Personne ne peut entretenir sa famille avec un salaire minimum. Sur une terre on peut avoir une vie normale. Mon métier, c’est l’agriculture. Ici je peux me nourrir, et il me reste un petit quelque chose qui me permet d’acheter ce qu’il faut pour l’exploitation. Quand l’argent se fait rare, je vais à l’étang et je prends un poisson, et il y a aussi la volaille, les œufs », explique t-il.
De la mine à l’agroécologie
« La vie s’est améliorée, aujourd’hui je travaille la terre, c’est l’abondance, du bétail à vendre, du riz, du maïs. Dans la mine de Serra Pelada, il n’y avait rien ; tout ce que je faisais était pour obtenir ma nourriture du jour, mais pour le lendemain, c’était l’inconnu » raconte Antonio Barbosa dos Santos, 65 ans, qui, avant de rejoindre la lutte des Sans-Terre et de devenir l’un des membres de l’établissement, a travaillé pendant 12 ans comme mineur dans la Serra Pelada.
Dans son système agroforestier, la production de cupuaçu, de jaqa, de mangue, d’acerola, de murici, de goyave et de citron vert, se déploie entre les divers arbres de la forêt naturelle. En moyenne sont produites chaque année deux tonnes de cupuaçu, la spécialité d’Antonio dos Santos. Et la production de haricots, de maïs, de riz et de manioc est plus que suffisante pour sa subsistance.
Palmarès II a été créé en 1995. Les familles ont connu d’abord une année de campement et de résistance, puis une succession de huit occupations, d’expulsions et de réoccupations. Actuellement, plus de 500 familles sont installées et organisées en forme de village agricole.
L’école maternelle et primaire « Crescendo na Prática » (Grandir par la pratique), qui compte près de 1 200 élèves, est aussi un résultat de la lutte des travailleurs et des travailleuses de l’établissement, comme le sont un dispensaire familial et une coopérative de transport.
Présence permanente sur le terrain
Une des grandes conquêtes du MST dans l’établissement Palmarès II a été la construction de l’école primaire « Crescendo na Prática », qui accueille plus de mille enfants.
L’école est devenue une référence pour la communauté, car elle offre depuis l’époque du campement diverses formations et garantit l’accès et le droit à l’éducation, réduisant ainsi l’analphabétisme et soutenant la présence durable des familles sur la terre.
Le renforcement de l’identité et de la culture paysanne a été aussi un des éléments de ce processus, avec l’organisation d’activités culturelles et de fêtes dans l’établissement, préparées dans les salles de classe. « L’anniversaire de l’établissement, par exemple, est un événement très important. C’est un moment où tout le monde participe à la fête. C’est-à-dire que la fête est le prétexte pour découvrir toute l’histoire de l’établissement, comment il a commencé, quelles luttes a menées le MST dans la région », explique Clívia Regina Uhe, membre de l’équipe pédagogique de l’école.
Créée en 1994, à l’époque où les familles étaient encore en campement, sa construction et sa reconnaissance par les autorités est le fruit d’années de luttes et de revendications. Durant ce processus, la communauté elle-même a défini et organisé sa participation à la vie de l’école, de sorte que son implication s’étend au choix de la direction, et jusqu’à la définition des activités scolaires, selon un mode démocratique et autonome. Cette école est la seule de la commune où se pratique l’élection directe de la direction, avec la participation de toute la communauté. D’ordinaire, c’est un rôle réservé au Secrétariat municipal de l’éducation.
Un des grands défis est justement de conserver cette autonomie et de garantir les orientations politiques et pédagogiques du projet, comme la formation continue des professeurs, pour qu’ils aient une meilleure connaissance du terrain. « Depuis plus de quatre ans, nous tentons de construire un collectif plus effectif. Nous avons 42 éducateurs et seulement la moitié d’entre eux résident dans l’établissement. C’est un processus continu et de longue durée », explique Clívia.
L’école « Crescendo na Prática » est un espace de renforcement de l’éducation rurale, où le projet politico-pédagogique et sa mise en place répondent à la nécessité d’une construction permanente de la Réforme agraire populaire dans le pays.
Développement
Dans la région sud et sud-est du Pará, quelque deux mille familles du MST sont installées dans les établissements Palmarès II, Onalício Barros, 17 avril, Cabanos, Canudos, 26 mars, 1er mars, Nega Madalena, Chico Mendès I et II, et Salvador Allende.
Les productions diverses des paysans de ces établissements contribuent à l’approvisionnement des communes de la région. Les produits commercialisés sur le marché régional sont surtout le maïs, le manioc, les légumes, les fruits et le lait. D’autres productions sont destinées en priorité à l’alimentation des familles et sont vendues en moindre quantité, comme c’est le cas des produits de l’aviculture et de l’élevage des caprins.
Selon le technicien agricole et membre de l’équipe pédagogique de l’Institut d’agroécologie latino-américain d’Amazonie (IALA), Cleiton Conceição Almeida, les établissements approvisionnent les marchés de producteurs de la région, les coopératives et les supermarchés. Dans la commune de Parauapebas, 400 familles vivant dans des établissements ou des campements vendent leurs produits au Marché du producteur municipal, qui se tient quatre fois par semaine. Au total près de 130 différents produits sont mis en vente.
« Depuis que nous sommes arrivés ici, l’offre à Parauapebas a beaucoup augmenté. Sur les marchés on voit les paysans des établissements proposer toutes sortes de produits alimentaires. Les gens travaillent sans relâche », dit Antonio.
La formation des établissements a engendré un développement économique et la création de nombreux emplois directs et indirects dans la région, principalement dans le secteur commercial. Elle a aussi amélioré les conditions de vie des paysans établis. Selon José Ferreira, les établissements jouent un rôle important dans le ralentissement de la croissance urbaine, car ils absorbent un grand nombre de travailleurs des zones pauvres.
Au-delà du développement économique, les établissements exercent également un impact culturel, en améliorant la convivialité entre les familles installées sur les parcelles et la population urbaine. Antonio raconte qu’à l’époque où les familles étaient dans les campements, leurs membres étaient traités comme des marginaux, mais aujourd’hui, après que les paysans installés ont commencé à cultiver la terre et à vendre leurs produits dans la région, ils sont traités comme des citoyens.
Cependant, la production d’aliments représente un défi pour les paysans installés dans la région, car la majorité des exploitations occupées sont des terres qui ont souffert de dégâts environnementaux, qui ont été déboisées et utilisées pour faire de l’élevage intensif, et où le biotope originel a été détruit. Les paysans doivent faire face à un lourd passif environnemental. Il leur faut non seulement produire de quoi nourrir leurs familles, mais encore reconstituer peu à peu l’environnement naturel. C’est une entreprise difficile en l’absence de politiques publiques de renforcement de l’agriculture paysanne et familiale.
De même, il y a dans la région environ 1 200 familles qui vivent encore dans des campements, à cause de l’abandon de la réforme agraire dans l’État du Para. Certaines familles sont dans cette situation depuis plus de dix ans.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3386.
– Traduction de Lucile et Martial Lesay pour Dial.
– Source (portugais) : site du MST, 16 octobre 2015.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, les traducteurs, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Le campement – acampamento en portugais du Brésil – est l’occupation militante de terres non exploitées pour en revendiquer l’utilisation et faire pression pour obtenir des titres de propriété. Les personnes qui s’installent sur une terre de manière légale, une fois obtenus des titres de propriété, forment ce qu’on appelle un établissement – assentamiento en portugais – note DIAL.
[2] Environ 15 hectares – NdT.