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DIAL 3116
ÉTATS-UNIS - Arizona : à l’avant-garde mondiale de la xénophobie, première partie
José Luis Rocha
jeudi 2 septembre 2010, mis en ligne par
Le 23 avril, la gouverneure républicaine de l’État d’Arizona, Jan Brewer, promulguait la Loi SB 1070 – SB est une abréviation de « Senate Bill », la loi ayant été présentée par le Sénat. Cette loi, qui va bien au-delà des dispositions juridiques fédérales les plus strictes, prévoit toute une série de mesures répressives contre l’immigration clandestine et devait entrer en vigueur jeudi 29 juillet malgré les oppositions nombreuses de la part d’autres États ou même du gouvernement fédéral : sept plaintes ont été déposées, dont une par le gouvernement fédéral, et de multiples manifestations ont eu lieu dans diverses villes de l’État et du pays. Mercredi 28, la juge fédérale – démocrate – siégeant à Phoenix, Susan Bolton, a ordonné la suspension provisoire des parties les plus dures de la loi – et notamment la disposition rendant obligatoire le contrôle par la police du statut migratoire des personnes qu’ils suspecteraient d’être sans-papiers. Les autres parties de la loi sont entrées en vigueur le 29. La gouverneure a fait appel de la décision. L’article de José Luis Rocha, dont nous publions la première partie ci-dessous [1], revient sur le contexte d’adoption de la loi et sur les mobilisations dont elle fait l’objet. Texte publié dans le numéro 339 de la revue Envío (juin 2010).
La loi SB 1070 votée en avril dans l’État de l’Arizona, baptisé Nazizona par la population latina, n’est pas une malédiction tombée du ciel et reçoit beaucoup de soutiens aux États-Unis. Il existait déjà des précédents depuis près de dix ans. L’Arizona récolte les tempêtes juridiques semées à l’encontre des immigrants par des vents xénophobes depuis l’époque de la colonisation blanche jusqu’aux chasses à l’homme menées dernièrement par le shérif de Maricopa, le sanguinaire mais populaire, Joe Arpaio.
Il était une fois un pays grandiose, un pays de rêve. Non seulement il possédait un territoire aussi vaste que magnifique, mais tout y était démesuré. Depuis les hamburgers jusqu’aux prisons. De même que la paranoïa et les persécutions. Ce pays était un ensemble uni d’États, les États-Unis, un pays effrayé par 12 millions d’individus sans papiers mais pas du tout inquiet devant les 4 millions d’enfants états-uniens fruit de mariages mixtes dont au moins un des membres faisait partie de ces individus, de ces immigrants menacés d’être déportés à tout moment.
« Chassons-les d’ici ! »
En 1990, les États-Unis comptaient à peine 3,5 millions de sans-papiers. En moins de 20 ans, leur nombre a grimpé à 12 millions. C’était trop. Comme si tous les habitants du Honduras et du Nicaragua avaient cavalièrement traversé la frontière. Pour cette raison, ce pays avait besoin d’être bien gardé. Clôtures, détecteurs et vigiles, telles furent les médecines prescrites par les docteurs de la loi pour enrayer la propagation de la peste des sans-papiers. Et c’est ainsi que les patrouilles aux frontières ne coûtèrent plus 326,2 millions de dollars comme en 1992, mais 2,7 milliards en 2009. Une goutte d’eau pour un pays aussi peuplé et opulent, une dépense inférieure à dix dollars par habitant, avec l’avantage que le système avait été conçu avec une telle habileté et une telle astuce que les sans-papiers eux-mêmes, qu’ils le veuillent ou non, contribuaient à financer leurs oppresseurs. À la seule frontière sud se tenaient en permanence, redoutables et toujours en éveil, 17 415 patrouilleurs, parce qu’on n’avait plus assez des 3 555 qui existaient en 1992.
Des habitants de ce pays, effrayés et furieux, ont estimé il y a un peu plus de cinq ans que ces patrouilles ne suffisaient pas et commencèrent à recruter des volontaires dans leurs rangs pour former des corps paramilitaires de surveillance dans la zone frontalière. On a ainsi vu apparaître les Minuteman, Ranch Rescue, American Patrol, Barnett Brothers et d’autres. Pendant que les hommes du pays partent à la chasse aux migrants, leurs femmes vendent des galettes et de la limonade pour financer ces horribles battues. Le légende dit qu’au début des années 90, un monsieur dénommé Jim Gilchrist – vétéran du Corps des Marines, décoré de la médaille Purple Heart pour des blessures subies dans une unité d’infanterie au Vietnam en 1968-69 – demanda un jour une pension du gouvernement fédéral pour sa vieille mère. « Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas la lui verser parce que les 200 millions de dollars prévus pour ça avaient déjà été dépensés au bénéfice des nombreux illégaux qui débarquaient pour solliciter de l’aide. Qu’est-ce qui se passe dans ce pays ?, s’est demandé Gilchrist. L’Amérique n’appartient pas aux Américains ? Malheureusement, j’ai vu que non, et j’ai jugé qu’il fallait sortir de là tous ceux qui n’étaient pas des nôtres, en situation régulière ou non. »
Jim Gilchrist fonde en octobre 2004 le mouvement Minuteman Project. En avril 2005, il postait 531 volontaires à la frontière. Son activité de surveillance lui vaut les éloges de l’énergique gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, qui déclare sur la station de radio de droite KFI-AM : « Ils ont fait un travail magnifique. Le flot d’immigrants illégaux a énormément diminué. Voilà la preuve que cela paie de faire des efforts et de travailler dur. Quand on veut, on peut. » Mais ni les patrouilleurs ni les paramilitaires n’ont réussi à freiner l’entrée de nouvelles vagues de sans-papiers qui, mus par l’impérieux besoin d’échapper à leurs surveillants, ont dû affronter d’autres risques mortels en tentant de traverser des vallées désertiques inhospitalières. Le nombre de personnes trouvées mortes dans le désert est passé de 23 en 1994 à 827 en 2007 et 725 en 2008.
Un mur de vigiles sur la toile
D’autre part, beaucoup de murs se sont dressés dans le pays. Ils s’étendent sur plus de 500 kilomètres le long de la frontière. À cette barrière s’ajoutent des détecteurs, et des patrouilles qui tournent sans cesse pour effacer les anciennes traces de pas sur le sol de manière à pouvoir repérer plus facilement les marques fraîches laissées par les immigrants clandestins. Des barbelés électrifiés ont été tendus sur une longueur de 1 120 kilomètres et le nombre de lits dans les centres de détention a triplé.
Les Minutemen Civil Defense Corps possèdent un site web (www.borderfenceproject.com), sur lequel ils lancent des appels de fonds pour la construction d’un mur censé border la frontière sur toute sa longueur. « All it takes is a $10 donation from each of 5 millions people, and we can completely fence-off the southern border ! Donate here ! » : Il suffira que cinq millions de patriotes versent la broutille de dix dollars chacun pour que l’on puisse terminer le mur en dépensant 180 fois moins d’argent que ce qu’il en coûterait au gouvernement fédéral. Le travail des volontaires et l’utilisation de matériaux bon marché permettront d’accomplir ce miracle.
Voici ce qu’on peut lire sur leur page web : les illégaux, aujourd’hui au nombre de 30 millions, génèrent une dette publique supérieure à 384 milliards de dollars par an, commettent 29% des délits, provoquent une inflation démographique, surchargent les systèmes de santé et d’éducation et assassinent plus de 9 000 États-Uniens chaque année. Et pour remercier leurs hôtes, ils ont imaginé le 11 Septembre. Si on veut les freiner, il ne faut pas y aller par quatre chemins. Le mur de barbelés projeté sera amplement doté de détecteurs de mouvement, de cellules électroniques et de caméras de télévision avec microphone incorporé qui enverront des images et du son à des écrans et à un site web où les Minutemen pourront exercer une surveillance étroite depuis n’importe quel endroit de la planète, de leur maison climatisée, confortablement installés devant leur écran d’ordinateur. Ainsi, enfants et grands-parents pourront s’adonner au jeu du vigile.
Les partisans de ce projet alimentent le site web de commentaires dans lesquels ils proposent, face à la balkanisation des États-Unis, une pléiade de stratégies, qui vont de la pose de mines et de pièges à ours dans le désert et les propriétés des fermiers patriotes, aux exécutions et camps de concentration, en passant par une amende de 100 000 dollars par travailleur sans papiers, et le boycott dur des restaurants appartenant à des immigrants. Et malgré tout, on a jugé en Arizona que toutes ces ruses, gesticulations et propositions n’étaient pas suffisantes.
La loi SB 1070, ou loi des arrestations arbitraires
L’Arizona a été le théâtre de certaines des propositions législatives les plus iniques contre les immigrants. C’est aussi le territoire du chasseur d’immigrants le plus terrible, le shérif Joe Arpaio. Et voilà que maintenant l’État de l’Arizona s’apprête à appliquer une loi qui le situe à l’avant-garde mondiale de la xénophobie : la Loi sénatoriale 1070, intitulée Support Our Law Enforcement and Safe Neighborhoods Act (Loi de défense de notre droit et de sécurisation des quartiers). Il s’agit d’un arsenal législatif qui vise à décourager et arrêter l’entrée, la présence et les activités économiques des personnes en situation illégale aux États-Unis.
La loi dispose que les fonctionnaires chargés d’appliquer la législation sur l’immigration peuvent – sans mandat d’arrêt – détenir toute personne dont ils ont une raison de penser qu’elle a commis une faute contre l’ordre public qui la rend expulsable des États-Unis. Les fonctionnaires de l’État de l’Arizona et de ses comtés, villes et villages auront entière liberté pour communiquer, recevoir ou conserver des renseignements sur la situation des personnes migrantes, déterminer si elles ont droit à telle prestation, tel service ou tel permis, vérifier où elles habitent et si elles font l’objet d’un procès civil ou pénal, vérifier leur identité et, si elles sont étrangères, s’assurer qu’elles sont enregistrées conformément à la législation fédérale. Si elles ne le sont pas et si elles se trouvent sur un lieu privé ou public de l’État de l’Arizona, ces personnes seront taxées d’entrée illégale et devront être jugées.
Seule existait jusqu’à présent une complicité avec la législation fédérale la plus sévère sur l’immigration. Mais les sénateurs de l’Arizona ont voulu aller plus loin en s’en prenant à la vie quotidienne des immigrants et en frappant d’illégalité toute demande présentée par une personne « illégalement présente aux États-Unis » qui souhaite travailler sur un lieu public, comme salarié ou comme entrepreneur indépendant. Pour la loi, une « demande » de travail désigne toute communication verbale ou non verbale – par geste ou par hochement de la tête – indiquant à une personne « douée de raison » que l’individu souhaite être embauché.
Le fruit de tempêtes juridiques contre les étrangers
La Loi 1070 punit d’une amende minimale de 1 000 dollars les personnes qui transportent des sans-papiers et qui les encouragent ou les incitent à venir ou à s’installer en Arizona, y compris, naturellement, leurs proches. Lorsque l’infraction implique dix sans-papiers ou plus, l’amende ne pourra être inférieure à 1 000 dollars par sans-papiers. La Loi punit également les employeurs d’une période de probation qui variera de trois à cinq ans selon que l’on aura jugé que l’employeur savait ou ignorait qu’il avait affaire à des illégaux.
Pendant la période de probation, l’employeur doit fournir tous les quatre mois au procureur du comté un rapport sur chaque nouveau travailleur embauché. Le procureur doit attester que l’employeur ne fait pas travailler d’illégaux. Si ce n’est pas le cas, le tribunal ordonnera la suspension de toutes les licences d’exploitation délivrées à l’entreprise.
Avant de suspendre les licences, le tribunal prendra en considération le nombre de travailleurs sans papiers, leurs antécédents éventuels de mauvaise conduite, le degré de gravité de l’infraction, les efforts accomplis de bonne foi par l’employeur pour se conformer aux règles, la durée de l’infraction, la part prise par les cadres supérieurs à l’infraction et tout autre facteur que la cour jugera pertinent. On considérera que l’employeur a agi de bonne foi s’il a vérifié le permis de travail de ses employés au moyen du programme de vérification automatique imposé par la Legal Arizona Workers Act (Loi sur les travailleurs légaux d’Arizona), loi en vigueur depuis le 31 décembre 2007. Cette loi, née dans le bureau du sénateur Russell Pearce (pièce maîtresse de la genèse de la Loi 1070), oblige les employeurs à vérifier sur Internet la situation de leurs travailleurs potentiels – notamment au regard de l’immigration – et à tenir un relevé de leurs vérifications pendant la durée d’emploi ou au moins pendant trois ans. Les travailleurs qui souhaitent recevoir des aides financières d’organismes publics doivent s’enregistrer et participer au programme de vérification électronique. La loi dispose que, tous les trois mois, le procureur général doit demander au Department of Homeland Security (Département de la sécurité intérieure) [2] une liste des travailleurs de l’Arizona inscrits au programme et la diffuser sur la page web du ministère public.
La loi n’en reste pas là. Voulant lui donner à la fois plus de poids et plus de souplesse, les législateurs ont demandé au procureur général de concevoir un formulaire pour les personnes désirant se plaindre contre les employeurs qui embauchent des sans-papiers. Mais la loi précise tout de suite que le requérant ne devra pas inscrire son numéro de sécurité sociale sur le formulaire pour permettre son authentification par un notaire. Si la dénonciation n’a pas été déposée à l’aide du formulaire prescrit, le procureur général ou celui du comté pourra également vérifier si l’employeur fait effectivement travailler des sans-papiers. Que les dénonciations soient anonymes et sans le formulaire prescrit ne rentre pas en ligne de compte.
La loi a été paraphée par la gouverneure de l’Arizona le 23 avril 2010. Ses premières moutures remontent à au moins une dizaine d’années. L’Arizona récolte les tempêtes juridiques soulevées à l’encontre des immigrants par des vents xénophobes depuis l’époque de la colonisation blanche jusqu’aux chasses à l’homme menées dernièrement par le shérif Arpaio.
Un cocktail explosif en Arizona : latinos + blancs
Pourquoi l’Arizona ? Qu’a l’Arizona de particulier pour être l’initiateur d’une loi qui renforce et étend les dispositions les plus répressives de la législation fédérale contre les immigrants sans papiers ? L’immigration compte des adversaires politiques partout aux États-Unis. Pourquoi, en Arizona, ces adversaires ont-ils osé des mesures plus restrictives et pourquoi l’ont-ils emporté ?
Selon les estimations du bureau du recensement des États-Unis, le pays totalisait en 2008 plus de 45 millions de latinos [3]. Ils représentaient 15% de la population. Parmi les États où les immigrants ont un poids relatif supérieur à la moyenne nationale, on trouve l’Arizona, avec 29,6% de latinos. Il est dépassé par les 36% de la Californie et du Texas, et par le Nouveau-Mexique, avec presque 45%. L’histoire récente de ces trois États regorge de querelles autour de la question de l’immigration. N’oublions pas l’initiative 187 de 1994 – connue sous le nom de SOS : Save Our State (« Sauvons notre État ») –, lancée par les Républicains et conçue pour exclure des services publics tous les sans-papiers. Les retombées du débat autour de cette loi ont coûté cher aux Républicains : de 1994 à l’arrivée de Schwarzenegger, les Républicains n’ont jamais dirigé le gouvernement ni obtenu la majorité au sénat californien. La loi ne fut finalement pas approuvée, mais la réaction de l’État fédéral ne se fit pas attendre : renforcement du contrôle à la frontière et construction de 17 kilomètres de mur à Tijuana-San Diego.
Souvenons-nous aussi de la lutte pour l’enseignement bilingue en Californie, marquée du rythme terrible d’un pas en avant pour deux pas en arrière. Et n’oublions pas les propositions de fermeture de la frontière lancées aux médias et martelées en 2003 par le nouveau gouverneur de la Californie, Schwarzenegger, élu avec 48% des voix, et réélu en 2006 avec 56% des suffrages.
Enfin, autre aspect de la réalité, ce n’est pas un hasard si le Nouveau-Mexique et le Nevada (25% de latinos) ont été le théâtre de l’affaire Roswell et de la zone 51, hauts faits des légendes des OVNI, ces vaisseaux spatiaux pilotés par des aliens qui menacent de nous envahir. L’imaginaire entourant les extraterrestres enfle au rythme des migrations et de la paranoïa qu’elles suscitent.
Autre mélange en Arizona : peau noire et cœur blanc
Mais tous ces États sont loin des excès dans lesquels l’Arizona est tombé avant même la naissance de cette loi. Il faut prêter attention à la forte proportion de latinos qu’il abrite et au fait bien établi que le désert de Sonora-Arizona constitue le principal point d’entrée de sans-papiers aux États-Unis. Mais l’Arizona présente aussi une autre caractéristique : un gros bataillon de gens qui se disent de race blanche pure, sans mélange, et qui forment une population de privilégiés à laquelle 78% des habitants estiment appartenir. Il existe des États beaucoup plus « blancs », comme le Montana, le Dakota du Nord, le Wyoming, l’Idaho et l’Utah, où 90 à 92% des habitants se considèrent comme des blancs purs. Mais ces États se situent très au nord et sont les lieux de vie peu recherchés par les latinos, qui représentent 11,5% de la population en Utah et 1,77% au Dakota du Nord.
L’Arizona abrite un mélange explosif : une forte proportion de latinos et une forte proportion de blancs « pure laine ». Les États où vit une population de latinos supérieure à la moyenne nationale (15%) comptent globalement une proportion de blancs inférieure à la moyenne (74,35%) : Californie (61%), New York (67%) et Texas (71%). La Floride et le Nevada font exception à la règle mais sont loin de posséder autant de blancs et de latinos que l’Arizona, où 78% de blancs et 29,6% de latinos composent un mélange détonant.
On trouve naturellement dans ce mélange une tranche de population où le latino et le blanc s’entrecroisent : des latinos qui se voient comme de purs blancs, et qui s’emploient jour après jour à vivre dans cette idée, convaincus des avantages de la suprématie blanche. Ce sont les « peau noire, masques blancs » dont parlait Frantz Fanon.
Tous ces livres finiront-ils au bûcher ?
Dans un État où la suprématie de la race blanche semble se sentir menacée, on ne s’étonnera pas de ce que la Loi 1070 ait été précédée et suivie d’autres dynamiques législatives et policières qui reproduisent son schéma anti-immigration dans son esprit et dans sa lettre.
Il n’y a pas que la loi impulsée par le sénateur Russell Pearce pour assurer la vérification électronique préalable des contrats de travail. Tom Horne, directeur des écoles publiques en Arizona – et ardent défenseur de la Loi 1070 durant de nombreuses années – n’a cessé de déplorer que le programme d’études mexicano-états-unien en vigueur dans le district scolaire de Tucson laisse insidieusement croire que les latinos sont opprimés par les blancs. Les récriminations de Horne n’ont pas tardé à trouver un écho dans le contexte favorable créé par la Loi 1070 : trois semaines après avoir paraphé ce texte, Jan Brewer, gouverneure de l’État de l’Arizona, rebaptisé Nazizona par les latinos, a approuvé une loi interdisant les cours qui encouragent la solidarité ethnique, qui s’adressent prioritairement aux élèves d’une race particulière ou qui favorisent la rancoeur à l’encontre d’un groupe ethnique donné.
Cette condamnation vise à décapiter le programme scolaire du district binational de Tucson, programme qui inclut l’étude de l’histoire et de la littérature de groupes africains, mexicains et autochtones présents aux États-Unis, ainsi que des cours sur l’influence de chaque groupe ethnique. Dans ce programme, par exemple, les cours d’histoire traitent du rôle des latinos dans la guerre du Vietnam et les cours de littérature mettent l’accent sur des auteurs latino-américains.
Avec la nouvelle loi, la lecture des œuvres de García Márquez redeviendra un délit. Inquisition dont le subversif Mariano Azuela, avec son roman Los de abajo, sera une victime plus digne. Est-ce que The Narrative of Frederick Douglass et The Life of Olaudah Equiano retomberont aux oubliettes ? L’ouvrage The Autobiography of an Ex-Colored Man de James Weldon Johnson est-il trop provocateur ? Oscar Zeta Acosta, avec The Autobiography of a Brown Buffalo, milite-t-il pour la solidarité ethnique ? Les ouvrages de Harriet Jacobs Incidents in the Life of a Slave Girl et de Booker T. Washington Up From Slavery donnent-ils le mauvais exemple et incitent-ils à la haine raciale ?
Autant de livres que l’on peut encore acheter dans n’importe quelle librairie. Mais pour combien de temps ? The Souls of Black Folk de W. E. B. Du Bois sera-t-il également sacrifié sur le bûcher de l’Arizona ? Du Bois a été le premier Afro-Américain diplômé de Harvard. En 1963, le gouvernement des États-Unis, toujours aussi visionnaire, a refusé de lui délivrer un passeport pour l’empêcher de se rendre au Ghana, où Kwame Nkrumah l’avait invité à prendre la direction de l’encyclopédie africaine. Toni Morrison continuera-t-elle à donner des cours à Princeton si ses romans ne peuvent entrer dans les écoles secondaires de l’Arizona ? La version controversée des guerres de colonisation, civiles, mondiales, au Vietnam, en Corée du génial Howard Zinn sera-t-elle encore frappée d’interdiction ?
Un droit menacé par la censure
Tom Horne, qui ne cache pas ses vues sur le poste de procureur général, prétend que le programme de spécialisation culturelle est propice au chauvinisme ethnique et au ressentiment racial à l’encontre des blancs, en plus de faire une distinction entre les élève selon leur race. Horne est allé jusqu’à empêcher que les élèves aient connaissance de la déclaration faite en 2006 par la célèbre militante pour les droits des latinos, Dolores Huerta : « Les Républicains haïssent les latinos ».
La nouvelle mesure n’interdit pas directement les cours mais les expressions qui encouragent la solidarité ethnique et la rancœur. Si l’on ne met pas fin au programme, les cours devront faire l’objet d’une censure qui portera atteinte, sans détour ni précaution, au droit d’un individu de choisir la culture dans laquelle il souhaite s’instruire et au droit des groupes ethniques et des minorités d’entretenir leur culture. Le bien collectif de la diversité culturelle se nourrit de ces droits.
Quelque 1 500 élèves de six écoles secondaires sont inscrits au programme. Mais l’influence du programme sur l’organisation des cours se fait aussi sentir dans les niveaux moyens et élémentaires de l’enseignement. Dans un district comme celui de Tucson, qui compte 56% de population latina, son influence pourrait s’étendre aux presque 31 000 élèves latinos et à tous ceux qui sont d’origine africaine. Sean Arce, directeur du programme d’études mexicano-états-unien, a assuré que les élèves réussissent mieux à l’école s’ils voient dans le cours des personnes qui leur ressemblent. « C’est un programme très intéressant et il est malheureux que les législateurs de l’État aillent aussi loin dans leur censure », déplore Sean Arce.
Six experts des Nations unies ont déclaré que toute personne a le droit de s’informer sur son patrimoine culturel et linguistique. De son côté, le porte-parole de Jan Brewer a affirmé : « La gouverneure pense que les élèves des écoles publiques doivent apprendre à traiter et apprécier l’autre en tant qu’individu et non pas à haïr les races ou les classes autres que la leur. »
>> Deuxième partie.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3116.
– Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
– Source (espagnol) : revue Envío n° 339, juin 2010.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] La deuxième partie est publiée dans le numéro d’octobre.
[2] Le département de la sécurité intérieure des États-Unis (United States Department of Homeland Security) est un département de l’administration fédérale américaine créé en novembre 2002 à l’initiative du président George W. Bush, en réponse aux attentats du 11 septembre 2001. Son objectif est d’organiser et d’assurer la sécurité intérieure du pays.
[3] Les catégories « blancs » et « latinos » sont celles utilisées par le bureau du recensement – note DIAL.