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DIAL 2326
NICARAGUA - Alliance entre les ex-révolutionnaires et les néo-libéraux : « un pacte sans peuple et un peuple sans leaders »
équipe Nitlapan-Envío
lundi 1er novembre 1999, mis en ligne par
Le Nicaragua a représenté pendant longtemps un pays où une alternative semblait s’élaborer en Amérique latine par rapport aux politiques et régimes en place dans le reste du continent. Depuis, tout a changé. Il a fallu déchanter, et s’il était encore besoin d’une preuve supplémentaire de la dérive du parti qui avait regroupé autour de lui les espérances populaires, elle nous est fournie par le « pacte » qu’il vient de conclure avec le parti au pouvoir. Le document ci-dessous présente la situation créée au Nicaragua par ce « pacte » conclu entre les deux principaux partis, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) et le Parti libéral constitutionnaliste (PLC), pacte dans lequel beaucoup voient une « main basse » effectuée par les deux grands partis sur les institutions du pays. Ci-dessous un article - complété d’encarts de sources diverses - de l’équipe Nitlapan-Envío, paru dans Envío, août 1999 (Nicaragua).
20 ans de révolution sandiniste
Le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) a célébré le 19 juillet le vingtième anniversaire de la révolution qui, en 1979, l’a porté au pouvoir. Plus de 500 policiers ont assuré la sécurité des manifestations. Malgré cela, les bandes de jeunes (pandilleros) n’ont pas mis un frein à leurs habituels affrontements dans les célébrations publiques, politiques ou festives. Nombreux parmi eux ont été des alliés à la solde du FSLN et ils ne voulaient pas perdre cette double occasion.
Accompagné de son épouse Rosario Murillo et de tous les enfants qu’il a eus avec elle, c’est un Daniel Ortega assez diminué qui est apparu à la tribune. Ce n’était pas celui du 19 juillet 1979, au milieu du peuple et triomphant. C’était un Ortega deux fois battu électoralement avec une crédibilité morale sérieusement atteinte après le pillage éhonté (piñata) [1] et les accusations d’abus sexuels envers la fille de sa femme, Zoilamérica Narváez, accusations auxquelles il n’ose répondre. Malgré tout, la mobilisation a été un succès : plus de 50 000 personnes se sont rassemblées sur la place de la République, - ainsi a été rebaptisée officiellement la place de la Révolution - qui a accueilli les sandinistes triomphants en 1979.
La célébration a eu lieu quelques jours après que la base de la Centrale sandiniste des travailleurs (CST), autrefois puissante, se soit réunie en congrès et ait dénoncé la corruption de ses leaders à l’occasion de la privatisation des entreprises de l’Area de Propiedad de los Trabajadores [2], négociée entre la direction du FSLN et le gouvernement de Violeta Barrios [Chamorro]. Un petit nombre de leaders ont bénéficié des dividendes de ces entreprises prospères, dont le capital a été constitué avec d’importantes donations de syndicats du premier monde, ceux de la Suède en particulier. Les dénonciations des sandinistes ne sont ni nouvelles, ni les seules. Elles forment un maillon de plus dans la chaîne des scandales qui montre que le FSLN est une coquille de plus en plus vide de sandinisme et de sandinistes et où la fidélité au mythe d’un sigle prévaut sur la fidélité à une cause et à un engagement.
Les Ortega vendent le « pacte »
S’appuyant sur une pensée messianique et manichéenne, utilisant un discours de défense des pauvres qui ne s’appuie pas sur une pratique et déjà fossilisé, et afin de vendre le pacte sans déséquilibrer son écosystème idéologique très érodé, Daniel Ortega a dit à la masse rassemblée sur la place : « Que ceux qui sont disposés à cautionner les négociations que mène actuellement le Front sandiniste, lèvent la main. » Et des milliers de bras, pas tous cependant, empoignant des drapeaux rouges et noirs, se levèrent en signe d’approbation. Ortega répéta une de ses plus récentes consignes : « Nous ne sommes ni ne serons pactistas parce que nous ne sommes pas des traîtres. » Comme Alemán, il présenta le pacte comme une recherche de convergences.
Quelques heures avant cette manifestation, son frère, Humberto Ortega, dans une longue interview télévisée, imprévue mais calculée, défendait le pacte au nom du secteur le plus pensant du sandinisme. Il parla aussi de « convergences ». Il est évident que les secteurs patronaux du FSLN ont de plus en plus de points de convergences avec leurs anciens rivaux du PLC (Parti libéral constitutionnaliste). Alemán, présenté auparavant par Ortega comme le plus notable héritier des somozistes, est vendu aujourd’hui comme un négociateur pragmatique. Bien que cette métamorphose ait un coût très élevé pour le FSLN, il est finalement rentable pour sa direction. À cause des convergences.
Que reste-t-il de la révolution ?
Avec le pacte et grâce à ses relations politiques et patronales, le FSLN est assuré de couvrir tout le spectre des divers secteurs de la bourgeoisie. C’est pourquoi beaucoup se demandent, vingt ans après, ce qui reste de cette révolution qui a renversé la dictature somoziste et a offert au monde une nouvelle utopie. Ébauche d’inventaire : une démocratie, au moins électorale, la réduction drastique de l’analphabétisme, la confiscation des biens volés par la famille Somoza, une réforme agraire qui a réduit à 20 % le latifundia et qui a bénéficié à plus de 120 000 familles paysannes, de larges facilités pour tous dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’alimentation de base, le renforcement des organisations populaires, une armée et une police établies sur de nouvelles bases...
Cependant, avec les années, tous ces fruits de la révolution ont été considérablement remis en cause. L’impulsion donnée à la redistribution a été freinée par les conséquences de la guerre, des déséquilibres économiques des années 80 et de l’ajustement structurel des années 90. L’analphabétisme et la dénutrition sont revenus accompagnés d’autres fléaux. La géophagie des directions libérales et sandinistes s’acharne sur les terres des petits et moyens propriétaires et des coopératives surgies avec la réforme agraire. La mystique généreuse qui avait rendu possible des changements si fondamentaux s’est évaporée.
Repentis ?
Quelques-uns lancent un mea culpa. Opportunisme ou repentir ? À 67 ans, Tomás Borge, le plus vieux des fondateurs vivants du FSLN et le second dans les structures actuelles du Parti, a déclaré espérer le retour au pouvoir du FSLN : « Je pense que l’avènement d’un nouveau gouvernement sandiniste est quelque chose de très probable et impliquerait la transformation de quelques rêves en réalité. » À son avis, le retour au pouvoir du FSLN supposerait de ne pas répéter les erreurs du centralisme et de la bureaucratie.
Assez nombreux sont ceux qui reconnaissent que, dans les années 80, la vision étatique et le volontarisme politique ont rompu avec toutes les normes de rationalité économique. Mais, à la direction du FSLN, personne ne reconnaît publiquement que c’est insuffisant pour expliquer les échecs : il faut ajouter une éthique de corruption commencée déjà dans les années 80, qui a débouché sur la piñata des années 90, corruption facilitée par l’absence de délimitations claires entre ce qui relève du domaine public, du gouvernement, du parti et du privé. Cette confusion, encouragée et justifiée, est en fait la matrice idéologique que le FSLN partage avec le PLC, matrice que le pacte va institutionnaliser et prétend perpétuer.
La révolution sandiniste non seulement misa sur la justice sociale ; elle avait aussi misé sur une authentique démocratie participative et elle finit par produire une démocratie électorale encore dans les langes : elle n’est pas arrivée à institutionnaliser de véritables espaces de participation politique, de reddition de compte, de contrôle des finances publiques et de transparence administrative face aux citoyens. Aujourd’hui, la démocratie électorale conquise avec la révolution se trouve en sérieux danger à cause d’un pacte qui réunit le pire du sandinisme et du libéralisme et qui prétend mettre sous le contrôle de ces deux partis toutes les institutions et organismes autonomes de l’État.
Un pacte sans programme social
Sans pudeur parce que, semble-t-il, il est en train d’hypothéquer son patrimoine idéologique, Bayardo Arce à qui, dans les structures du FSLN, on a assigné apparemment le rôle de porte-parole cynique du pacte, a reconnu que le FSLN vit des moments de grande ironie politique en dialoguant avec le parti qui ressemble le plus aux somozistes. Cependant, à son avis, ce volte-face stratégique n’a pas d’impact sur sa crédibilité en raison du phénomène générationnel. Son calcul est simple : « De la même manière que les nouvelles générations de votants ignoraient, aux élections de 1996, ce que fut le somozisme et que le passé ne signifiait rien pour elles, de la même manière les votants de 2001 seront des électeurs nés en 1985, pour qui le sandinisme est une histoire passée, sans grande signification. » Et il conclut : « Il faut avoir de nouveaux codes de communication avec les gens. Je crois que, dans la mesure où le temps avance, il y aura toujours moins de confrontation anti-sandiniste et anti-somoziste, parce que ce sont deux phénomènes que les nouvelles générations n’ont pas vécus et qui ne signifient rien pour elles ; en fin de compte, ces gens ne vont pas voter pour le passé, ils votent pour le présent et pour l’avenir. »
Pour Arce, dirigeant historique de FSLN, Alemán a le style d’un leader populaire, car il est capable d’avoir de très bons contacts avec les secteurs populaires et son gouvernement n’a pas la connotation qu’avait celui de Somoza. Ce n’est pas sûr : malgré cette différence significative qu’il ne contrôle ni l’armée ni la police, le gouvernement d’Alemán, non seulement ressemble par ses arbitraires et son autoritarisme à celui de Somoza, mais encore il le dépasse quant à la corruption.
Le FSLN raconte une « autre » histoire
À l’occasion des célébrations du 20ème anniversaire de la révolution, ont abondé également les démentis sur l’« histoire officielle » du FSLN. Comme le PLC, il se présente maintenant comme un parti séquestré par un groupuscule qui finit par marginaliser et disqualifier - jamais en les expulsant - ceux qui ont l’audace de s’opposer à la ligne « ortéguiste ».
Sergio Ramírez a présenté son livre Adiós, muchachos. Ce sont les mémoires de sa participation au FSLN que, sur les instances de ses amis des éditions Alfaguara, il a écrit à une époque où il était professeur invité de l’Université de Maryland. Pour quelques-uns, le texte est un règlement de compte qui arrive à un moment politique très opportun.
La thèse qui parcourt le livre est que la défaite du sandinisme n’est pas due tellement au harcèlement de l’impérialisme des États-Unis, mais à l’effondrement de l’éthique des révolutionnaires. La révélation la plus explosive du livre est qu’Henry Ruiz allait devenir le chef de l’État, mais que cette possibilité a avorté quand Humberto Ortega s’est proposé lui-même pour cette charge. Circonstance qui détermina la prépondérance de son frère Daniel et la détermination d’investir des millions pour cultiver son image. Ainsi, une décision, un instant ont marqué pour toujours l’histoire du FSLN et celle du Nicaragua.
Bien que l’histoire ne préoccupe plus la direction du FSLN, sa plus ou moins grande participation dans la lutte armée pour le renversement de Somoza est la source d’où ils tirent leurs « droits » et à partir de laquelle ils réclament des prébendes politiques et des privilèges personnels. Dans des déclarations à la presse, et à l’occasion du 20ème anniversaire, le légendaire « commandant Zéro », Eden Pastora, a aussi dévoilé, dépoussiéré et brandi des souvenirs de ses premières années dans le FSLN.
Dans les sombres annales de l’histoire du Front, centrées sur l’anecdotique et portées par une fièvre iconoclaste, Pastora a démythifié plusieurs personnages en faisant de curieuses révélations : l’opposition jalouse de Tomás Borge au leadership de Carlos Fonseca, la fausse présentation que fait Borge de lui-même comme l’unique survivant des fondateurs du FSLN, la mort de Carlos Fonseca comme fruit des pressions de Tomás Borge et d’Henry Ruiz pour que Carlos soit réincorporé à la guérilla dans la montagne, la corruption qui, depuis le début, poussa les commandants à s’emparer des meilleures maisons des somozistes, - et « des meilleures femmes de la bourgeoisie » - l’absence totale de participation aux activités militaires de plusieurs membres de la direction nationale historique - Jaime Wheelock, les deux Ortega, Henry Ruiz...
Par ces déclarations, Eden Pastora a grossi la liste des leaders qui, une fois repentis, reconnaissent que, dans leur gestion diplomatique, leurs négociations politiques ou leur audace au combat, ils ont servi de marchepied pour les Ortega. Nombreux sont les combattants, les hommes politiques et les dirigeants qui maintenant se rendent compte qu’ils se sont laissés déposséder de leur héroïsme et de leur pensée, de leurs rêves de justice ou de leur talent d’idéologues, ou qu’ils les ont hypothéqués en échange de charges publiques éphémères. Ils arrivent trop tard à la véritable histoire, et le verdict ne leur sera pas non plus favorable, sauf s’ils parviennent à avoir une place dans le futur et à prendre en compte les perspectives et les ressorts qui mobilisent aujourd’hui les majorités populaires.
Pourquoi le leadership d’Ortega ?
Pendant que, dans ses négociations avec Alemán, le FSLN continue de récolter le « succès » des récentes grèves violentes des étudiants et des transporteurs - grèves qu’il manipula et qui lui permettent de brandir la menace de nouvelles déstabilisations, - il néglige tous les thèmes sociaux. Comment est-ce possible de maintenir un leadership populaire sans un programme social ? Comment peut-il être incarné par un Daniel Ortega si discrédité ? On ne peut pas ne pas reconnaître qu’il domine les rues et remplit les places, et pas seulement parce que les hommes politiques influents - comme les films à succès - sont ceux qui traitent du sexe et de la violence.
Quelques-uns expliquent ce leadership en affirmant que, comme Alemán, Ortega s’est servi de la tradition bipartiste à laquelle est habitué le peuple du Nicaragua : timbucos et calandracas, fiebres et serviles, zancudos et cachurecos [3], libéraux et conservateurs, FSLN et MDN [Mouvement démocratique nicaraguayen], FSLN et UNO [Union nationale de l’opposition]. Dans ce contexte, le pacte ne serait que la consolidation légale et institutionnelle d’une manière de faire consacrée par la culture politique.
Une thèse aristocratique
Affaibli éthiquement et avec un FSLN en fragmentation accélérée, à quoi s’ajoute la gestion d’un pacte avec le rival sur l’opposition duquel s’est construite sa propre identité, Daniel Ortega continue à mobiliser les masses. Bien que, pendant des siècles, les processions catholiques massives n’aient pas rendu les chrétiens meilleurs, elles alimentent le phénomène de la fascination, l’aspiration à la magie et les manifestations émotionnelles. C’est la même chose en politique où il y a place aussi pour les mythes et les rites. De plus, les masses génèrent des votes dans les batailles électorales. Mais celui qui remplit les places, remplira-t-il les urnes ? En 1990 et en 1996, il a été démontré qu’il n’en n’est pas toujours ainsi. Cela se passera-t-il en 2001, avec un pays plus incliné encore à « l’irréflexion et à la magie » ?
Certains attribuent le succès de Daniel Ortega à la tradition des caudillos et à l’ignorance des gens du peuple, éléments que manipule habilement une stratégie consciente et soutenue du FSLN. Depuis 1979, la direction nationale a décidé que Daniel Ortega serait le visage de la révolution, qu’aucun autre dirigeant ne rivaliserait avec lui ou ne lui ferait de l’ombre. Le département de la propagande se chargea de lui construire une image et de lui conférer un charisme malgré son manque de charisme plus que notoire. Ce plan a été complété par la décision d’Ortega de faire appel constamment à des dispositifs émotionnels, au lieu de fournir des arguments pour expliquer au peuple les problèmes et les décisions. La loyauté politique a été basée sur une foi « religieuse » (mythes et rites) dans les dirigeants - spécialement dans ce dirigeant-là - et non dans la connaissance de ce qui se passait, dans la transparence de l’information et dans la rationalité politique. Cependant, expliquer l’actuel leadership d’Ortega en partant uniquement de cette thèse, outre son insuffisance, contribue à une lecture aristocratique de la réalité qui interprète avec mépris le comportement des secteurs populaires.
Et une autre thèse plus réaliste
Une autre thèse soutient que le présent a plus de poids que le passé et que ce qui importe n’est pas tant qui a été, ni qui est Daniel Ortega, ce qu’il a fait de bon ou de mauvais, mais qui sont ses opposants et ce qu’ils sont en train de faire. L’hégémonie de Daniel Ortega est basée sur le discrédit d’Alemán, et à l’intérieur du FSLN, elle est due à la faiblesse de ceux qui veulent rivaliser avec lui.
L’« autre » manière d’être de gauche ou d’être sandiniste n’arrive pas non plus à lui faire de l’ombre. Un analyste politique a observé avec justesse que « le sandinisme non officiel tire sa principale force des ONG et des moyens de communication, mais n’est pas parvenu à adopter des méthodes de travail qui le maintiennent en prise avec les intérêts politiques des gens modestes, simples, qui sont ceux qui se mobilisent et qui forment le sandinisme de base. » S’il en est ainsi - et c’est ce qui arrive -, on peut augurer que Daniel Ortega est encore là pour un bon moment, tant que les uniques tremplins de la gauche dissidente du FSLN, et aussi de l’opposition au pacte, seront seulement les ONG et les moyens de communication, tribunes et refuges de la classe moyenne.
Sandino : ils étaient 30 avec lui
L’« autre » célébration sandiniste du 19 juillet, bien que réunissant beaucoup moins de monde - seulement quelque mille personnes - tenait beaucoup de la mystique. Elle était constituée d’intellectuels et d’écrivains, de quelques ex-ministres du gouvernement sandiniste, de fonctionnaires d’ONG, de tout ce secteur de la classe moyenne qui produit une idéologie de qualité, mais qui n’est pas encore arrivée à imposer son leadership devant le peuple sandiniste et devant toute la nation.
Cette célébration alternative a eu lieu dans l’avenue universitaire ; elle a été truffée de symboles, de souvenirs, de photographies... La revendication centrale était stratégique : suspendre l’immunité - traduite en impunité - du président, des ministres actuels et des députés, y compris de Daniel Ortega, pour qu’ils répondent devant les tribunaux des délits qu’ils ont commis. Les discours ont insisté sur le fait que le pacte ne garantit que davantage de corruption et qu’il est anti-populaire parce qu’il n’aborde pas les problèmes de la majorité : l’expulsion des Nicara-guayens du Costa Rica, les mauvaises conditions de vie des communautés indigènes de la côte atlantique, la hausse des tarifs des services publics. Ni même ce fléau récent des rats qui menace d’anéantir les cultures de légumes et des céréales de base dans tout le pays.
Avec un optimisme digne d’éloge, et armés de courage, se souvenant que la lutte de Sandino commença avec seulement 30 sympathisants dans les années vingt de ce siècle qui s’achève, les sandinistes dissidents ont proclamé l’opposition au pacte, parce que c’est une « dictature à deux têtes », et se sont engagés dans la formation d’une troisième voie qui puisse s’y affronter avec succès.
Troisième voie ?
Une troisième voie qui ne serait pas seulement formée de sandinistes dissidents est l’unique porte de sortie pour faire face à la rupture de la règle institutionnelle perpétrée par le pacte libéral-sandiniste. Les enquêtes manifestent une déception croissante de la société civile devant la politique et les politiciens et un manque de plus en plus grand de soutien aux deux caudillos pactistes. La grande entreprise privée multiplie ses dénonciations de la corruption du gouvernement et un secteur du patronat a pris peu à peu ses distances par rapport au gouvernement d’Alemán. Mais en même temps, il a su profiter des faiblesses des deux rivaux qui établissent des pactes entre eux sans obtenir le consensus de leurs sympathisants. L’entreprise privée manque d’une cohésion qui lui permette d’élaborer une proposition commune. Elle n’arrive pas à gérer sa crainte que le sandinisme ne revienne au pouvoir, elle vit prisonnière du terrorisme fiscal du gouvernement libéral ou capitule pour obtenir des prébendes individuelles. Elle demeure paralysée, laissant faire le temps et le pacte, se contentant de dénonciations occasionnelles, sans construire une opposition capable de convaincre et de rassembler.
Bien que La Prensa mène la danse du mécontentement du patronat au sujet de la gestion du PLC, ce journal maintient des liens étroits avec le régime. Et qu’un ministre et plusieurs diplomates du gouvernement actuel en soient aussi actionnaires, en dit beaucoup plus que la satire de El Azote, son supplément humoristique dominical très lu, consacré entièrement à fustiger avec acharnement le président et le « daniélisme ».
Pacte sans peuple, peuple sans leaders
Les mouvements corporatistes et syndicaux ayant été affaiblis par le centralisme des années 80 et la corruption des années 90, les secteurs populaires n’ont pas encore trouvé d’authentiques leaders locaux qui correspondent aux « macro-propositions » dont sont porteuses les nombreuses coordinations d’ONG et ceux qui élaborent des projets politiques.
Le jeu paraît fermé. Un pacte sans peuple. Un peuple sans leaders. Deux groupes pactistes sans idéologie. Et beaucoup de producteurs d’idéologie sans un peuple qui la comprenne, l’assume et se l’approprie. Est-ce le peuple qui maintenant ignore ses propres intérêts ? Ou se laisse-t-il emporter par le désenchantement et par un « je-m’en-foutisme » aussi enraciné dans la culture politique nicaraguayenne que le caudillisme bipartiste, ou est-ce seulement une question de temps ?
Qu’est-ce que le “pacte” ?
Le “pacte” conclu entre le Parti libéral constitutionnaliste (PLC) et le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) a pour objectif avoué la réforme du système électoral et du pouvoir judiciaire pour moderniser et renforcer les institutions.
Ces “accords de gouvernabilité” selon l’expression en vigueur, ont été vivement critiqués par ceux qui y voient un partage des postes et des charges entre ces deux partis. Ainsi, le président Arnoldo Alemán aura droit, sans élection, à un siège de député une fois son mandat terminé. L’augmentation du nombre des membres de la Cour suprême et du Conseil électoral devrait favoriser ces deux partis, de même que la réduction du pourcentage de votes nécessaires pour être élu président dès le 1er tour (de 45 à 40 %). Il s’agit donc aussi de la mise en marge des autres partis de taille moindre.
Dans un communiqué en date du 25 septembre, la direction nationale du FSLN menace de sanctions les membres du parti qui critiquent cet accord.
Quelques repères
1936 : Accès au pouvoir de la “dynastie” des Somoza dont la main de fer s’appesantira sur le pays jusqu’en 1979.
1974 : Entrée en action du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui va multiplier les actes de guérilla.
1979 (juillet) : Chute de Somoza et entrée victorieuse du FSLN à Managua. Gouvernement d’Unité nationale, dominé par le FSLN (avec Daniel Ortega), avec la participation des modérés (Violeta Chamorro).
1980 (avril) : Première rupture de l’Unité nationale. Les sandinistes contrôlent de plus en plus l’ensemble des rouages du pouvoir.
1983 (mars) : Premières attaques menées par les Contras (anti-sandinistes) soutenus par les États-Unis.
1984 : Daniel Ortega élu président avec 67 % des voix.
1985 : Embargo commercial total décrété par les États-Unis.
1990 : Défaite de Daniel Ortega aux élections présidentielles. Élection de Violeta Chamorro.
1996 : Élection de Arnoldo Alemán (droite néo-libérale), actuel président.
1999 : Signature du “Pacte” entre le FSLN (Daniel Ortega) et le Parti libéral constitutionnaliste (Arnol-do Alemán).
Note DIAL
Les intérêts du peuple ou ceux du parti ?
Quel bénéfice réel le peuple le plus pauvre tire-t-il de ce pacte ? Telle est la première question à poser, même avant celle qu’on a l’habitude dire sur le coût que cela représente pour le Front (sandiniste). Qu’est-ce que le pacte a à voir avec la faim, le chômage, la dénonciation de la corruption qui retombe contre le peuple, etc... ? C’est par rapport à ces réalités que devrait se situer le premier engagement du Front.
Arnaldo Zenteno
Communautés ecclésiales de basede Managua, 16 juillet 1999
CRIE, juin 1999 (Mexico)
Qui a le pouvoir ?
Quand on demande aux Nicaraguayens : “Qui a le vrai pouvoir, Alemán ou Daniel Ortega ou encore quelque grand patron ?” La réponse est immédiate : “C’est le cardinal Obando y Bravo.” On sait que celui-ci, alors qu’il n’était encore qu’évêque de Managua, jouait déjà un grand rôle dans la politique a l’époque de Somoza. À la chute de celui-ci, on a même un moment parlé de l’évêque comme président de la République. Dès l’arrivée au pouvoir des sandinistes, I’opposition d’Obando à ce gouvernement se manifestait sans détour et les dirigeants sandinistes, de leur côté, ne ménageaient pas leur adversaire principal (après les États-Unis), ce qui a certainement contribué à leur chute. La confusion entre politique et religion ne semble pas le moins du monde gêner le cardinal. N’a-t-il pas ouvertement exprimé son soutien à Alemán en laissant ostensiblement tomber son bulletin de vote, lors des élections ? Dans un des pays les plus pauvres de la planète, le cardinal, dès la chute des sandinistes, s’est fait construire une somptueuse cathédrale avec les dollars du fabricant américain de pizzas Domino’s. Le contraste entre cet édifice de béton et les misérables habitations des quartiers populaires ne semble nullement gêner la bourgeoisie de Managua qui fréquente l’église du cardinal, auquel elle ne ménage pas ses applaudissements.
Maurice Barth, octobre 1999
Les Somoza réclament le terrain occupé par la cathédrale de Managua
Un neveu du dictateur Anastasio Somoza García a revendiqué la propriété des terrains sur lesquels s’élève actuellement la cathédrale de Managua.
Les héritiers de l’homme qui a gouverné le Nicaragua d’une main de fer de 1936 à 1956 et qui a inauguré une dictature qui s’est prolongée, par l’intermédiaire de ses fils et de ses hommes de paille, jusqu’au 17 juillet 1979, réclament la restitution de 342 propriétés qui leur avaient été confisquées par le régime sandiniste après avoir battu Anastasio Somoza Debayle, fils du dictateur.
Parmi celles-ci se trouvent le terrain (11 manzanas) que le gouvernement sandiniste a donné à l’Église catholique pour la construction de la cathédrale et qui représente une valeur de 11 millions de dollars.
Le cardinal Miguel Obando y Bravo a confirmé qu’il avait parlé avec Javier et Eduardo Sevilla Somoza, héritiers du dictateur, de cette revendication. Il a déclaré que l’Église doit défendre ce qui est légal selon la loi des hommes et ce qui est juste selon la loi de Dieu.
“Ils doivent régler ce problème avec le gouvernement, qui a donné ces terrains”, a-t-il affirmé.
Le président Arnoldo Alemán a déclaré que ceux qui réclament ces biens doivent prouver leur droit devant les tribunaux, étant donné que le Procureur Julio Centeno Gómez a signifié son opposition à ces réclamations pour des raisons de caractère historique et moral. Il a signalé que les décrets de confiscation des propriétés de Somoza sont toujours en vigueur.
Rápidas
(Servicio Informativo del Consejo Latino-Americano de Iglesias, Équateur),
Août 1999
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2326.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Envío, août 1999.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Grand sac de papier suspendu sur lequel, lors de fêtes, les enfants se précipitent avec des bâtons pour qu’il laisse tomber les friandises et surprises qu’il contient. Ce mot en est venu à désigner au Nicaragua le “pillage” grâce auquel des chefs sandinistes se sont enrichis (NdT).
[2] Entreprises passées aux mains des travailleurs sous le gouvernement sandiniste (NdT).
[3] Termes populaires pour désigner libéraux et conservateurs ( NdT)